Loi Énergie-Climat : un bilan avec, en ligne de mire, la loi de programmation
Alors que l’agenda législatif s’emballe sur les enjeux liés aux questions énergétiques, l’évaluation de la loi "Energie-Climat" de 2019 que propose un rapport d’information dévoilé ce 9 mai s’avère particulièrement opportune pour nourrir le débat, dans la perspective de la première loi de programmation qui devra fixer de nouveaux objectifs.
Un nouveau bilan d’étape de la loi du 8 novembre 2019 dite "Énergie-Climat" a été présenté à l’Assemblée nationale le 9 mai – donc environ trois ans après son entrée en vigueur –, devant la commission des Affaires économiques, par Marie-Noëlle Battistel (Soc., Isère) et Pascal Lavergne (RE, Gironde). Ce texte de loi a déjà fait l’objet de plusieurs travaux de contrôle parlementaire, tant à l’Assemblée qu’au Sénat courant 2021.
Cette fois-ci, l’évaluation se situe dans "une période charnière sur les enjeux liés aux questions énergétiques", marquée par la hausse des prix de l’énergie et l’examen imminent de la première loi de programmation relative à l’énergie et au climat (LPEC), dont le principe avait d’ailleurs été acté par la loi Energie-Climat elle-même. Les projets de loi relatifs à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires se sont succédé devant le Parlement "à l’envers de toute logique", regrette Marie-Noëlle Battistel, alors qu'il aurait "été évidemment pertinent de commencer par la LPEC qui fixe les objectifs et de poursuivre par les lois qui nous donnent les moyens de les atteindre".
Avec la LPEC de nouveaux objectifs attendus
Premier constat : l’échéance d’une publication de la loi de programmation d’ici le 1er juillet 2023, ne sera pas tenue. La mission invite donc à déposer la LPEC devant le Parlement "dans les meilleurs délais", c’est-à-dire à l’automne comme le gouvernement l’a annoncé, et à publier dans la foulée la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui en découlera. Des concertations sur l’avenir du mix énergétique sont également en cours dans le cadre de la Stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC). Il sera important de les "restituer dans l’étude d’impact de la LPEC", insiste le rapport. Jusqu’ici, le gouvernement a procédé un peu en ordre dispersé en matière de politique énergétique au travers de plusieurs dispositifs parallèles. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) doit aussi pouvoir "contribuer au débat".
Le rapport n'y va pas par quatre chemins : la LPEC devra muscler les objectifs en tenant compte du rehaussement de l’objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre à -55 % en 2030 du paquet climat "Fit for 55". Un effort majeur est encore nécessaire pour réduire la dépendance aux énergies fossiles, en particulier au gaz naturel.
Sur les énergies renouvelables, la France n’a pas réussi à augmenter la part de celles-ci à 23% de la consommation finale brute d’énergie en 2020. La loi d’accélération des énergies renouvelables (ENR) constitue néanmoins "un pas en avant", reconnaît Pascal Lavergne. Un bilan carbone "plus exigeant" pourrait être étudié pour mieux discriminer les projets. Tout n'est pas opérationnel… Le rapport regrette entre autres que "trop de lenteurs" subsistent sur les contrats d’expérimentation pour l’électricité et le gaz renouvelable et bas-carbone. S’agissant des garanties d’origine du biogaz des interrogations persistent aussi sur la transition entre les différents systèmes prévus par la loi. Un point positif : "le bac à sable réglementaire" de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui permet d’accorder des dérogations pour le déploiement, à titre expérimental, de projets en faveur de la transition énergétique, "fonctionne bien".
Pas suffisamment de recul sur le volet rénovation énergétique
Le débat à venir sera également l’occasion d’aborder la problématique de la rénovation énergétique. Le rapport soutient à cet égard fortement l’inclusion d’objectifs de sobriété dans la future loi de programmation, en tenant compte du bilan du plan gouvernemental initié à l’automne. Mais il n’aborde la performance énergétique des bâtiments que de manière assez succincte. L'évaluation de certaines dispositions est en effet jugée "prématurée", tant ces dernières ont fait l’objet d’évolutions récentes, notamment à travers la loi Climat et Résilience. Il est notamment "trop tôt" pour dresser le bilan de l'interdiction des "pires passoires thermiques à la location", dont l’entrée en vigueur date seulement de janvier dernier.
Le rapport met néanmoins l’accent sur un point déterminant : l’accompagnement des propriétaires pour financer les travaux de rénovation et pour faciliter la prise de décision. Le système d’aides au financement de rénovation des bâtiments gagnerait, selon lui, à être "plus lisible". Et une vigilance particulière devra être apportée concernant l’agrément des opérateurs privés, qui doit permettre à d’autres acteurs que les conseillers des Espaces France Rénov' d’assurer le rôle d’assistance opérationnelle aux particuliers.
Du mieux dans la lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergie
La lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergie (CEE) produit ses effets. Le rapport invite cependant à ne pas baisser la garde en veillant "à maintenir des moyens suffisants pour le PNCEE [Pôle national des certificats d’économies d’énergie] afin de ne pas minorer le volume de contrôles effectués par ses services au regard de l’ensemble des contrôles effectués" (à savoir ceux opérés par les demandeurs de CEE eux-mêmes). Le dispositif est "encore perfectible". Une réflexion pourrait notamment être engagée pour relever le taux des sanctions. Un travail serait en outre à faire sur les exigences liées à "l’octroi de la qualité reconnu garant de l’environnement (RGE)". "Les entreprises ainsi qualifiées, qui constituent l’amont de la chaîne, doivent, en effet, aussi être responsabilisées", remarque le rapport.
Des dossiers trop longtemps en attente…
C’est le cas sur l’hydroélectricité. Il aura ainsi fallu patienter trois ans pour rendre applicables les dispositions sur les augmentations de puissance. Il faut à présent "mettre le turbo pour rattraper le temps perdu", et ainsi "débloquer en urgence les dossiers de demande de suréquipement des concessions encore en attente, ce qui contribuera à améliorer la sécurité d’approvisionnement en électricité", insiste Marie-Noëlle Battistel. Reste le problème de fond du renouvellement des concessions hydroélectriques. Un véritable serpent de mer pour lequel le rapport appelle le gouvernement "à redoubler d’efforts pour régler la situation avec la Commission européenne".
Le cadre juridique applicable à l’hydrogène demeure lui aussi incomplet car encore largement tributaire des décisions prises en la matière au niveau de l’Union européenne, particulièrement sur le statut de l’hydrogène bas-carbone.
Parmi les dispositifs suspendus à la prise de mesures réglementaires, le rapport cite encore le dispositif des communautés d’énergie. Il invite à ce sujet à la même vigilance que pour l’autoconsommation en ce qui concerne les enjeux de péréquation tarifaire et de bon fonctionnement des réseaux.
Enfin, pour ce qui est des réseaux de chaleur et de froid, le décret d’avril 2022 prévoit que le classement automatique sera pleinement opérationnel à partir du 1er juillet 2023, lors de l’entrée en vigueur du périmètre de développement prioritaire. Il est donc trop tôt pour en évaluer l’intégralité des retombées. Quelques retours de terrain figurent toutefois dans le rapport. Ainsi, pour la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) "l’ajout d’un critère dérogatoire au classement automatique, lié à une analyse économique sans en préciser le cadre, conduit chaque collectivité à travailler individuellement, (…) ce qui n’est pas de nature à faciliter la mise en œuvre du nouveau dispositif, ni à lui apporter une bonne lisibilité".
Crispation sur l’Arenh
Le relèvement du plafond à 120 TWh en 2022, en pleine crise énergétique, "a lourdement pesé sur la situation financière d’EDF", relève le rapport. L’Arenh (accès régulé à l'énergie nucléaire historique) prend fin en 2025, il convient de déterminer un mécanisme de régulation qui lui succèdera, en tenant compte de ces dysfonctionnements.
Le rapport appelle par ailleurs à apporter une vigilance particulière au sort des consommateurs qui perdront le bénéfice des tarifs réglementés du gaz (TRVg) au 1er juillet 2023, alors que le contexte sur les marchés de l’énergie est encore très tendu. Il est nécessaire, insiste-t-il, d’acter la prolongation du bouclier tarifaire gaz jusqu’à la fin de l’année afin d’accompagner la fin des TRVg, comme cela est permis par la loi de finances pour 2023