Le "Beauvau" des polices municipales s'ouvre sur des divergences

En lançant le "Beauvau des polices municipales", le 5 avril, le gouvernement a pu mesurer les différences de vues sur l'extension des prérogatives des quelque 27.000 policiers municipaux et la possibilité de leur donner de nouvelles missions de police judiciaire sur les délits du quotidien. Un chantier laissé en friche depuis la censure partielle de la loi Sécurité globale par le Conseil constitutionnel en 2021.

Le symbole a son importance. C'est place Vendôme que le "Beauvau" des polices municipales a été ouvert, vendredi 5 avril, par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, aux côtés du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu et de la ministre déléguée chargée des collectivités et de la ruralité Dominique Faure. Le principal enjeu de ce nouveau cycle de concertation sera de redéfinir le cadre d'emploi des quelque 4.500 polices municipales du pays, qui n'a pas évolué depuis une loi Chevènement de 1999.  Et de leur conférer, le cas échéant, de nouvelles missions de police judiciaire pour lutter contre la délinquance du quotidien. "Les réponses qui seront formulées à l’issue de ce Beauvau correspondront au rôle que vous souhaitez accorder à la police municipale. S’agit-il d’une police de tranquillité publique ou d’une police judiciaire de proximité ?", a posé le garde des Sceaux. Mais pour cela, il y a "un noeud gordien à trancher", a rappelé Gérald Darmanin, évoquant la situation laissée en friche depuis la censure partielle de la Sécurité globale de 2021. Le Conseil constitutionnel avait en particulier retoqué l'article 1er de cette loi qui visait à permettre aux polices municipales d'expérimenter de nouvelles missions de police judiciaire pour les délits du quotidien : vente à la sauvette, conduite sans permis, défaut d’assurance, occupation illicite des halls d’immeuble, squat, vente de stupéfiants, ivresse sur la voie publique, etc

Les deux heures d'échanges qui ont suivi, entre maires, parlementaires, procureurs, syndicalistes, ont surtout mis en lumière les "divergences" d'approche. "Il faut que nous composions avec ces polices différentes, complémentaires", a souligné le garde des Sceaux. "L'idée est d'arriver à une forme de synthèse qui définisse une ligne de crête", a également fait valoir le député des Bouches-du-Rhône  Lionel Royer-Perreaut (Renaissance), co-auteur d'un rapport sur les missions et l'attractivité des polices municipales (voir notre article du 21 juillet 2023).

Position réservée de l'AMF

Le fait pour les policiers municipaux d'intervenir sur ces délits impliquerait qu'ils soient placés sous l'autorité du procureur de la République. Le ministre de l'Intérieur lui-même avait montré quelques réserves au moment du débat sur la Lopmi (loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur) qui ignorait la place des polices municipales pourtant souvent présentées comme la troisième force de sécurité du pays (voir notre article du 21 septembre 2022). Surtout depuis les émeutes de l'été 2023 où elles ont été fortement mises à contribution. Cette position de réserve, c'est celle de l'Association des maires de France (AMF) représentée par Murielle Fabre, maire de Lampertheim, petite commune de l'agglomération strasbourgeoise. L'AMF pose quatre principes, a-t-elle énoncé : la libre administration des communes (sur le choix de se doter d'une police, de l'armer, sur l'équipement, etc.), la préservation du caractère de "police de proximité" de la police municipale, l'importance des conventions de coordination pour traduire les rôles de chacun, et un besoin d'équité au sein de la Fonction publique territoriale. L'élue a demandé la mise en place d'un groupe de travail sur l'accès aux fichiers, notamment celui des personnes recherchées. Car leur utilisation implique des responsabilités, voire la protection des agents. Elle s'est dit également "beaucoup plus réservée sur la question des officiers de police judiciaire". L'AMF n'y est "pas favorable" a-t-elle fait savoir. "Notre police municipale est une police de proximité." Lui confier des compétences supplémentaires la conduirait "à faire défaut" et à être moins présente sur la voie publique.

A Nice, des polices "soeurs d'armes"

Un contrepied à Christian Estrosi, le maire de Nice, par ailleurs président de la Commission consultative des polices municipales (CCPM), et à Jean-François Copé, maire de Meaux (Seine-et-Marne), qui ne lésine par sur les moyens pour sa police (voir notre article du 26 octobre 2022). Ce dernier a tout bonnement proposé de faire de la police municipale "une compétence obligatoire" pour toutes les communes de plus de 10.000 habitants. "On ne peut pas avoir tant de différences entre les communes. Si on n'assume pas une politique publique valable sur l'ensemble du territoire, on passera à côté de l'objectif", a-t-il argué.

Quant à Christian Estrosi, il considère que police municipale et police nationale sont des "sœurs d'armes" sur son territoire. Une union qui se traduit dans le futur hôtel de police mutualisé qui sera inauguré en 2025 et dans lequel Emmanuel Macron s'était rendu début 2022 pour jeter les bases de la future Lopmi. Le président de la République avait d'ailleurs interpellé l'AMF à cette occasion pour savoir jusqu'où elle était prête à aller en matière de partenariat (voir nos articles du 10 janvier et du 11 janvier 2022). "Il est temps de sortir les polices municipales de leur état de minorité" et de leur conférer "un statut clair et adapté", a plaidé le maire de Nice, appelant à généraliser les conventions de coordination. Christian Estrosi en a profité pour dénoncer la disparition de la "vignette verte" sur le pare-brise depuis le 1er avril. Mesure "inefficace et absurde" qui, selon lui, va compliquer le travail des policiers municipaux, ces derniers n'ayant pas accès au fichier informatique des véhicules assurés

"L'Etat ne veut pas se désengager"

Pour Gérald Darmanin, il n'est pas question d'aller vers un "modèle fédéral". "L'Etat ne veut pas se désengager", a-t-il martelé. Et il n'est "pas question de déléguer aux polices municipales le travail de la police nationale et de la gendarmerie", a-t-il ajouté. Evoquant les émeutes de l'été dernier et le refus du maire de Lyon de mettre ses policiers municipaux à disposition, le ministre a lancé l'idée de donner au préfet la possibilité de réquisitionner les polices municipales en cas de crise. Une idée notamment défendue dans un "retour d'expérience" de l'Inspection générale de l'administration sur les émeutes (voir notre article du 22 juin 2023). Gérald Darmanin a enfin évoqué l'idée d'attribuer le produit des amendes directement aux communes, ce qui permettrait d'assurer "un lien entre les citoyens et les politiques publiques menées". On retiendra également de cette rencontre, l'idée avancée par la Conférence nationale des procureurs de la République de créer une sorte d'Inspection générale pour la police municipale. "Si on fait du judiciaire, il faut pouvoir contrôler", a justifié son président Raphaël Balland.

La concertation doit aussi permettre d'améliorer l'attractivité de la profession, sachant que, comme l'a rappelé le député Lionel Royer-Perreaut, 11.000 policiers municipaux vont devoir être recrutés d'ici les élections municipales de 2026. Sur ce terrain, un premier cycle de concertations a permis des avancées, a rappelé Dominique Faure, avec la revalorisation indemnitaire et indiciaire des policiers municipaux et gardes champêtres. Ainsi en est-il du projet de décret portant refonte du régime indemnitaire des policiers municipaux et des gardes champêtres adopté par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) la semaine dernière (voir notre article du 27 mars 2024).

Les retraites au menu de la concertation

La ministre a confirmé que la question des retraites des quelque 27.000 policiers municipaux, à laquelle tiennent tout particulièrement les syndicats, figurerait bien à l'agenda du "Beauvau". La question de la formation a aussi été effleurée. Gérald Darmanin a relancé l'idée d'une école nationale des policiers municipaux, placée sous la responsabilité de l'AMF.

D'ici l'automne, quatre autres rendez-vous sont programmés : le 16 mai au ministère de l'Intérieur, le 27 mai à la Grande-Motte (Hérault) et deux autres dates "probablement dans le Nord et peut-être à Lyon", a indiqué Dominique Faure, ajoutant : "On a une absolue nécessité d'aboutir."

 

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