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Enfance - Vers une politique de l'enfance qui lutte contre "la spirale du malheur"

Près d'un enfant sur cinq (17%) vit dans une situation d'intégration sociale précaire dont 7% sont "déjà pris dans un processus de disqualification sociale", révèlent les résultats d'une consultation nationale menée pour l'Unicef auprès des 6-18 ans (*).
Ces résultats, publiés à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant, mercredi 20 novembre, ont été remis la veille à Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la famille, et George Pau-Langevin, ministre déléguée à la réussite éducative. Occasion pour l'Unicef France de rappeler au gouvernement la "nécessité" de parvenir à une "cohérence entre les politiques nationales et locales".

"Parions sur leurs politiques de proximité"

"Les collectivités locales, notamment les Villes Amies des enfants, sont des laboratoires d'innovation sociale capables de proposer des solutions", souligne l'Unicef, "leur expérience doit être prise en compte et passées à l'échelle nationale quand elles font leurs preuves". "Parions sur leurs politiques de proximité pour s'adresser de la manière la plus juste aux enfants et aux adolescents et contribuer à sortir les plus vulnérables de l'ornière dans laquelle ils sont tombés", dit le rapport. "A l'inverse, lorsque des politiques nationales sont transférées au niveau local, les moyens doivent être donnés pour agir", insiste-t-elle.
L'Unicef appelle par ailleurs à "une politique et un plan d'actions faisant clairement de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale des enfants et des adolescents une priorité" et à "la définition et la mise en œuvre d'une politique de l'enfance globale et transversale, du plus jeune âge à la fin de l'adolescence". Les deux étant, pour l'Unicef, indissociable. "Nous aurions tort de penser qu'il suffirait d'intervenir auprès de cette frange (des 17% vivant dans une situation précaire) pour résoudre les problèmes de l'intégration sociale des enfants", estime-t-elle, convaincue que "seule une politique globale et ambitieuse de prévention des risques, appliquée à l'ensemble des enfants, est susceptible d'endiguer de façon efficace le processus de disqualification sociale".

78% des enfants savent qui est leur maire

Quelques statistiques retiendront par ailleurs l'attention des élus locaux. Ainsi, la consultation de l'Unicef révèle que 93% des enfants interrogés, âgés de 6 à 18 ans, savent ce qu'est un maire, 78% savent qui est le maire de leur ville et 66% savent à quoi sert un conseil municipal. 60% affirment qu'ils peuvent dire ce qu'ils pensent aux élus du conseil municipal sur leur quartier ou leur ville et 62% indiquent qu'il existe un conseil municipal auquel ils peuvent participer. Dans le cadre scolaire, 69% des jeunes disent qu'ils peuvent donner leur avis sur les décisions prises pour le fonctionnement de leur école, de leur collège ou de leur lycée.
Au registre de la vie de tous les jours, la consultation montre que 95% des enfants ont des livres pour lire des histoires ou apprendre des choses adaptées à leur âge, 94% estiment qu'il y a à la maison assez de place pour leur famille, 94% ont au moins deux paires de chaussures qui leur vont, 93% ont des vêtements neufs et pas seulement ceux qu'on leur prête. 91% affirment qu'il fait assez chaud chez eux en hiver et 95% se sentent en sécurité chez eux. 76% des enfants ont une chambre pour eux tout seuls et 54% un téléphone portable, "ce qui est le signe d'une autonomie", commente l'Unicef. 70% disent utiliser un ordinateur et internet pour savoir ce qui se passe dans leur quartier, leur ville, leur pays ou dans le monde.

85% se sentent en sécurité dans leur quartier ou leur ville

85% des répondants se sentent en sécurité dans leur quartier ou leur ville et 89% disent savoir vers qui aller pour trouver de l'aide en cas de danger ou si quelqu'un leur fait mal. 85% peuvent facilement rencontrer des amis pour jouer ou discuter dans leur quartier ou leur ville. Ils sont toutefois 49% à reconnaître qu'il y a de la violence et 46% à affirmer qu'ils sont entourés près de chez eux d'enfants ou de jeunes qui peuvent leur faire mal. 26% ont d'ailleurs vécu une violence exercée par un proche de leur âge.
Dans le cadre scolaire, 93% disent se sentir bien à l'école, au collège ou au lycée et 91% en sécurité. Mais 55% disent aussi qu'ils peuvent être harcelés ou ennuyés par d'autres enfants ou jeunes et 35% avouent que des adultes leur font peur. 68% disent pouvoir confier leurs ressentis et raconter leurs problèmes à un adulte qu'ils apprécient au sein de leur établissement scolaire.
72% avouent que, à l'école, "leur journée est trop longue et qu'ils sont fatigués dans l'après-midi". 28% mettent plus d'une demi-heure pour se rendre à l'école, au collège ou au lycée le matin. 75% considèrent qu'il y a beaucoup de circulation dans leur quartier ou leur ville.
80% participent à des activités avec d'autres enfants en dehors de l'école, du collège ou de leur lycée, 72% pratiquent un sport chaque semaine le mercredi ou le week-end et 57% une activité de loisirs (musique, peinture, dessin…). 75% ont la possibilité d'aller à la médiathèque municipale ou scolaire. "L'ensemble de ces pratiques en dehors de l'école sont susceptibles d'évoluer en raison de la réforme récente des rythmes scolaires", note l'Unicef. 78% disposent d'aires de jeux près de chez eux.

C'est à l'école que 83% ont appris à manger équilibré

94% des enfants mangent trois repas par jour, 92% mangent au moins une fois par jour de la viande ou du poisson et 91% mangent des fruits et des légumes frais tous les jours. 83% affirment que "c'est au sein de leur établissement scolaire qu'ils ont appris à manger de manière équilibrée".
"La question de l'hygiène reste plus préoccupante", alarme l'Unicef, avec 85% des enfants qui considèrent que leur quartier est propre et seulement 67% que les toilettes de leur école, collège ou lycée le sont également. Seulement 84% considèrent que l'on respecte leur intimité aux toilettes de leur établissement scolaire, "ce qui signifie qu'un nombre non négligeable d'enfants sont touchés par ce problème pouvant entraîner un stress, voire un renoncement à satisfaire leurs besoins", alerte l'Unicef.
96% disent que leurs parents peuvent les emmener chez un médecin s'ils sont malades. Mais ils ne sont que 62% à affirmer qu'il y a une infirmière dans leur école, collège ou lycée, 55% à connaître des services de soins psychologiques pour enfants et jeunes et 72% à avoir un hôpital près de chez eux. La visite régulière chez le dentiste concerne 82% des répondants.
Certaines questions étaient adressées uniquement aux adolescents. 19% d'entre eux reconnaissent fumer, 28% avoir consommé de l'alcool de façon importante et avoir été en situation d'ivresse, 38% avoir été sollicités pour consommer de la drogue et 8% pour en diffuser. 52% d'entre eux affirment pouvoir se procurer facilement de l'alcool dans les commerces.
83% disent avoir été sensibilisés aux dangers de la cigarette. 79% disent avoir appris au collège ou au lycée l'importance d'utiliser des préservatifs et 79% également qu'ils peuvent facilement en obtenir. 84% déclarent qu'ils peuvent obtenir de l'aide et des conseils de professionnels de santé à propos du VIH/Sida et 86% à propos des maladies sexuellement transmissibles.

Cumul des inégalités

Le rapport a par ailleurs pu vérifier la thèse du "cumul des inégalités". Il apparaît en effet que les enfants les mieux intégrés dans une des quatre dimensions retenues dans l'étude (intégration dans leur famille, dans leur quartier, à l'école, à la vie de la collectivité) ont "une forte probabilité de l'être aussi dans les autres". Et inversement, "les enfants les moins bien intégrés le sont de façon quasi-systématique dans toutes les dimensions". Et de conclure : "Tout se passe comme si les instruments de la socialisation, loin de corriger les inégalités socio-économiques entre les enfants, ne faisaient en réalité que les renforcer. Les liens sociaux qui rattachent les enfants à leur famille, à leur quartier, à leur école et à la collectivité sont donc eux aussi source de profondes inégalités."
La médecin et thérapeute Catherine Dolto évoque "la spirale du malheur" pour ces enfants qui, vivant dans la précarité, se perçoivent aussi plus en difficulté à l'école ou dans leur famille, plus éloignés du système de soins, plus marginalisés dans leur quartier, plus en insécurité dans leur environnement proche et moins associés à la vie de la collectivité que les autres.

Valérie Liquet

(*) L'enquête a été menée de février à juillet 2013, auprès de 22.500 enfants et adolescents âgés de 6 à 18 ans, vivant en France dans 73 Villes Amies des enfants réparties sur tout le territoire, ainsi qu'à partir d'une plate-forme web dédiée. Elle a proposé aux participants de répondre à 133 questions couvrant les grands domaines de leur vie quotidienne et les aires essentielles de l'exercice de leurs droits. Les résultats statistiques ont été recueillis et compilés par TNS-Sofres. L'analyse sociologique a été confiée à Serge Paugam (CNRS/EHESS/ENS), sociologue spécialisé dans la pauvreté et les inégalités sociales. Catherine Dolto, médecin et thérapeute a "accompagné" le projet, souligne l'Unicef.

 

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