Intelligence artificielle : ces collectivités qui sautent le pas

La troisième édition de assises de l'intelligence artificielle organisée par Smart City Mag au sein du Hub des Territoires de la Banque des Territoires a montré la réalité de la percée de l'IA dans les collectivités. La pertinence des applications qui émergent n'éclipse pas pour autant les interrogations que suscite l'IA. Des interrogations aujourd'hui décuplées par la mise à portée de clic de tout un chacun de l'IA générative.

L'intelligence artificielle se conjugue désormais au présent dans les territoires, comme le montrent les applications présentées à l'occasion des troisièmes assises de l'IA et des territoires organisées à Paris le 29 septembre 2023. Son usage dépasse le périmètre de la vidéoprotection et de la mobilité, les premiers à avoir été investis par l'IA, pour conquérir de nouveaux domaines d'application. La seule exigence préalable tient à la préexistence de volumes conséquents de données à exploiter.

Gérer la complexité administrative

L'IA s'impose ainsi comme un moyen de traiter la complexité administrative, telle que l'instruction des dossiers d'aide sociale des départements. La solution conçue par la société Inetum permet ainsi de trier les demandes par type d'aide et de détecter des demandes incomplètes. Cette IA extrait des données de formulaires Cerfa mais aussi de lettres manuscrites numérisées, encore nombreuses dans la sphère sociale. "Il s'agit une aide à la décision, la décision finale restant humaine", rappelle Jean-Paul Muller d'Inetum. Et si l'outil ne peut garantir une fiabilité à 100%, il fait gagner un temps précieux aux services instructeurs.
Dans le même esprit, Montpellier s'intéresse à l'IA pour exploiter les délibérations. "La publication des délibérations en open data ça ne suffit pas. Trop souvent, seul l'expert du dossier connait l'historique des décisions de la collectivité. L'IA peut grandement aider à le reconstituer" explique Manu Reynaud, adjoint au maire de Montpellier en charge du numérique. La région Île-de-France a également identifié ce cas d'usage et explore parallèlement le tri automatisé des courriers entrants et l'identification des risques de conflits d'intérêt au sein de l'assemblée délibérante. Ce dernier cas d'usage laisse l'élu de Montpellier sceptique car "le risque est d'en trouver partout". Il insiste sur la nécessité de focaliser l'IA sur des "usages pertinents pour les agents et l'intérêt général", faisant valoir notamment le coût environnemental du traitement des données par l'IA.

Détection des dépôts sauvages

La lecture et l'interprétation d'images constitue le second terrain de prédilection de l'IA avec de nombreuses applications opérationnelles dans le domaine de l'environnement et de l'aménagement. Le syndicat des eaux d'Île-de-France s'appuie par exemple sur l'IA pour optimiser son réseau de capteurs, avec de "réelles économies à la clef". Le syndicat mixte Val d'Oise Numérique a de son côté fait une démonstration de sa plateforme de détection des dépôts d'ordures illégaux. Nourrie de vues satellitaires haute résolution (30 cm) mises à jour deux fois par mois, l'IA peut repérer n'importe quel dépôt, évaluer son volume et alerter sur sa proximité avec une zone sensible comme un cours d'eau. L'usage de pièges photographiques permet ensuite de trouver les coupables. Rachid Adda, directeur général du syndicat met cependant en garde : "Il faut faire les choses dans l'ordre : constater le dépôt sauvage, mettre en place une alerte et déposer plainte. Dès lors on sera autorisé à lire la plaque du véhicule pour remonter jusqu'au contrevenant." L'analyse d'images fait aussi partie des cas d'usages explorés par l'Île-de-France, dans un tout autre objectif. "Notre service patrimoine dispose de plus de 200.000 photos aujourd'hui sous exploitées. Avec l'IA nous allons pouvoir décrire les images et y associer des métadonnées", explique Bernard Giry, DGA transformation numérique à la région Île-de-France. Avec à la clef la possibilité de repérer en quelques clics un type de mobilier précis sur une photo d'église ou de trouver une photo d'élu visitant un lycée pour les besoins du service communication.

Accompagnement du changement

En termes de services au citoyen, l'IA ouvre également de nombreuses perspectives. A Plaisir, la ville dispose ainsi depuis un an d'un "call bot" ou chat-bot vocal (voir notre article du 27 mars 2023). "Nous avions de 400 à 600 appels par jour avec parfois 15 appels simultanés. Le résultat est que 30% d'entre eux ne pouvaient être traités alors que beaucoup portent sur des questions très basiques comme les horaires. Avec ce call bot, le taux de réponse est de 100% et les usagers reçoivent même un SMS de confirmation", a détaillé Angela Ragenard, directrice du marketing public à la ville de Plaisir. Avant d'être déployé "Optimus", nom choisi par un panel de citoyens, a fait l'objet de nombreux tests, pour vérifier la fiabilité de la base de connaissance mais aussi vérifier la capacité de l'IA à identifier des voix avec accent ou des mots d'argot. "Il a aussi fallu beaucoup de pédagogie auprès des agents pour leur montrer que l'outil n'allait pas voler leur emploi mais les soulager au quotidien", ajoute la directrice. L'accompagnement du changement est également au cœur des stratégies mises en œuvre à Montpellier et en Île-de-France avec l'intervention d'experts sur des enjeux tels que l'IA et l'emploi, l'IA ou les biais algorithmiques.

Prudence sur l'IA générative

Les IA génératives, apparues voici un an suscitent autant d'enthousiasme que de méfiance. A Montpellier l'élu en charge du numérique continue de justifier "l'interdiction de ChatGPT" décrétée en début d'année par le souhait de "faire les choses dans l'ordre en définissant au préalable une stratégie politique autour de l'IA". La région Île-de-France s'oriente pour sa part vers l'expérimentation de cas d'usage. Une IA générative est ainsi évoquée pour permettre aux franciliens de se repérer parmi les quelques 400 dispositifs d'aide. Une application où la conversation en langage naturel a toute sa pertinence. La région partage cependant la prudence de Montpellier quant à la nature des données à confier à des IA conçues outre-Atlantique. Les deux privilégient des serveurs internes et des IA souveraines dès lors qu'il s'agit de traiter de données sensibles… avec comme corollaire la question du modèle économique dans un domaine très consommateur de ressources. Elles se posent du reste la question du déploiement de "copilot", un assistant basé sur ChatGPT que Microsoft va adosser à sa suite bureautique. Cette nouvelle fonctionnalité, potentiellement accessible à tous les agents, pose un double défi aux administrations. Car au renchérissement des licences – jugé très significatif par les intervenants – s'ajoute celui de la maîtrise des usages et des données.

 

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