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L'État peut facturer la sécurité des manifestations, mais pas à n'importe quel prix

Une décision du Conseil d'État revient sur la question de la mise à disposition de forces de police ou de gendarmerie pour assurer la sécurité d'une manifestation sportive ou culturelle, qui avait donné lieu à une circulaire de Gérard Collomb en 2018. Une mise à disposition que l'organisateur de la manifestation doit en partie rembourser. Des précisions sont apportées sur cette indemnisation des services d'ordre.

 

Dans une décision du 16 mars 2021, le Conseil d'État écarte le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise. Cette décision apporte un éclairage intéressant sur une question qui agite beaucoup le monde des manifestations sportives et culturelles depuis une circulaire du 15 mai 2018 signée de Gérard Collomb, alors ministre de l'Intérieur : celle du coût de la mise à disposition de forces de police ou de gendarmerie pour assurer la sécurité d'une manifestation de cette nature. En 2019, la mise en œuvre de cette circulaire avait donné lieu à la fois à une mission flash de l'Assemblée nationale et à une mission d'information du Sénat (voir nos articles du 21 février et du 19 avril 2019), ainsi qu'à la création d'un fonds d'intervention pour la sécurité des sites et manifestations culturels (voir notre article du 20 mars 2019).

Le caractère discutable de la circulaire Collomb n'ôte rien à la légalité des dispositions du CSI

L'affaire concerne la société d'exploitation de l'Arena, qui gère la salle "Paris La Défense Arena", située sur le territoire de la ville de Nanterre (Hauts-de-Seine). En l'espèce, la société demandait au TA de Cergy-Pontoise l'annulation pour excès de pouvoir des titres de recette émis à son encontre par le préfet de police les 7 juin et 8 juillet 2019 et des décisions implicites par lesquelles ce dernier a rejeté ses recours. En même temps que son recours, la société demandait au TA de transmettre une QPC portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du deuxième alinéa de l'article L.211-11 du Code de la sécurité intérieure. Celui-ci précise que "les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d'y assurer un service d'ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie".
On ne s'attardera pas sur le raisonnement juridique qui conduit le Conseil d'État à refuser la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel. On retiendra plutôt les précisions apportées par la Haute juridiction sur la question du dédommagement de la mise à disposition des forces de l'ordre dans ce cas de figure. Ainsi, la décision rappelle que l'article L.211-11 du Code de la sécurité intérieure (CSI) dispose que "les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt". Le fait que la circulaire du 15 mai 2018 a donné de ces dispositions une interprétation contestée n'ôte rien à la constitutionnalité de cet article du CSI. 

L'organisateur a le choix, mais doit l'assumer

Autre précision apportée par la décision du Conseil d'État : les dispositions contestées ne prévoient pas d'obligation, pour les personnes physiques ou morales concernées, de confier aux forces de police ou de gendarmerie les services d'ordre qu'elles mettent en place pour leurs propres besoins. Autrement dit, elles peuvent avoir recours à des services d'ordre privés (ce qui est au demeurant un cas fréquent). Et, lorsqu'elles décident néanmoins de faire appel aux forces publiques, seules doivent être remboursées à l'État les dépenses "correspondant aux missions qui, exercées dans leur intérêt, excèdent les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l'intérêt général". Ces dispositions ne méconnaissent donc pas le principe de l'égalité devant les charges publiques. 
Enfin, le Conseil d'État précise que si les dispositions contestées prévoient que les forces de police ou de gendarmerie peuvent mettre en place un service d'ordre "pour le compte" de personnes privées, "elles n'ont, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de soumettre les forces de police ou de gendarmerie exerçant de telles missions à l'autorité de ces personnes privées". Le fait que les textes réglementaires prévoient la signature d'une convention entre la personne privée et l'autorité compétente de l'État ne méconnaît donc pas l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, prévoyant que "la garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée".

Références : Conseil d'État, 5e et 6e chambres réunies, décision n°448010 du 16 mars 2012 (mentionnée aux tables du recueil Lebon).
 

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