Réseau ferroviaire : l’ART insiste sur la nécessité de renforcer financements, planification et contrôle dans les vingt ans

Déplorant l’absence de vision sur l’avenir du réseau ferroviaire français, l’Autorité des transports (ART) a conduit une étude prospective sur 20 ans, dont elle tire plusieurs conclusions : la trajectoire définie par l’actuel contrat de performance État/SNCF Réseau permettra, au mieux, de stabiliser une situation déjà peu enviable ; l’autofinancement des investissements sur le réseau est illusoire et les montants nécessaires croîtront de manière exponentielle avec l’inflation ; quels que soient les investissements décidés, planification et suivi de l’exécution sont indispensables.

Estimant que l’actuel contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau 2021-2030, signé le 6 avril 2022, "fait l’impasse sur la définition d’une véritable vision cible industrielle pour le réseau ferroviaire et sa consistance à dix ans", l’Autorité des transports (ART) a décidé de s’atteler elle-même à la tâche. Elle vient ainsi de dévoiler une étude présentant deux scénarios de long terme (vingt ans) pour le réseau ferroviaire français. L’ART juge ce travail de planification d’autant plus indispensable dans un environnement où les "décisions d’investissement entraînent des conséquences pour plusieurs décennies" et où les "retards en matière de maintien en l’état et de régénération de l’infrastructure sont difficiles à rattraper".

Or, ces retards sont déjà plus que conséquents. L’ART pointe par exemple qu’en l’état la commande centralisée du réseau (CCR) ne paraît pas devoir être achevée avant 2070 ou encore que la France peine toujours à déployer le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS), au mépris de la réglementation européenne. Constatant des "signes de vieillissement préoccupants" du réseau (16% proche de sa fin de vie nominale ou l’ayant déjà dépassée), elle met également en avant le décrochage de la France avec ses voisins, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

Scénario "tendanciel", scénario de la régression

Le premier scénario étudié, qualifié de "tendanciel", reprend la trajectoire prévue par le contrat de performance (un "contrat de contre-performance", selon l’Autorité – voir notre article du 16 février 2022), en la prolongeant jusqu’en 2042. Soit un investissement de 136 milliards d’euros (au cours de 2021) sur la période, dont 50 milliards d'euros pour le renouvellement et la modernisation. Pour l’ART, ces investissements ne permettraient qu’une évolution a minima de l’infrastructure (avec un CCR n’équipant que la moitié du réseau et l’ERTMS couvrant seulement 2.200 km de lignes), et imposeraient de faire des choix (privilégier les lignes les plus circulées conduirait à une forte dégradation des autres lignes). Les trafics se stabiliseraient au mieux, voire s’éroderaient (le niveau de 2042 serait inférieur d’1% à celui de l’an dernier). À l’inverse, les coûts d’exploitation repartiraient à la hausse, le vieillissement de l’infrastructure entraînant une hausse des coûts de maintenance. Après une légère baisse, le coût train/km, de 10,82 euros aujourd’hui, remonterait pour atteindre 10,09 euros. Logiquement, cette stagnation des trafics et ce rebond des coûts d’exploitation dégraderaient la capacité du gestionnaire des infrastructures, alimentant le cercle vicieux. Peu réjouissant.

Scénario "transition écologique" : la ligne est ouverte

Le second scénario, dit "transition écologique", reprend les orientations fixées par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) en février dernier (voir notre article du 24 février), soit une augmentation des investissement "de 50% par rapport au scenario tendanciel". Pour l’ART, cela permettrait de moderniser l’infrastructure (le CCR équiperait la quasi-totalité du réseau, l’ERTMS serait déployé sur près de 9.000 km de lignes – pour mémoire, le réseau actuel est de 27.000 km de lignes, le réseau structurant représentant 75%du total). "La quasi-totalité du réseau structurant [pourrait] être préservée", estime l’Autorité. Conséquence positive, le trafic serait à la hausse (+36%) et les coûts d’exploitation resteraient stables malgré cette dernière augmentation, grâce à une maîtrise des dépenses d’entretien et au déploiement du CCR. Le coût d’exploitation en train/km diminuerait "significativement et durablement durant la période", pour s’établir à 6,69 euros en 2042. La capacité du gestionnaire d’infrastructure augmenterait, permettant d’alimenter le cercle vertueux des investissements.

Des constantes

Sur le plan financier, quel que soit le scénario retenu, l’ART estime que la piste de l’autofinancement des investissements sur le réseau "apparaît hors de portée". Elle l’est davantage encore avec le retour de l’inflation, dont les impacts sont d’autant plus grands que "la croissance des redevances d’utilisation de l’infrastructure est moins rapide que la croissance des coûts" – puisque toutes deux assises sur des index différents. Dans le premier scénario, l’Autorité estime que les besoins de financement pourraient ainsi atteindre entre 3 et 4 milliards d’euros annuels courants sur la première décennie, puis entre 8 et 14 milliards sur la décennie suivante ! Dans le second, ils sont encore "nettement supérieurs" : entre 11 et 15 milliards d’euros courants annuels jusqu’en 2042. Des montants qui semblent quelque peu illusoires alors que le plan de 100 milliards d’euros d’ici 2040 annoncé par la Première ministre (voir notre article du 24 février) ne constitue déjà pour beaucoup "qu’une promesse", qui tarde à se concrétiser (voir nos articles des 2 mars et  23 mai). 

Quel que soit le niveau d’investissements finalement retenu, l’ART insiste toutefois sur la nécessité de renforcer le pilotage. Elle plaide pour un document de planification unique, détaillé et transparent, conduit sur un horizon de 10 à 20 ans. Il pourrait s’inspirer du schéma décennal de développement du réseau élaboré par RTE pour le transport d’électricité. L’ART se propose en outre d’assurer un suivi plus étroit des investissements du gestionnaire d’infrastructures. Elle fait même de la mise en place d’un "cadre incitatif à la performance" de SNCF Réseau une "condition essentielle" pour assurer à l’ensemble des financeurs (usagers, État et collectivités) que ce dernier va mobiliser les ressources disponibles "de la manière la plus efficace possible".