Les navettes autonomes à la croisée des chemins

Depuis près de dix ans, des navettes autonomes circulent un peu partout en France pour transporter des voyageurs, avec un bilan à première vue assez mitigé. Pour l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), il faut renoncer au rêve du robot taxi individuel, le véhicule collectif automatisé sur des lignes virtuelles étant la seule issue possible. C’est du reste la voie prise par la stratégie nationale qui promet 100 à 300 services opérationnels d’ici à 2030.

Le 10 février dernier, le gouvernement a détaillé ses actions prioritaires pour les deux ans à venir de sa feuille de route sur les véhicules automatisés (voir notre encadré ci-dessous). L’accompagnement des projets de véhicules autonomes des collectivités locales et le financement potentiel des premiers services commerciaux y figurent en bonne place. Deux décisions qui visent à sortir des logiques des expérimentations tous azimuts pour passer à des services formatés.

Un besoin à géométrie variable

Des expérimentations - plus de 150 depuis 2015 selon la plateforme France Mobilités -, dont le bilan paraît à première vue mitigé. À Saint-Quentin-en-Yvelines, par exemple, l’intégration de la navette en tant que 490e ligne du réseau de bus francilien avait été présentée comme une avancée majeure. Mais en dépit de "l’enthousiasme des usagers" et de la satisfaction de la collectivité sur les volets sécurité, confort et régularité, il n’est pas prévu à ce stade de la maintenir. À Lyon Confluence et à la Défense, où les navettes ont aussi circulé un temps, elles n'ont pas réussi à prouver leur véritable utilité. "Il n’y a pas eu d’étude de marché à Lyon et la Défense, l’objectif n’était pas de répondre à un besoin mais juste de montrer la technologie", défend Hubert Richard de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP).

La Banque des Territoires soutient les mobilités de demain

La Banque des Territoires investit dans les services innovants de mobilité.

À l’inverse, en milieu rural, où la communauté de communes Cœur de Brenne a achevé en décembre dernier un test sur 6 mois, 36 km et 4 communes, on fait valoir un bilan "très positif". "Sur notre territoire, il n’y a pas d’alternative à la voiture individuelle et de nombreuses personnes ont pu retrouver une mobilité grâce à la navette pour visiter un proche ou aller au marché. Ils n’ont pas compris pourquoi l’expérimentation devait s’arrêter", explique Jean-Bernard Constant, qui a suivi ce dossier à la communauté de communes. La navette semble aussi avoir fait ses preuves sur des sites industriels fermés (Michelin, Keolis…) ou encore sur le campus Beaulieu de l’université de Rennes 1 car elles évitent l’usage d’un véhicule individuel et permettent aux usagers de gagner du temps.

Bugs techniques en série

Si les attentes semblent là (mais pas partout), la technologie s’avère par ailleurs encore largement perfectible, notamment sur les navettes qui utilisent toute une batterie de capteurs, GPS et autres Lidars pour se repérer. Une navette a ainsi encore beaucoup de mal à s’insérer dans le flux d’un rond-point comme en témoigne l’expérience menée en périphérie de Rouen (lire cette expérience de Territoires conseils). Par ailleurs, "elle freine dur au moindre obstacle", concède Jean-Bernard Constant tout en soulignant que "paradoxalement, c’est en zone urbanisée que c’est le plus gênant, les liaisons inter-bourgs, où le véhicule testé pouvait atteindre 50 km/h, étant beaucoup plus fluides". Le mini bus a en revanche souffert de pertes régulières de sa connexion GPS du fait du feuillage ou de la météo, amenant l’opérateur à bord à devoir reprendre le contrôle.
Sur de nombreux sites d’expérimentation, la multiplication de ces micro incidents - sans accident - a pesé sur les temps de trajet. Ainsi, dans les zones partagées avec des piétons, la vitesse théorique de 20km/h a rarement été atteinte. À tel point que certains utilisateurs ont renoncé à la navette car il était plus rapide d’effectuer le trajet à pied… Autant de bugs qui ont pu refroidir l’enthousiasme des collectivités, Île-de-France Mobilités déclarant par exemple l’an dernier ne pas vouloir lancer de nouvelles expérimentations de navettes (voir notre article du 18 mars 2022). Plus récemment, les difficultés de l’ex-pépite de la French Tech Navya, un constructeur de navettes lyonnais, ne constituent pas un bon signal. Celui-ci a jusqu’en mars pour trouver un repreneur et laisse dans l’expectative les territoires ayant opté pour sa technologie.

On a vendu du rêve

À l’UTP, on relativise les problèmes techniques des navettes en rappelant qu’il s’agit d’expérimentations. "Regardez les premières expérimentations de métro dans les années 1900, cela n’a pas marché du premier coup et il a fallu lever les craintes de gens ayant peur d’être enterrés vivants", fait valoir Hubert Richard. Sa collègue Véronique Berthault ajoute : "Il a été fait beaucoup de chemin et on a appris de chaque expérimentation." Mais les deux experts veulent surtout déconstruire le mythe du robot-taxi ou du véhicule autonome individuel comme l’ont promu Google et d’autres industriels. "On a vendu un rêve qui n’était pas le bon. Il faut revenir à une réalité pragmatique. Le véhicule totalement autonome n’est pas pour demain, en revanche le véhicule automatisé est déjà là", souligne Hubert Richard.

Pour l’UTP, ce véhicule automatisé passe nécessairement par la puissance publique, car il ne peut s’imaginer que "partagé", pour répondre aux urgences écologiques, et "supervisé", afin de garantir aux usagers les standards de sécurité européens. Il faut enfin le concevoir dans une logique de "progressivité", en phase avec l’amélioration des technologies et l’accroissement des usages. Car selon l’UTP, la transition écologique va générer un accroissement significatif du trafic sur les réseaux publics d’ici 5 ans. 

Partir de cas d’usage

La stratégie française du véhicule automatisé et connecté se veut dès lors très pragmatique. "Elle part des usages et nous nous sommes efforcés de mettre des dates pour le déploiement de chaque service", explique Véronique Berthault.

Il s’agit à court terme de déployer des véhicules sur des sites fermés à la circulation (universités, hôpitaux, site industriel, centre piétonnier…). Il y a ensuite les dispositifs permettant du rabattage vers des lignes de transport. Il y a enfin les déplacements de pôle à pôle. "À cet égard, il y a un énorme potentiel avec les anciennes petites lignes ferroviaires où un véhicule automatisé est susceptible de leur faire retrouver une rentabilité", relève Hubert Richard. Car ce qui est envisagé est la mise en place de systèmes véritablement automatisés, sans humain à bord, mais avec des parcours prédéfinis (un rail virtuel ou réel) et un dispositif de supervision à distance. Et avant que le service ne soit commercialisé, des pilotes soutenus par les pouvoirs publics sont prévus pour sortir de l’expérimentation et consolider le modèle économique. Des services qui sont promis à devenir matures en 2025 avant de déployer 100 à 300 services – selon les chiffres avancés par le gouvernement - d’ici à 2030.

 
  • Passer de l’expérimentation au service

La stratégie nationale de développement du véhicule automatisé a été mise à jour et a défini ses priorités pour la période 2023-2025. Après la mise en œuvre d’un volet réglementaire finalisé à 90% (selon l’UTP), son objectif est désormais de faire émerger de véritables services de transports utilisant des véhicules autonomes. Quatre priorités ont été définies : 
1- Prioriser et coordonner les déploiements en matière de systèmes de connectivité et d’échanges de données.
2. Financer les projets d’investissements dans l’offre de véhicules et de services et accompagner les premiers déploiements commerciaux.
3. Accompagner les collectivités locales qui le souhaitent et les opérateurs pour le déploiement de services aux voyageurs. 
4. Finaliser le cadre juridique relatif au fret et à la logistique automatisés.