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Cour des comptes - Politique de l'eau : l'Onema épinglé pour sa "gestion défaillante"

Le rapport 2013 de la Cour des Comptes est particulièrement sévère pour l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema). Il pointe une "accumulation de missions mal assurées" et des "déficiences dans l'organisation et la gestion".

"Missions mal assurées", "anomalies" dans la passation et l'exécution de marchés publics, "failles" dans l'organisation... La Cour des comptes, dans son rapport publié ce 12 février, pointe la "gestion défaillante" de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), par ailleurs visé par une plainte liée à des soupçons de fraude. Placé sous la tutelle du ministère chargé de l'Environnement, l'Onema a été créé par la loi sur l'eau du 30 décembre 2006 et par un décret du 25 mars 2007 et a succédé au Conseil supérieur de la pêche. Il emploie quelque 900 personnes et dispose d'un budget annuel de plus de 110 millions d'euros (chiffres de 2011), financé pour l'essentiel par un prélèvement sur la redevance sur l'eau perçue par les agences de l'eau, auquel s'ajoutent des crédits du plan Ecophyto de lutte contre les pesticides financé par la redevance "pollutions diffuses" (49 millions d'euros en 2011).
L'office est appelé à travailler avec de nombreuses entités (services de l'Etat, collectivités territoriales et leurs services d'eau et d'assainissement, agences de l'eau, offices de l'eau, instances de bassins, etc.) et joue un "rôle central" dans la politique publique de l'eau en assurant notamment des missions de recueil et de diffusion des données sur l'eau et ses usages, de protection et de surveillance de l'eau et des milieux aquatiques, "domaines dans lesquels des directives européennes imposent des obligations aux Etats membres de l'Union européenne", rappelle la Cour. Mais, constate-t-elle, "l'ampleur et l'accroissement des missions confiées à l'Onema, dans un contexte mouvant, complexe et soumis à la pression d'échéances communautaires, n'ont pas été accompagnés par la mise en place de moyens à la hauteur des enjeux. Il en est résulté de nombreuses défaillances et irrégularités dans la gestion administrative et financière qui ont nui à l'efficacité de l'action du nouvel établissement public".

Mise en oeuvre "défaillante" du système d'information sur l'eau

En termes de moyens, la Cour des comptes estime que les recommandations qu'elle avait faites à l'issue de son contrôle du Conseil supérieur de la pêche en 2007 afin d'assurer dans de bonnes conditions le transfert entre les deux établissements "n'ont pas été suivies". Elle note une mise en œuvre "défaillante" du système d'information sur l'eau (SIE), qu'elle présente comme "l'outil central permettant à la France de rendre compte à la Commission européenne de l'application des nombreuses directives sur l'eau applicables en la matière (directive cadre sur l'eau, directives sur les eaux résiduaires urbaines, les nitrates, les boues d'épuration, les eaux souterraines, les normes de qualité environnementales, les inondations, l'eau potable, les eaux de baignade et les eaux conchylicoles)". Son coût est estimé à plus de 80 millions d'euros par an, dont 28,8 millions d'euros gérés par l'Onema. Selon la Cour, l'office ne dispose "ni des effectifs ni des compétences nécessaires à la coordination des projets informatiques liés au SIE et de ses propres projets". Elle fait état "de nombreuses anomalies" détectées dans la passation et l'exécution des marchés informatiques, "l'Onema s'affranchissant souvent des règles du Code des marchés publics". "La réaction de la direction générale de l'Onema a été tardive et les mesures prises n'ont pas été à la hauteur des carences constatées", soulignent encore les magistrats. Une enquête préliminaire sur des soupçons de fraudes sur la passation de marchés publics, en particulier sur les marchés informatiques, est d'ailleurs ouverte depuis juillet 2012 après le dépôt d'une plainte par le Syndicat national de l'eau (SNE-FSU), selon le parquet de Créteil (Val-de-Marne). Selon une source proche du dossier, les enquêteurs ont commencé à entendre certains personnels de l'Onema et travaillent actuellement à identifier le schéma général de la fraude présumée.

Contrôles "insuffisants" sur les nitrates

Le rapport de la Cour des comptes se penche également sur la mission de police de l'eau de l'office. En 2011, ce dernier "a réalisé 27% des contrôles effectués, tous services confondus (22.798 contrôles, sur un total de 83.342)". La Cour juge en particulier les contrôles sur les nitrates "insuffisants" au regard des actions contentieuses engagées par la Commission européenne sur ce type de pollution. "La circulaire du ministère de l'Environnement du 12 novembre 2010 fixe en effet un objectif de contrôle peu ambitieux au regard des enjeux : dans les zones les plus sensibles, 1% seulement des exploitations d'un département font l'objet d'un contrôle. Ce taux, à comparer avec ceux des stations d'épuration (20%) ou des seuils et barrages (100 %), n'est pas de nature à contribuer à une diminution de la pollution de l'eau par les nitrates."
"En l'absence de données comparables d'une année à l'autre, d'un recensement complet des ouvrages à contrôler et d'indicateurs pertinents, il est difficile de porter une appréciation sur l'activité de police de l'eau en général et de celle de l'Onema en particulier", souligne toutefois la Cour. Elle rappelle qu'à l'issue de son contrôle sur la police de l'eau en 2009, elle "avait pourtant recommandé d'améliorer l'examen des suites données aux procédures".
La Cour pointe aussi les "déficiences" dans l'organisation et la gestion de l'Office. Elle s'étonne d'abord de "la confusion des rôles de présidence et de tutelle", qualifiant d'"anomalie" le fait que la présidence de l'Onema soit assurée, depuis sa création, par la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Ecologie. "Cette situation, initialement retenue à titre provisoire, conduit à des interférences entre deux fonctions bien distinctes et dont les intérêts peuvent diverger. Elle soulève la question de l'autonomie de l'Onema en tant qu'établissement public. Elle peut altérer le dialogue et les négociations avec l'État, s'agissant notamment des missions confiées à l'Onema. Elle entraîne de facto l'abandon de la fonction de commissaire du gouvernement, ce dernier n'assistant plus aux séances du conseil d'administration." Cette "confusion des rôles" explique également le fait que "la tutelle n'a pu jouer son rôle en exigeant de l'Onema un effort accru en matière de bonne gestion, alors que la Cour des comptes l'avait recommandé".
Les magistrats critiquent en outre l'inadéquation des moyens alloués aux fonctions support, tandis que les directions "métiers" ont vu leurs effectifs augmenter entre 2008 et 2011. Résultat : "La faiblesse en effectifs et en compétences, conjuguée à la montée en puissance des directions 'métiers' et à l'accroissement des besoins de ces dernières, a conduit à une pression accrue sur les fonctions support, souvent dans l'impossibilité de traiter des sujets de fond, de consacrer suffisamment de temps à l'analyse de problématiques, de concevoir et de mettre en place des procédures ou encore de veiller à la qualité juridique des décisions prises au sein de l'établissement. Cette situation explique en partie les nombreux dysfonctionnements constatés par la Cour dans la gestion de l'Onema." Le rapport reproche également des "lacunes de la gestion comptable et financière" et la gestion "irrégulière et coûteuse du personnel".
Il se termine par six recommandations : "séparer les fonctions de tutelle et de présidence du conseil d'administration", "fiabiliser les comptes", "mettre en place un pilotage et un suivi rigoureux des projets informatiques", "réorganiser le dispositif territorial", "revoir les pratiques de gestion des ressources humaines", "poursuivre les actions menées en matière de police de l'eau", et surtout augmenter "significativement" les contrôles sur la pollution aux nitrates.

La réponse du ministère de l'Ecologie

"L'analyse réalisée par la Cour concernant les moyens dont dispose l'Onema rejoint […] les préoccupations de sa tutelle", écrit la ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie dans sa réponse publiée à la fin du rapport. "La reprise des travaux permettant à l'Onema de recruter, dans des conditions satisfaisantes, le personnel dont il a besoin pour accomplir ses missions est, tout comme l'évolution du statut des techniciens de l'environnement et des agents techniques de l'environnement, inscrite à l'agenda social de mon département ministériel. Ces travaux prendront en compte les spécificités en matière de ressources humaines des établissements publics qui partagent ces questions statutaires, dont l'Onema", précise Delphine Batho. La ministre explique que l'Onema a dû "construire un système d'information compatible avec les exigences européennes", d'où une "augmentation notable des procédures d'achat, particulièrement en matière informatique", passées de 15 par an à plus de 70. "Des défaillances ont été constatées mais le suivi financier des projets informatiques mis en place à partir de 2011 a permis de fiabiliser les procédures", assure Delphine Batho qui souligne que le renforcement du contrôle de la commande publique et du service des marchés est "une priorité immédiate du prochain contrat d'objectifs". "Il faut néanmoins souligner que le nombre, la rapidité et la complexité des projets que l'Onema a dû mettre en place simultanément en expliquent en grande partie le coût. Sur ce point, il est à noter que l'action de l'Onema directement liée aux exigences de la directive cadre sur l'eau a contribué au fait qu'aujourd'hui la France soit un des rares pays de l'Union européenne envers lequel aucune procédure contentieuse directive cadre sur l'eau n'a été engagée."
Au sujet de la présidence du conseil d'administration, le ministère indique qu'un projet de décret "sera transmis sous peu au Conseil d'Etat". Il doit permettre à l'établissement d'avoir "une présidence 'classique' de conseil d'administration" et "de redonner tout son rôle au commissaire du gouvernement". Enfin, à propos des insuffisances structurelles de la politique de l'eau mises en évidence dans le rapport de la Cour des comptes, la ministre de l'Ecologie a rappelé dans un communiqué ce 12 février son souhait d'engager une évaluation de cette politique dans le cadre du chantier de modernisation de l'action publique. Des scénarios d'évolution seront présentés à la conférence environnementale en septembre 2013 et un plan d'action de modernisation de cette politique sera lancé au mois d'octobre. Dans un communiqué disctinct, l'Onema a indiqué qu'il "prendra(it) en compte les recommandations de la Cour dans son contrat d'objectifs 2013-2018", assurant que "depuis 2010", l'office "a progressivement régularisé des pratiques héritées du passé pour améliorer le pilotage et la gestion de son activité".
 

 

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