Le logement à l'épreuve du terrain : entre injonctions d'en haut et blocages d'en bas

Réunis au Sommet de la Construction 2025, organisé par la FFB, élus locaux et professionnels du secteur ont découvert une nouvelle estimation des besoins en logement : 6,8 millions d’unités à produire d’ici 2050, selon une approche territorialisée inédite. Pour passer de l'estimation statistique à la réalité de la construction, les élus exigent de l'État qu'il cesse de les paralyser par des injonctions contradictoires et des ponctions budgétaires, et qu'il fasse confiance aux acteurs locaux pour adapter les politiques à leurs besoins spécifiques, de la métropole côtière au village de montagne.

Si l'amphithéâtre de la Fédération française du bâtiment, rue La Pérouse (Paris 16e), était comble jeudi 16 octobre, c'est que l'enjeu, qualifié de "sujet grave", reste le "plus gros problème du moment", selon Olivier Salleron : celui du besoin criant en logement - et de l’aménagement, souvent inégal, de nos territoires.

Au Sommet de la construction 2025, devant les membres de l’Alliance pour le logement, installés au premier rang, les professionnels du BTP et les élus locaux, le président de la FFB a immédiatement ancré la discussion dans l'actualité politique, mentionnant sa rencontre avec le nouveau ministre du Logement "quelques minutes après la non-censure", soulignant l'urgence d'aborder les combats du secteur. Il a vivement critiqué l'approche gouvernementale passée, rappelant que lors du CNR logement, il y a pratiquement deux ans et demi, l'idée selon laquelle “entre 150.000 et 200.000 logements suffisaient pour loger les Français” avait été avancée. Olivier Salleron a jugé cette estimation, émanant d'un ministère dépendant de l'Économie, comme étant "non seulement une erreur, mais aussi un scandale". L’heure est donc désormais à une clarté nouvelle, grâce à l’étude du SDES (révélée cet été) qui rebat les cartes de l’évaluation des besoins.

L'approche territoriale, le grand changement

Contrairement aux estimations globales précédentes, qui ne permettaient pas de compenser les différences entre régions, la nouvelle méthode part d'un zonage fin, la "zone d’emploi", pour tenir compte des facteurs spécifiques de chaque territoire.

Selon le scénario central du SDES, l’estimation totale des besoins en logements pour la période 2020-2050 s’élève à 6,8 millions d’unités. Un chiffre qui donne le vertige, d’autant que cette projection intègre une donnée cruciale longtemps sous-estimée : la résorption du mal-logement. Il faudrait ainsi produire 1,4 million de logements pour mettre fin au mal-logement existant.

En regardant la carte des besoins, une réalité s'impose : l'inégalité territoriale. L’arc atlantique, le sud de la France et les grandes métropoles sont de loin les plus attractifs, concentrant la demande et posant de sérieuses questions d'aménagement et d'équilibre du territoire.

Les maires, entre contraintes nationales et réalités locales

En deuxième partie du Sommet, le passage des chiffres froids du SDES à l'action concrète a mis en lumière le combat quotidien des élus locaux.

La situation sur le terrain est jugée catastrophique, non seulement pour des raisons conjoncturelles (crise du pouvoir d'achat, prix de la construction), mais aussi structurelles. En première ligne face aux attentes de leurs administrés, les maires s’estiment de plus en plus entravés par les décisions nationales, le carcan réglementaire et environnemental. En zone littorale, par exemple à Boulogne-sur-Mer, les projets de construction sont paralysés par les zones de prévention des inondations et les risques liés au recul du trait de côte. "Ajoutez à cela les zones humides et la présence d’espèces protégées comme la mouette tridactyle et le goéland argenté, qui normalement n’ont rien à faire là et doivent être dans les falaises…", a déclaré Frédéric Cuvillier. Le président de la communauté d’agglomération du Boulonnais a également dénoncé le ZAN (zéro artificialisation nette) ou les contraintes des Architectes des Bâtiments de France (ABF), qui peuvent interdire l’isolation thermique par l’extérieur pourtant nécessaire dans certains cas.

L'autre point de tension majeur est l'effondrement de l'offre de logements sociaux. Le maire de Tours a constaté que dans sa zone, les attributions de logements sociaux ont diminué de 15% en deux ans, tandis que la demande a augmenté de 15%. Les élus ont notamment pointé du doigt la réduction de loyer de solidarité (RLS) imposée par l’État, qui ampute les marges de manœuvre des bailleurs sociaux de plusieurs millions d'euros par an, les empêchant d’investir et de construire suffisamment.

Dans les Hautes-Pyrénées aussi, le logement est sous tension. La sénatrice Viviane Artigalas a souligné le problème des stations de montagne comme Cauterets, où 92% des résidences sont secondaires ou touristiques, chassant les jeunes et les saisonniers vers la vallée. "Depuis la crise du Covid, la ruralité a été très prisée. Les gens viennent racheter des maisons à des prix qu’on n’avait jamais vus. Maintenant, il n'y a plus rien d'accessible, y compris en milieu rural !", a-t-elle rapporté.

Des stratégies locales diversifiées

Les maires innovent pour adapter les chiffres nationaux à la réalité des "zones d’emploi". Jean-François Copé, maire de Meaux (ville comptant 56% de logements sociaux), a fait le choix de la rénovation urbaine massive en démolissant des tours. "A la place, on a mis des immeubles à taille humaine, de quatre étages, en mixant le logement social avec de l’accession à la propriété." Par ailleurs, pour reconquérir son centre-ville touché par l'habitat indigne, la municipalité a créé une société foncière pour acheter ces immeubles dégradés et reconstruire des logements neufs, non-sociaux.

Bien que Tours soit considérée comme une "zone blanche" en termes de vacance structurelle (c'est-à-dire qu'elle a peu de logements vacants par rapport à la moyenne nationale), des actions sont menées pour mobiliser les logements inoccupés."Nous avons mis en place un poste de médiation locative qui analyse la vacance sur notre territoire et vise à remettre les logements concernés sur le marché locatif", a expliqué Emmanuel Denis, maire de la ville.

Dans les Hautes-Pyrénées, face à la pression foncière, une initiative consiste à utiliser des outils comme le bail réel solidaire pour dissocier le foncier des murs. Cependant, Viviane Artigalas a reconnu que l'acceptabilité sociale de cet outil est difficile en milieu rural et montagnard, où les habitants restent attachés à la terre et désireux de posséder le foncier. 

Pour l'économiste Pierre Madec, le besoin ne doit pas seulement être subi, mais résulter d'un choix politique d'aménagement du territoire. "Construire 7 millions de logements, c’est bien, mais si ce sont 7 millions de logements inabordables pour les ménages, on n’a pas vraiment résolu notre problème ! L’étape d’après, c’est d’essayer de faire de la prospective, d’imaginer d’autres scénarios de répartition des activités économiques."

 

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