La transition environnementale moteur de l'IA territoriale

L'appétence des collectivités territoriales pour l'intelligence artificielle se confirme. Les projets se multiplient, avec un accent particulier sur les enjeux environnementaux. C'est ce qu'il ressort de la journée IA organisée le 8 février 2024 par les Interconnectés et l'Ecolab du ministère de la Transition écologique.

"On devrait compter 200 à 300 projets de collectivités intégrant l'IA en 2024", pronostique Jacques Priol, président de l'Observatoire Data Publica, lors d'une journée IA organisée ce 8 février 2024 par les Interconnectés et l'Ecolab du ministère de la Transition écologique. La progression s'avère spectaculaire, car l'Observatoire n'en comptait qu'une cinquantaine il y a quelques mois, une vingtaine en 2022 et à peine 5 en 2021. Il faut dire que l'IA générative est passée par là, démultipliant les cas d'usage possibles, notamment dans la sphère administrative. Autre tendance : le profil des collectivités se diversifie et les thématiques environnementales prédominent.

Consommateur de ressources

Seules les grandes collectivités ont cependant la capacité de piloter des expérimentations d'IA territoriales. Car un projet d'IA réellement disruptif requiert beaucoup de ressources. "L'IA marche sur trois pieds, les données, les infrastructures de stockage et les algorithmes", a rappelé Jacques Sainte-Marie de l'Inria. "L'IA révolutionne les méthodes de modélisation en intégrant davantage de paramètres", ajoute-t-il. Les avancées sont parfois spectaculaires. Le modèle de prévision météo GraphCast, conçu en quelques mois par la filiale Deepmind de Google, surpasse par exemple celui de Météo France. Autre exemple, l'application PlantNet. Conçue dans les laboratoires de l'Inria, PlantNet permet d'identifier et géolocaliser les végétaux à partir d'une simple photo. Les données de cet outil participatif gratuit sont désormais utilisées pour surveiller l'évolution de la biodiversité.

Les échéances environnementales comme moteur

La thématique environnementale, de la gestion de l'eau à l'optimisation énergétique, en passant par la collecte des déchets et la qualité de l'air, occupe une place centrale dans les projets des collectivités. Il faut dire qu'aux échéances réglementaires (Zéro artificialisation nette, Zones à faibles émissions, normes énergétiques pour les bâtiments…) s'ajoutent des incitations financières, comme le programme démonstrateurs d'IA territoriales. Par ailleurs, c'est probablement le domaine où les données nécessaires aux modèles d'IA sont les plus abondantes. L'Ecolab du ministère de la Transition écologique, à travers son projet Ecosphère (lire ci-dessous), recense plus de 81.000 jeux de données environnementales disséminées dans 130 plateformes. À cela s'ajoutent les données issues des capteurs que déploient actuellement les territoires. Il apparaît cependant que ces données générées pour un usage métier sont inexploitables par des tiers sans enrichissement en informations contextuelles. Rendre interopérables ces données est l'un des défis relevés par le projet rennais "City orchestra".

Les applications se précisent

Un projet d'envergure qui a identifié plusieurs cas d'usage. L'IA va ainsi aider la métropole à affiner sa stratégie ZAN et à identifier les parcelles dont la préservation s'impose du fait de leur biodiversité remarquable. "Dans le secteur du bâtiment, l'IA nous aide à confronter les normes nationales théoriques à nos mesures sur le terrain," explique Yann Huaumé, vice-président de Rennes Métropole délégué au numérique. "À Meudon, un capteur de particules fines a été testé avec l'appui de notre service IA, et nous envisageons sa généralisation", déclare Geoffroy Boulard, vice-président de la métropole du Grand Paris. Si les grandes collectivités sont à l'avant-garde des expérimentations, elles s'engagent également dans la gouvernance des données en faisant le pont avec le secteur privé. La région Pays de la Loire – tout comme Rennes – suit de près la mise en œuvre du Data Governance Act (DGA) européen. "Nous souhaitons devenir intermédiaires de données au sens du DGA et mettre en œuvre l'altruisme de la donnée [partage de données personnelles ou d'entreprises pour des projets d'intérêt général]", explique Gregory Delobelle du Climate Data Hub, un espace créé depuis mi-2020 par la région Centre-Val de Loire, retenu au titre d’un appel à projets de la Direction interministérielle du numérique (Dinum) dans le cadre du Plan de relance.

Acculturation à l'IA

Le Climate Data Hub, qui permet d'accéder à des données massives (publiques ou privées), dans un cadre "de confiance et technique" pour le développement de cas d’usage opérationnel, se positionne aussi sur l'acculturation à l'intelligence artificielle (IA). Car avec l'IA, de nouvelles fractures se dessinent à toute allure. Programmes de formation, colloques, bibliothèques de cas d'usage, les territoires en pointe redoublent d'initiatives pour vulgariser l'IA. Montpellier Méditerranée Métropole a ainsi été la première à initier une convention citoyenne autour de l'IA. D'ici mars 2024, 40 citoyens éclairés par des experts de l'IA vont dresser les bases d'une charte territoriale de l'IA. Une démarche qui entend réfléchir aux usages avant de se lancer tous azimuts. "Ce type de réflexion est d'autant plus important que les décideurs publics sont très sollicités pour tester toutes sortes de solutions estampillées IA", souligne Jacques Priol, évoquant également l'expérimentation de technologies comme ChatGPT par certains agents dans le dos de leur hiérarchie... Ces initiatives soulèvent des questions sur le stockage des données, la transparence des algorithmes, la conformité au RGPD ou encore l'impact sur l'emploi. Autant d'enjeux qui devraient être abordés dans le rapport du Sénat sur l'IA de service public attendu en mars prochain.

  • Ecosphère trie les données par cas d'usage

Avec quelque 81.000 jeux de données environnementales produits par le secteur public, il est difficile de s'y retrouver. Ce constat a amené l'Ecolab du ministère de la Transition écologique à développer le projet Ecosphère. "Il ne s'agit pas de créer une nouvelle plateforme mais d'aiguiller l'utilisateur et de référencer les sources", explique Martin Cahen, responsable du projet. Ecosphère adopte une approche organisée autour de thématiques et de cas d'usage. Par exemple, pour combattre les îlots de chaleur ou calculer les objectifs ZAN, l'utilisateur est dirigé vers les jeux de données nationaux pertinents. En pratique, Ecosphère enrichit data.gouv.fr d'une couche supplémentaire sans chercher à stocker les données. Pour chaque thème, il offre un ou plusieurs objectifs opérationnels, comme la conformité réglementaire, une description des jeux de données, leur niveau de détail, des informations sur la qualité des données et un lien pour y accéder. Le service, actuellement en phase de test, sera lancé dans les prochaines semaines et accessible sur ecologie.data.gouv.fr. L'Ecolab encourage les collectivités à soumettre des cas d'usage afin de "territorialiser les bouquets de données".