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Le Conseil constitutionnel valide - presque - entièrement le pouvoir d'interdiction de stationnement des gens du voyage hors des aires

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel valide pour l'essentiel, le 27 septembre 2019, le pouvoir de police des maires et présidents d'EPCI d’interdire le stationnement des gens du voyage en dehors des aires aménagées prévues par les textes. Seule est censurée une disposition concernant le cas où les gens du voyage sont propriétaires du terrain.

Dans une décision QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du 27 septembre 2019, le Conseil constitutionnel valide – pour l'essentiel – les dispositions conférant aux maires et aux présidents d'EPCI un pouvoir d'interdiction de stationnement des gens du voyage en dehors des aires aménagées à cet effet. Ces dispositions figurent à l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dans la rédaction résultant de la loi du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites. La question de la constitutionnalité de ces dispositions avait été posée par l'Union de défense active des forains, France liberté voyage, la Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les tziganes et gens du voyage et l'Association nationale des gens du voyage citoyens.

Un "bannissement administratif"

L'article 9 prévoit que le maire ou le président de l'EPCI peut, par arrêté, interdire le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles hors des aires et terrains prévus à cette fin – et, en cas de refus, solliciter l'intervention du préfet –, dès lors que l'une des conditions suivantes est remplie : avoir satisfait aux obligations légales en matière d'accueil des gens du voyage, bénéficier du délai supplémentaire prévu par les textes, disposer d'un emplacement provisoire agréé par le préfet, être doté d'une aire permanente d'accueil, de terrains familiaux locatifs ou d'une aire de grand passage, contribuer volontairement au financement d'une telle aire ou de tels terrains sur le territoire d'une autre collectivité...

Les requérants faisaient notamment valoir que ces dispositions entraînent "une méconnaissance de la liberté d'aller et venir et du principe de fraternité" et qu'elles constitueraient un "bannissement administratif" méconnaissant le droit d'égal accès aux soins, le principe d'égal accès à l'instruction, le droit de mener une vie familiale normale et l'objectif de sauvegarde de "l'ordre public immatériel". Ils faisaient aussi valoir que le délai de recours de 24 heures contre la mise en demeure du préfet et le délai de 48 heures laissé au juge administratif pour statuer sur ce recours seraient trop brefs et méconnaîtraient ainsi le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Dernier argument avancé : "les dispositions de l'article 9 seraient contraires au principe d'égalité au motif que leur champ d'application serait déterminé par des critères ethniques".

L'interdiction de stationner, contrepartie d'installations dédiées

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle qu'"il appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré". Il rappelle aussi les dispositifs législatifs et réglementaires – contrepartie du pouvoir d'interdiction – qui organisent les conditions d'accueil des gens du voyage : schéma départemental d'accueil des gens du voyage, réalisation d'aires permanentes d'accueil, d'aires de grand passage, terrains familiaux locatifs... Par ailleurs, "les communes figurant au schéma départemental, ainsi que les établissements publics compétents en matière d'accueil des gens du voyage, sont tenus dans un délai de deux ans de participer à la mise en œuvre de ce schéma".

De façon plus large, l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 garantit une offre d'accueil des gens du voyage sur le territoire départemental conforme à leurs besoins et tenant compte notamment des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques. Dès lors, "les gens du voyage qui font l'objet d'une mise en demeure de quitter leur lieu de stationnement irrégulier bénéficient, sur ce territoire, d'aires et terrains d'accueil permettant un accès aux soins et à l'enseignement". Dans ces conditions, "les dispositions contestées ne méconnaissent ni le droit de mener une vie familiale normale, ni l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, ni le droit à la santé".

Censure d'une atteinte – involontaire – au droit de propriété

Sur la question du délai de recours en cas de mise en demeure par le préfet de quitter un terrain, le Conseil constitutionnel juge "que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi".

Le Conseil valide donc globalement l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, dans la rédaction résultant de la loi du 7 novembre 2018, autrement dit le pouvoir d'interdiction de stationnement des maires et des présidents d'EPCI. Il censure toutefois le paragraphe III de l'article 9. En l'occurrence, la censure ne vise pas une intention du législateur, mais plutôt une maladresse de rédaction. Celle-ci aboutit au fait que l'article exclut que l'interdiction de stationnement soit appliquée aux terrains dont les gens du voyage sont propriétaires – ce qui était bien l'intention du législateur –, dans toutes les communes, sauf celles qui n'appartiennent pas à un EPCI (cas de figure, au demeurant, de plus en plus rare). L'article 17 de la Déclaration de 1789 précisant que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité", le Conseil constitutionnel censure le paragraphe III. Il reporte cependant l'effet de cette censure au 1er juillet 2020, afin de laisser le temps au législateur de prendre une disposition excluant, dans tous les cas de figure, l'interdiction de stationner sur des terrains dont les gens du voyage sont propriétaires.

Références : Conseil constitutionnel, décision n°2019-805 QPC du 27 septembre 2019, Union de défense active des forains et autres.

 

 

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