Poltique de la ville - Les enfants des quartiers prioritaires paient un lourd tribut, selon un rapport de l'Unicef
Les 163 questions de l'étude "Grandir en France" de l'Unicef, publiée le 29 novembre, balaient quatre axes ("j'ai des droits", "ma vie de tous les jours", "mon éducation", "mes loisirs") et révèlent un certain bien-être des enfants vivant en France, en grande majorité conscients d'avoir des droits, d'être respectés, valorisés par leur père ou leur mère, écoutés et soutenus par leur famille, et globalement en sécurité dans leur ville. L'école demeure pour une large majorité (87%) un sanctuaire où ils se sentent en sécurité, où ils peuvent être aidés en cas de difficultés (87%) même si 38% affirment qu'ils peuvent être ennuyés par d'autres enfants. L'étude note que les participants se sentent à 90% préservés des risques de privation (69% font un sport chaque semaine, 54% une activité de loisirs, 75% font des sorties avec leurs parents) et l'accès aux soins semble presque généralisé. Néanmoins, aux questions qui touchent à la souffrance psychologique chez les enfants, 73% ont répondu qu'il leur arrive d'être tristes et cafardeux, 48% de n'avoir plus goût à rien et 61% de perdre la confiance en eux-mêmes. 11% fument, 10% ont consommé du cannabis, 6% en fument (sans doute régulièrement), 15% consomment de l'alcool et 19% disent avoir été sollicités pour consommer de la drogue, 22% ont pensé au suicide, 8% ont tenté de passer à l'acte. Dans ce panel d'enfants, il existe une frange qui cumule plusieurs désavantages majeurs, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville.
Grandir dans un quartier est un marqueur social
Parce que très tôt les enfants des quartiers perçoivent que leur vie est différente de celle des autres enfants (centre-ville, quartiers périphériques non populaires et des quartiers populaires), l'Unicef France a fait le choix d'étudier particulièrement ces enfants et adolescents des quartiers de la politique de la ville dans cette troisième consultation nationale. Ce qui surprend en premier lieu est effectivement la conscience (dès 6 ans pour certains) d'habiter un quartier avec des caractéristiques différentes de celles de la périphérie ou du centre-ville. Le quartier comme marqueur social, comme le nomme le sociologue Serge Paugam, serait donc une réalité à la fois dans l'esprit de ceux qui n'y habitent pas mais également dans l'esprit de ceux qui y vivent. Un constat qui fait dire à l'Unicef que la société ne sait pas voir les potentialités de chacun.
La vie y est nettement plus préjudiciable en termes de privation pour ces enfants. Que signifie alors pour ces jeunes de grandir dans un quartier de mauvaise réputation, socialement disqualifié, où se concentrent des ménages fortement touchés par le chômage, les précarités en tout genre, pose comme question l'Unicef.
Cela signifie, répond l'étude, une privation à l'accès aux savoirs : 54,4% des enfants et adolescents de ces quartiers sont en situation de privation (livre, ordinateur, internet), contre 37% de ceux qui habitent en centre-ville. Des inégalités qui sont en partie, rappelle l'étude, responsables des inégalités face à l'école : 57,9% des enfants et adolescents vivant en quartier prioritaire ont peur de ne pas réussir à l'école, 43,5% pour ceux qui vivent en centre-ville. La privation matérielle concerne 22% des enfants des quartiers, 12,6% des enfants de centre-ville. Elle touche davantage les enfants vivant dans une famille monoparentale. Habiter les quartiers engendre également une privation préjudiciable à la santé (nutrition et critère d'accès aux soins chez le dentiste) pour 16,6% chez les enfants et adolescents de centre-ville et à 28,3% pour ceux qui vivent en quartier prioritaire. La privation d'activités (sorties scolaires, avec les parents, concert, spectacle, sport) est un critère qui distingue également les enfants des quartiers de centre-ville et ceux des quartiers prioritaires. S'ils sont 25,3% dans les quartiers de centre-ville à être privés de sorties ou de sport... ils sont 40,8% à en manquer dans les quartiers. L'Unicef préconise une incitation financière des pouvoirs publics pour faciliter l'inscription des enfants de condition modeste à des activités.
Le quartier comme ancrage
Pourtant, malgré ces privations, l'étude relève que l'appartenance au quartier dans son ensemble est une réalité. En dépit de ce que pensent les jeunes (23% pensent que leur quartier est sale, 19,8% qu'il a une mauvaise réputation, 12% qu'il est dangereux), 66,9% sont persuadés que quelqu'un viendrait à leur secours s'ils en avaient besoin (contre 54,8% des enfants en centre-ville par exemple). Pour 39,5% de ces enfants, ils affirment trouver tout ce dont ils ont besoin au quotidien (commerces, services...), contre 32% en centre-ville.
L'Unicef souligne également l'ancrage des enfants à leur famille (67,2% des enfants des quartiers contre 54% pour ceux de centre-ville se déclarent valorisés par leur mère), à leurs amis (43,8% des enfants de quartiers se sentent valorisés par leurs amis, 34,5% pour ceux de centre-ville), 41,7% affirment avoir de la famille dans leur quartier (23,7% pour ceux de centre-ville). Des liens vitaux pour ces enfants qui, en dehors de leur lieu de vie, peuvent se sentir stigmatisés ou discriminés, affirme l'étude.
Cinq recommandations pour changer de regard
Fort de ces éléments, l'Unicef en appelle aux candidats à l'élection présidentielle. "Ecoutons ce que les enfants ont à nous dire." "Il faut changer le regard que l'on porte sur ces enfants et leurs quartiers." Privilégier les activités en dehors de l'école, renforcer le lien entre le quartier et l'école, valoriser les parents dans leur rôle éducatif (car ils constituent pour ces enfants des piliers indispensables à leur épanouissement), font partie des souhaits et idées des enfants et adolescents pour rendre leur vie meilleure. "Ce rapport est une grille de lecture, une pièce à conviction" pour convaincre et faire agir, annonce l'Unicef qui liste donc cinq recommandations pour conjurer la fatalité pour beaucoup de vivre dans un quartier politique de la ville : investir d'urgence pour les tout-petits (scolarisation des moins de 3 ans, places en crèche), combattre avec les enfants les obstacles à l'accès aux savoirs (les associer à des politiques publiques), garantir des ressources materielles et humaines pour une éducation de qualité (lutter contre le délabrement des bâtiments et du matériel, faire en sorte que les professeurs aient envie de s'investir et de rester dans leur établissement d'affectation), renforcer la formation des enseignants pour la réussite scolaire de tous, et un système éducatif qui cible et soutient financièrement les plus vulnérables (expérimenter une politique d'affectation des ressources aux établissements par nombre d'élèves en situation de vulnérabilité et pas seulement par quartier).
Des recommandations à prendre en compte pour l'Unicef qui affirme que l'intériorisation des injustices provoque "soit une soumission génératrice de retrait et de repli soit une révolte contre cette société qui ne sait pas voir les potentialités et le désir d'apprendre".