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Environnement - Les polices de l'environnement : des régimes sous bonne garde

Il n'y a pas une mais des polices de l'environnement. Une trentaine en tout, qu'un rapport fraîchement remis par des inspecteurs généraux aux ministres de l'Ecologie, de la Justice, de l'Intérieur et de l'Agriculture décrypte et remet à plat, après un an et demi de travail. Y sont retracés les rapports tendus entre police de l'eau, de la nature et les élus locaux. Des préconisations sont données pour améliorer une application homogène par région et département, l'efficacité du pilotage des contrôles, le suivi de leurs effets et leur mise en œuvre face à des milieux socioprofessionnels circonspects et des situations de tension.

La lecture est copieuse : 160 pages issues d'un travail d'un an et demi réalisé dans le cadre des travaux du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap). Le rapport remis aux ministres de l'Ecologie, de la Justice, de l'Intérieur et de l'Agriculture par les six membres du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), de l'Inspection générale de l'administration (IGA), de l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), revient pour commencer sur le morcellement de la trentaine de régimes actuels de polices de l'environnement. Un morcellement étroitement lié au fait que le droit de l'environnement s'est construit par couches successives, au fil des incidents et conflits d'usages. Ce qui évidemment complique la coordination car ces régimes mobilisent plusieurs ministères, des établissements publics sous tutelle - Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), parcs nationaux, Office national des forêts (ONF), etc.-, des services déconcentrés - directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) -, ainsi que certains services des collectivités locales au titre de gestionnaires d'espaces naturels.

Simplifier l'ensemble

Face à cela, un certain pragmatisme prévaut au sein des services compétents. Les équipes assurant l'exercice de ces polices administratives sont aussi attachées à leur autonomie. Un point à prendre en considération à l'aube d'une future Agence française de la biodiversité (AFB), incluant justement ces missions de police, et dont la création sera l'un des apports du projet de loi sur la biodiversité que l'Assemblée s'apprête à examiner. Du point de vue de cette mission, même si c'est tentant, il ne serait pas opportun de les regrouper. D'ailleurs, la création de l'AFB ne changerait rien à ce morcellement et "sera neutre à cet égard". Le mille-feuille de régimes est donc "difficilement simplifiable à court terme". Mais un meilleur pilotage opérationnel des services et plus d'efficacité sont possibles. Des expériences ont été engagées dans ce sens par les Etats généraux de modernisation du droit de l'environnement et une ordonnance issue du Grenelle 2 a simplifié ces polices de l'environnement (voir ci-contre notre article du 12 janvier 2012).

Mais cela n'a pas suffi. Il faut dire que les différences entre polices sont marquées. La police des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) est la plus ancienne (1810), la mieux ancrée et acceptée. Sûrement parce qu'elle fait appel au besoin de sécurité individuelle et vise à prévenir les risques, tout en étant fondée sur le dialogue et non le répressif. De même pour celle des ICPE agricoles : l'action des inspecteurs est appréciée des préfets rencontrés par la mission, qui s'est déplacée dans six régions et neuf départements. Laquelle estime toutefois inégale la pression de contrôle exercée : ce n'est pas que les contrôles soient trop peu fréquents - étant donné qu'il n'y a que 1.230 inspecteurs pour 500.000 installations, une installation serait inspectée une fois tous les 17 ans - mais, ce qui gêne la mission, c'est la situation des petites installations classées et des clandestines, qui n'est pas satisfaisante, et nécessiterait d'optimiser le plan pluriannuel de contrôle en travaillant différemment, et "en développant une évaluation des risques prenant en compte la qualité des installations et de leur exploitation".

Comment les conforter ?

Les polices de l'eau et de la nature mériteraient d'être encore mieux pilotées au niveau départemental. Dans les services déconcentrés, la mission pointe "un nombre limité d'agents possédant des compétences dans ces domaines". Les polices de la nature sont principalement mises en œuvre par des agents assermentés des établissements publics : ONCFS, parcs nationaux et régionaux, réserves naturelles. Mais en dehors de ces parcs, où "il s'agit d'une police des activités et territoires", "elles demeurent trop souvent une police de la chasse", au poids écrasant. La mission préconise donc d'ouvrir le champ des domaines de contrôle, par exemple pour vérifier le respect des mesures compensatoires prescrites dans le cadre de dérogations officielles sur les espèces protégées. Autres domaines défaillants : le respect peu surveillé des arrêtés préfectoraux de protection biotope (APPB) ou celui des sites Natura 2000. Ces polices sont aussi "plus délicates à faire accepter et comprendre". Passe encore celle de la chasse, globalement "admise par les intéressés" (fédération) et dont les fonctions régulatrices sont "bien perçues". Mais dans le domaine bien plus sensible de l'eau, la mission estime qu'il faut "faire la part des choses" face aux critiques aiguisées par les situations de précarité de certains milieux socioprofessionnels.

Vives critiques

Les agriculteurs sont les plus critiques : ils contestent moins les règles que les modalités d'intervention des agents de l'Onema. Dans une posture et une tonalité parfois "plus politique que technique". Là où les contrôles sont perçus comme les plus mal pilotés, c'est sur les zones humides, les bandes enherbées et le chevelu des cours d'eau. Un groupe national se penche d'ailleurs à la demande du ministère sur le sujet, avec en vue l'élaboration d'une doctrine visant à dépasser les conflits récurrents liés aux règles d'identification des cours d'eau et à leur entretien. Les tensions sont variables en fonction des départements et, paradoxalement, il semble que c'est là où il y a moins de contrôles qu'elles sont les plus vives. Rares sont pourtant ceux qui débouchent sur des procédures judiciaires (à peine une trentaine par an). La police de l'eau fait figure d'exemple en Bretagne, où les contrôles sont fréquents et où elle est mieux acceptée : il y a eu, observe la mission, comme un phénomène "d'accoutumance progressive". Quand ils visent des projets municipaux ou intercommunaux d'aménagement, les élus aussi se rebiffent : "L'exercice de la police de l'eau est alors perçu comme générateur de retard ou de blocages." Un meilleur phasage et plus de souplesse sont alors réclamés.

Peu d'indicateurs et de statistiques

Le suivi du petit millier de transactions pénales proposées (en 2013) dans les domaines de l'eau, de la pêche et des parcs nationaux et celui des 71.000 infractions au droit de l'environnement plus largement commises (en 2012) existent, et ce grâce à des indicateurs de moyens mais trop peu de résultats. Les plus correctement renseignés et mis à jour existent "mais ne sont pas nombreux". Identifier les plus pertinents et les structurer pourrait donc figurer au rang des missions de l'AFB . Trop peu d'entre eux permettent en effet, pour la police de l'eau, d'apprécier "la pression de contrôle", c'est-à-dire le nombre de contrôles effectués, par rapport aux sites ou actes qui sont à contrôler. Pour mieux évaluer l'efficacité du dispositif, une comparaison des moyens mis en œuvre au niveau européen "serait utile". Les missions interservices de l'eau et de la nature (Misen) pourraient aussi mieux tourner.

Quant au besoin d'une meilleure coordination, il se fait aussi sentir au niveau régional. La mission cite à ce sujet les exemples de la Bretagne et de l'Aquitaine, où l'animation régionale est plus poussée qu'ailleurs. Les statistiques disponibles, elles, ne rendent toujours pas bien compte de l'activité des juridictions pénales en matière d'environnement. Des difficultés qui se retrouvent au niveau des parquets, où les tableaux de bord "atteintes sur l'environnement" n'ont pas été créés malgré les préconisations allant dans ce sens, issues d'un précédent rapport interministériel datant de 2005. Une bonne chose : les juridictions se sont en revanche spécialisées, par exemple sur la pollution et les incidents dans les eaux territoriales (les juridictions sur le littoral spécialisées ou Julis créées en 2001, qui concernent six tribunaux de grande instance). Pour centraliser les procédures, il faudrait aussi nommer les magistrats "référents environnement" dans "un seul parquet par département" (celui du tribunal de grande instance du siège de la préfecture). Du bon sens. Mais l'emportera-t-il à l'épreuve du terrain ?

 

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