Archives

La Cour des comptes met en garde contre le coût de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim

Dans un rapport rendu public ce 4 mars, la Cour des comptes a mis en garde contre le coût pour l'État de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, demandant plus généralement que les charges pour démantèlement soient mieux évaluées et provisionnées. Selon elle, l'accompagnement des territoires est aussi "à conforter", notamment en termes de fiscalité locale.

"La fermeture de la centrale de Fessenheim, caractérisée par un processus de décision chaotique, risque d'être coûteuse pour l'État", écrit la Cour des comptes dans un rapport demandé par la commission des finances du Sénat et rendu public ce 4 mars. Le réacteur n°1 de la centrale alsacienne a été mis à l'arrêt le 22 février dernier et le second doit l'être le 30 juin, dans le cadre de la politique de réduction de la part du nucléaire dans la production électrique française.
EDF recevra 370 millions d'euros de l'État pour la fermeture anticipée de la centrale, auxquels s'ajoutent des sommes variables représentant son manque à gagner, dans le cadre du protocole d'indemnisation signé l'an dernier. "Ce protocole présente sur de nombreux points des risques de divergence d'appréciation et donc un risque financier pour l'État", et ses dispositions sont "favorables à l'entreprise", critiquent les magistrats.
Ils recommandent la signature d'un avenant pour limiter les risques pour les finances publiques ainsi qu'un paiement dès cette année de l'indemnité initiale, plutôt qu'en différé, ce qui pourrait permettre d'économiser plusieurs dizaines de millions d'euros. "Nous n'avons pas le souhait ni l'intention de revenir sur l'économie générale du protocole, par contre comme il a été proposé par la Cour des comptes un certain nombre de modalités d'application peuvent nécessiter encore (...) des précisions. Un avenant peut tout à fait y pourvoir", a réagi Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, lors d'une audition au Sénat. Le haut fonctionnaire s'est aussi dit ouvert à la possibilité d'un versement pour solder une fois pour toute l'indemnité initiale prévue pour EDF. "L'annualité budgétaire nécessitera que l'on trouve une solution, si on veut le faire en 2020 ou 2021, différente de celle qui est aujourd'hui inscrite dans les trajectoires", a-t-il toutefois observé.

Problème des versements au fonds national de garantie individuelle des ressources

Par ailleurs, relève la Cour, les territoires concernés par la fermeture de Fessenheim bénéficient, afin de lisser la perte des recettes fiscales due à la fermeture, à la fois d’efforts budgétaires particuliers et d’un nouveau dispositif de compensation assis sur la solidarité des territoires qui perçoivent l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer). Mais cet accompagnement reste "à conforter". La Cour soulève notamment le fait que le mécanisme de compensation ne modifie pas les versements dus par le territoire au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Elle appelle donc l'attention des pouvoirs publics "sur les effets que pourrait supporter un nombre non négligeable de collectivités, dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique énergétique, et sur l’intérêt de leur prise en compte dans le cadre d’une réflexion globale sur la fiscalité locale". "L’engagement de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales de constituer, en 2020, un groupe de travail sur la question des difficultés rencontrées par les collectivités contributrices au FNGIR confrontées à une perte exceptionnelle et pérenne de fiscalité économique pourrait constituer un cadre à cette réflexion, poursuit-elle. Cette réflexion pourrait s’étendre à l’évolution des dotations ou des prélèvements du FNGIR pour les collectivités qui bénéficieront de gains exceptionnels et pérennes de fiscalité."

Étendre la programmation pluriannuelle de l'énergie sur 15 ans

Le rapport étudie plus généralement le coût du démantèlement des 56 autres réacteurs nucléaires d'EDF ou encore des installations d'Orano et du CEA. La Cour prône donc une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sur 15 ans et non 10 ans, afin de mieux anticiper les évolutions futures. Elle suggère aussi que la stratégie nationale bas carbone se prononce sur l’évolution à plus long terme du mix électrique. "Cet horizon doit faciliter l’alignement du scénario industriel d’EDF avec les objectifs de politique énergétique, et éviter que les fermetures ne donnent lieu à indemnisation d’EDF par l’État en cas de divergences." La Cour estime aussi qu'une meilleure articulation des différents exercices de planification – programmation pluriannuelle de l’énergie, stratégies de démantèlement et plan national de gestion des matières et déchets radioactifs – permettrait de "conduire une réflexion intégrée sur les conséquences des décisions d’arrêts de réacteurs" et de "mieux les anticiper".

"Importantes dérives de coûts prévisionnels"

La Cour constate aussi que "les démantèlements en cours sont soumis à de fortes contraintes techniques et financières et connaissent d’importantes dérives de coûts prévisionnels". Les entreprises ont aujourd'hui l'obligation de provisionner les charges futures correspondant aux démantèlements. "L'évaluation des charges de démantèlement produite par les exploitants peut encore gagner en exhaustivité et en prudence", écrit la Cour des comptes. Elle réclame donc "une meilleure prise en compte des incertitudes et des aléas attachés aux estimations de coûts prévisionnels". Le montant total des charges futures de démantèlement s'élevait à 46,4 milliards d'euros fin 2018, selon la Cour des comptes. Mais certaines dépenses pourtant jugées "inéluctables" ne sont pas prises en compte dans les dépenses d'EDF et Orano : en les intégrant, ces deux entreprises augmenteraient leurs provisions respectivement de 7 milliards et 1 milliard d'euros, indiquent les magistrats. En outre, le provisionnement "ne repose pas toujours sur les calendriers de démantèlement les plus réalistes".