Transport ferroviaire : le président de la SNCF défend son bilan à l’Assemblée

Auditionné à l’Assemblée nationale ce 6 mars, le président de la SNCF a pu prendre, s’il en était besoin, la mesure du mécontentement des députés, grands voyageurs ferroviaires, à l’égard des performances du train. Les dysfonctionnements des lignes Paris-Clermont et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) ont notamment animé les discussions.

Les commissions des finances et du développement durable de l’Assemblée nationale ont auditionné conjointement ce 6 mars le P-DG du groupe SNCF, Jean-Pierre Farandou, "sur les investissements en matière de matériel et de réseau ferroviaires et les problématiques de dysfonctionnements". De manière générale, le président s’est montré plutôt optimiste – "c’est sa nature" –, non sans contraster ainsi avec le bilan récemment tiré par l’Autorité de régulation des transports (ART - voir notre article du 4 mars). Il s’est employé à défendre le bilan de l’entreprise, vantant les "15.000 trains par jour en circulation", une ponctualité "au-dessus de la moyenne européenne" ou encore les 16.000 chantiers qui seront ouverts en 2024. Sans toujours convaincre. Revue, non exhaustive, de quelques sujets abordés.

 • Paris-Clermont / Polt. Les "mésaventures" des "lignes jumelles" Paris-Clermont et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (dite Polt) ont singulièrement animé les échanges. Le président de la SNCF s'est dit "peu fier" au regard des dysfonctionnements qui affectent ces lignes, alors que "ce sont des radiales structurantes". Et d’invoquer ici "le rôle d’aménageur du territoire" du groupe SNCF. Il assure que les usagers de ces lignes "ne sont pas des voyageurs de 2e zone". Après l’incident du 19 janvier dernier, au cours duquel plus de 700 voyageurs partis de Paris à 18h57 sont arrivés à Clermont 11 heures plus tard, après avoir passé la nuit sans lumière, sans chauffage et sans eau, un plan d’action avait été présenté le 23 février dernier aux élus locaux par la SNCF (voir notre article du 23 février), dont son président a rappelé les grandes lignes aux parlementaires.

Une situation dont il a estimé par ailleurs qu’elle tenait "à des sous-investissements historiques", mais dont "il a bon espoir qu’elle s’améliore". "La solution de fond, on la connaît : matériel neuf, travaux sur l’infrastructure. Les décisions sont prises [voir notre article du 29 novembre 2023]. Le problème, c’est le délai", "pas avant 2026. C’est loin. Il faut tenir dans l’intervalle", prévient-il. Alors que "60% des causes des grands retards" sur cette ligne sont le fait de causes externes, en particulier liées "aux sangliers et aux arbres qui tombent sur les voies", il précise que la SNCF prévoit de poser 20km de clôture sur la ligne Paris-Clermont (avec des passages pour animaux) et de solliciter les fédérations de chasse pour réguler les populations de suidés. Une locomotive de secours sera remise en place, comme le centre de dépannage de Nevers. Il souligne par ailleurs que les investissements conduits visent uniquement "à améliorer la fiabilité de ces lignes. Si on veut une réduction du temps de parcours, il faudra de nouveaux financements".

Au passage, on relèvera que ces lignes ne sont pas les seules à ne pas avoir assez de matériel roulant. "Nous manquons de TGV", confesse ainsi Jean-Pierre Farandou, qui se déclare par ailleurs "surpris du taux de croissance de la fréquentation". Un manque d’autant plus aigu que "les 115 nouvelles rames qui devaient être livrées fin 2023, on ne les aura qu’en 2025". En conséquence, "on gère la pénurie. On priorise là où on est sûr que c’est archi-plein".

• Dessertes rurales. "Le train va dans les régions rurales et il faut que le train continue d’aller dans les régions rurales bien évidemment (…). On va être souvent dans le registre Trains d’équilibre du territoire ou TER (..). La capacité commerciale à rentabiliser les trains est moins évidente, mais ce n’est pas pour cela qu’il ne doit pas y avoir de trains. Et c’est là où les collectivités et l’État doivent intervenir et elles le font. La contribution de la SNCF, c’est le matériel roulant. Il faut inventer de nouveaux matériels qui doivent être moins chers – design to cost, 30, 50% moins chers –, plus légers (y compris l’infrastructure), électriques et connectés". Et de mettre en avant deux produits : le Draisy, "matériel innovant, plus léger" (voir notre article du 16 mars 2022 et celui du 12 décembre 2023), et le Flexy, "engin monospace mi-voiture mi train qui permettra d’aller chercher les gens dans les hameaux". Il n’y a pas que le TGV dans la vie.

• Plan de 100 milliards d'euros. Jean-Pierre Farandou se fait moins pessimiste que d’autres (voir notre article du 23 mai 2023) sur la concrétisation de ce plan annoncé par Elisabeth Borne l’an dernier (voir notre article du 24 février 2023) : "Ça avance, on voit des débuts de concrétisation, de passage à l’acte", estime-t-il, évoquant notamment les contrats de plan État-région et les Serm (services express régionaux métropolitains – voir notre article du 12 janvier), dont "la dynamique est engagée. On estime entre 1 à 2 milliards d’euros le budget par projet. Cela paraît accessible", juge-t-il. 

Il détaille la ventilation prévue de ce plan, qui envisage "deux paquets" :

- les lignes neuves, pour 65 milliards d’euros. Sont visées : les Serm, la relance des LGV (Bordeaux-Toulouse, Provence-Côte d’Azur, Roissy-Picardie…), "pour mailler complétement le territoire", et le fret (accès au tunnel sous les Alpes, contournement de l’agglomération lyonnaise par l’Est…) ;

- la régénération du réseau pour le solde. En l’espèce, s’il se félicite qu’on soit "passé de 1 milliard d’euros par an à presque 3 milliards d’euros par an", il souligne que ce "n’est pas suffisant". "Il faut 4 milliards. On en prend le chemin". Tout en indiquant que si "le groupe SNCF peut s’engager à mettre 500 millions d’euros de plus par an, il reste 1 milliard d’euros par an à trouver sur le long terme". Et de concéder qu’à ce jour "la question n’est pas résolue".

Sur ces 100 milliards, il rappelle que le groupe SNCF les "finance pas ou peu". Il ne participe qu’à la régénération du réseau, via le fonds de concours institué par la loi de 2018, alimenté par les dividendes générés par le groupe ("60% au minimum"). Il rappelle que ce fonds était la contrepartie au désendettement de SNCF Réseau : 35 milliards d’euros. Il observe toutefois que "97% des investissements de tout le groupe SNCF se font dans le ferroviaire français", y compris donc les résultats obtenus par les filiales Geodis et Keolis.

Jean-Pierre Farandou entrevoit par ailleurs une piste de financement avec la prochaine soumission "du transport aérien [en partie] et des poids lourds [pas seulement – voir notre article du 16 mai 2023]" au marché européen des quotas carbone, ce qui devrait générer selon lui "environ 20 milliards d’euros pour l’Union européenne, soit environ 2 milliards d’euros supplémentaires qui vont arriver dans les caisses de l’État".

• Péages ferroviaires. "Ils sont effectivement élevés, quasiment les plus élevés", constate-t-il (et même les plus élevés d’Europe selon l’ART – voir notre article du 16 février 2022), observant que "cela coûte cher aux TGV et aux régions". "C’est le premier poste de coût pour les TGV", représentant environ "40%" du total. Viennent ensuite le coût du matériel roulant et l’électricité. Il rappelle que "la France a fait le choix de plutôt faire payer l’utilisateur que le contribuable", et qu’en toute logique, si l’on devait baisser les péages, "ce que le client ne paierait plus, il faudrait que ce soit le contribuable qui le prenne en charge". Pour faire bonne mesure, rappelons que l’ART souligne pour sa part que, côté exploitation, le contribuable français est davantage mis à contribution que ses voisins du fait de coûts d’exploitation élevés qui dépendent "en grande partie des modalités d’organisation et de gestion de l’entreprise ferroviaire qui exploite les services de transport de voyageurs".

S’agissant de la récente décision du Conseil d’État annulant les dispositions tarifaires fixées pour 2024 par SNCF Réseau, avec effet au 1er octobre 2024 (voir notre article du 5 mars), Jean-Pierre Farandou se borne à indiquer que le Conseil d’État "a donné 6 mois à SNCF Réseau pour refaire la procédure" et que cette filiale du groupe ferroviaire a donc "tout le temps pour bien faire les choses".

• Fret. Il ne va pas fort. "S’il n’est pas aidé, il va disparaître", prévient Jean-Pierre Farandou, relevant que "le camion est trop fort, disposant d’avantages physiques trop importants". Lui n’entend pour autant pas laisser le train "disparaître de la carte". Il espère même "porter sa part modale de 9% à 18%, celle des bons élèves" – un objectif fixé pour 2030 par la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire de 2021 (voir notre article du 13 septembre 2021), et dont on ne prend guère le chemin (voir notre article du 4 mars). Pour le président de la SNCF, cela nécessite :

- de "maintenir l’aide du plan de relance de 200 millions d’euros par an à l’exploitation des wagons isolés", le point faible alors que "le combiné" et "le train entier" se portent mieux ;

- de "mettre de l’argent dans les infrastructures", notamment "les grands triages" ;

- de "désaturer certains corridors de fret".

Par ailleurs, il indique qu’il s’emploie à mettre en œuvre le "plan de discontinuité" fixé par le ministre Clément Beaune en réponse à l’enquête approfondie ouverte par la Commission européenne le 18 janvier 2023 sur les mesures de soutien françaises en faveur de Fret SNCF. Concrètement : renoncement volontaire à une partie de l’activité pour la céder à la concurrence ; scission en deux de la société ; cession d’actifs ; ouverture du capital.

• Producteur d’électricité. "La SNCF va devenir un producteur d’énergie électrique", prévient Jean-Pierre Farandou. Il prévoit que cette production couvrira 15 à 20% des besoins en 2030, via la pose de 1.000 ha de panneaux solaires sur les délaissés – "Grâce à nos résultats, on peut les financer" – et 100 % en 2050, via la pose de 10.000 hectares de panneaux. "Les financements ne sont pas encore bouclés mais l’on n’aura pas de mal à lever les fonds. Je ne suis pas inquiet", assure-t-il.

 

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