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Loi Pacte : quand l'économie "ruisselle" sur les collectivités

Après un parcours long et mouvementé, la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été promulguée le 23 mai 2019, après avoir été adoptée par le Parlement le 11 avril 2019.  Le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel du texte le 16 mai, rejetant les arguments de l'opposition contre sa mesure la plus controversée, la privatisation du groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), qui fait cependant l'objet d'une procédure de référendum d'initiative partagée. Le texte, qui vise à donner aux entreprises les moyens "d'innover, de se transformer, de grandir, et de créer des emplois", a des allures de patchwork (24 articles ont ainsi été considérés par les Sages comme des "cavaliers législatifs" et retirés). Dans ces méandres, de nombreuses dispositions intéressent l'environnement des collectivités. Revue de détail.

Privatisations 

C'est la mesure la plus controversée de la loi : la privatisation d'ADP (ex-Aéroports de Paris). L'Etat pourra procéder à la vente au privé de tout ou partie des actifs qu'il détient, soit 50,63% des parts représentant quelque 9,5 milliards d'euros (articles 130 à  136). Le 16 mai, le Conseil constitutionnel a validé la procédure estimant que le gestionnaire des aéroports de Paris n'était pas en situation de monopole et qu'il ne constituait pas en l'état un service public national.
Des garanties sont prévues : la limitation des droits d'exploitation des aéroports franciliens à 70 ans, le transfert de la propriété des actifs à l'Etat à l'issue de cette période d'exploitation et la formalisation dans la loi des outils actuels de maîtrise de l'Etat sur les actifs et l'activité doivent ainsi permettre la bonne exécution du service public par les nouveaux actionnaires, et la préservation des intérêts de l'Etat. Un cahier des charges formalise aussi les pouvoirs du ministre chargé de l'aviation civile pour définir, contrôler et sanctionner les obligations de service public confiées à la société ADP. D'autres garanties sont apportées sur le foncier et les nuisances des riverains.
La loi Pacte donne aux collectivités d'Ile-de-France, à leurs groupements et au département de l'Oise la possibilité de détenir des parts d'ADP. Ils pourraient par exemple être regroupés au sein d'un consortium de collectivités.
Toutefois, le projet du gouvernement est contrarié par une procédure de référendum d'initiative partagée engagée par 250 parlementaires, issus de tous bords. La procédure a été validée le 9 mai 2019 par le Conseil constitutionnel. Elle pourrait conduire à annuler cette privatisation qui, quelle que soit l'issue du RIP, sera au moins retardée de neuf mois. La loi Pacte ouvre également le capital de la Française des Jeux et d'une partie des parts de l'Etat dans Engie.

Financer "l'innovation de rupture"

Le produit des privatisations engagées par la loi doit aider au désendettement du pays et alimenter le nouveau fonds pour l'innovation de rupture lancé le 15 janvier 2018 (article 147). Les 10 milliards d'euros de dotations du fonds n'ont pas vocation à être consommés, c'est le rendement attendu de ces crédits (soit entre 200 et 300 millions d'euros par an) qui sera utilisé pour financer l'innovation de rupture (intelligence artificielle, nanoélectronique, stockage d'énergie...) sous forme d'avances remboursables ou de prêts. Un mécanisme jugé complexe par la Cour des comptes, dans un rapport du 15 mai, estimant qu'il eut été préférable d'augmenter les moyens de Bpifrance.

Simplification de la création d'entreprise

L'objectif numéro 1 de la loi est de faciliter la vie des entreprises. En matière de création d'entreprises, elle crée une plateforme en ligne unique qui remplacera les sept réseaux de centres de formalités, avec une mise en place progressive à horizon 2021 (articles 1 et 2). La plateforme sera le seul point d'entrée pour les formalités de l'entreprise, quelles que soient son activité et sa forme juridique. Toutefois, les maires et présidents d’intercommunalités resteront compétents pour certaines demandes spécifiques, comme les créations de chambres d’hôtes, de débits de boissons, d'établissements recevant du public, ou de piscines. 
Par ailleurs, un registre général dématérialisé centralisera et diffusera les informations relatives aux entreprises à compter de 2021 ; il regroupera ainsi les données contenues dans plusieurs registres actuels.
Pour les entreprises artisanales, le texte rend le stage de préparation à l'installation facultatif et moins cher (194 euros contre 400 euros actuellement en moyenne). Il prévoit aussi la mise en œuvre d'actions collectives de communication et de promotion à caractère national en faveur de l'artisanat et des entreprises artisanales.
La loi supprime aussi l'obligation d'un compte bancaire pour l'activité professionnelle des micro-entrepreneurs qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 5.000 euros annuels. Des entrepreneurs qui sont aussi exonérés de cotisation foncière des entreprises (CFE) depuis la loi de finances pour 2018. 

Nouvelle exonération de CFE

Justement, la loi Pacte prévoit une nouvelle exonération de CFE. Ainsi, les communes et les EPCI à fiscalité propre peuvent prendre une délibération pour exonérer de CFE les coopératives agricoles de moins de 11 salariés (article 12).

Trois niveaux de seuils d'effectifs

La loi simplifie les seuils d'effectifs imposant des obligations sociales et fiscales. Elle n'en retient plus que trois : 11, 50 et 250 salariés (article 11). Le seuil de 20 salariés est supprimé, à l'exception de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH).
Pour assouplir les effets de seuil, les obligations qui y sont rattachées ne seront applicables qu'après cinq années civiles consécutives. Pour aider les PME à mieux gérer leur trésorerie, le texte prévoit d'augmenter, par décret, le taux minimal des avances versées par l'Etat aux PME titulaires de marché public de 5 à 20%. Il relève aussi les seuils de certification légale des comptes au niveau européen : désormais, seules les entreprises remplissant 2 des 3 conditions suivantes seront obligées de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes : un bilan supérieur ou égal à 4 millions d’euros, un chiffre d’affaires hors taxes supérieur ou égal à 8 millions d’euros, un effectif supérieur ou égal à 50 personnes.
Cet effort de simplification aura des incidences sur les finances des collectivités. Il fait passer de 20 à 50 salariés le seuil à partir duquel un employeur se verra appliquer le taux majoré (0,5%) de participation au Fnal (Fonds national d’aide au logement) ou devra participer à l'effort de construction (PEEC) qui sert  à investir dans le logement des salariés, dispositif également appelé le "1% logement". Le versement transport, obligatoire pour toutes les entreprises de plus de onze salariés, sera également impacté par le délai de cinq ans consécutifs de dépassement de seuil. Ces mesures se chiffrent en dizaines de millions d'euros, selon l'étude d'impact de la loi.

Des services payants pour les CCI

Le texte contient une nouvelle réforme des chambres de commerce et d'industrie ; pas moins de 12 articles leur sont consacrés (articles 40 à 51). Confrontées à la baisse de leurs ressources fiscales, les CCI proposeront de nouveaux services payants aux entreprises. Les missions d'intérêt général restent en revanche financées par la taxe pour frais de chambre (TFC) acquittée par les entreprises mais dont le montant va continuer de baisser. Ces missions sont recentrées autour de quelques axes : l'accueil et la représentation des entreprises, l'appui à la création, à la transmission et à l'exportation des entreprises (dans le cadre de la Team France Export), mais aussi l'appui aux territoires (lutte contre les fractures territoriales). 
Par ailleurs, les chambres ne recruteront quasiment plus que sous statut privé (les anciens agents sous statut consulaire pourront aussi opter pour le privé). CCI France, l'organisation faîtière du réseau, exercera désormais un pouvoir hiérarchique, sous la tutelle de Bercy. La loi clarifie aussi les relations entre les CCI et les régions et métropoles, en leur permettant d’agir en tant qu’agences de développement économique régionales ou métropolitaines.
Toutes ces orientations se retrouvent dans le contrat d'objectifs et de performance signé le 15 avril entre CCI France et l'Etat.
La loi consacre aussi la régionalisation  des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) à compter du 1er janvier 2021 (article 42). Il n'y aura ni fusion ni mutualisation entre les CMA et les CCI exerçant sur un même territoire, comme évoqué un temps, mais elles devront mener des actions communes et se coordonner.

La durée des soldes plus encadrée

La loi modifie le régime des soldes : avec une durée comprise entre trois et six semaines, contre six semaines actuellement. Ces évolutions doivent permettre d'apporter plus de souplesse et d'adaptabilité face aux évolutions des habitudes de consommation et d'achat (article 16).
Application directe de cette mesure : un arrêté du 27 mai fixe la durée de chaque période de soldes à quatre semaines à compter du 1er janvier 2020 et précise les dates et heures de début des soldes.

Gouvernance de la Caisse des Dépôts et pôle financier public

Le texte comporte plusieurs articles qui ont pour objet de simplifier le fonctionnement de la Caisse des Dépôts pour "améliorer ses actions en faveur des territoires" (articles 107 à 117). Le nombre de membres de la Commission de surveillance de l'institution passe de 13 à 16, avec deux personnalités qualifiées de plus nommées par l'Assemblée et le Sénat, deux représentants du personnel et trois personnalités désignées par l'Etat venant se substituer aux représentants de droit des corps de contrôle (Cour des comptes, Conseil d'Etat) et de la Banque de France. Au passage, la Commission devient un véritable organe délibérant sur les grandes orientations stratégiques et les missions de l'établissement. 
Par ailleurs, la Caisse des Dépôts remplacera l'Etat dans le capital de La Poste dont elle deviendra l'actionnaire majoritaire ; l'idée est de constituer à partir de 2020 un "pôle financier public" entre la Caisse des Dépôts et la Banque postale (article 151).

Une nouvelle étape pour l'expérimentation des véhicules autonomes

Dans une sous-section destinée à "libérer les expérimentations de nos entreprises", la loi ouvre une nouvelle étape de l'expérimentation des véhicules autonomes (article 125). Elle fixe les conditions de délivrance d'une autorisation de "circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale", à des fins expérimentales, notamment "sur les voies réservées aux transports collectifs". Le texte fixe aussi les conditions d'indemnisation de victimes. La loi clarifie par ailleurs le régime de responsabilité pénale. Celle-ci est transférée du conducteur au titulaire de l'autorisation d'expérimentation. Les conditions d'indemnisation d'éventuelles victimes sont également spécifiées. Les expérimentations font l'objet d'une information du public.
Un décret viendra préciser les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions. 

Le recensement confié à des agents privés

La loi prévoit de confier à titre expérimental pour une durée de trois ans les campagnes de recensement de la population à des agents privés. Un décret fixera une liste de communes et d'intercommunalités pour mener cette expérimentation (article 127).

La bail à réhabilitation ramené à six ans en Paca

La région Paca expérimentera pendant trois ans un bail à réhabilitation ramené de douze à six ans, pour les logements vacants de plus d'un an (article 128). Par ce biais, les collectivités ou bailleurs peuvent réhabiliter des logements et les gérer pour loger des personnes défavorisées. Au terme du bail, le propriétaire récupère son bien.

L'agrément Esus élargi à de nouveaux secteurs

Au titre de l'économie sociale et solidaire (ESS), la loi cherche à élargir l'accès à l'agrément Esus (Entreprise solidaire d'utilité sociale) créé en 2014 mais qui n'a bénéficié qu'à un millier d'entreprises, alors qu'on compte quelque 200.000 entreprises de l'ESS (article 105). L'agrément sera désormais ouvert aux structures de la transition écologique, de la promotion culturelle ou de la solidarité internationale.

Entreprises à mission

Concilier lucrativité et bien commun : suivant les recommandations du rapport Senard-Notat, loi Pacte crée les "entreprises à mission" afin de "repenser la place de l'entreprise dans la société" (article 169). Elle modifie ainsi le code civil pour y insérer la notion d' "intérêt social" de l'entreprise avec la possibilité pour les sociétés qui le souhaitent d'indiquer leur "raison d'être" dans leurs statuts. Ainsi, par rapport à la RSE (responsabilité sociale et environnementale), ici, c'est l'ensemble des parties prenantes, y compris les actionnaires, qui s'engagent. La difficulté consistera pour la société à bien définir les missions d'intérêt collectif ou général qu'elle entend faire figurer dans ses statuts.

Travail de nuit, pesticides et plastiques... des dispositions censurées

Dans sa décision du 16 mai, le Conseil constitutionnel a censuré 24 articles. Il en est ainsi de l'assouplissement du travail de nuit dans le commerce alimentaire. Le texte prévoyait de raccourcir la plage horaire considérée comme du travail de nuit (celle-ci allant aujourd'hui de 21h à 6h), afin de faciliter le travail en soirée, jusqu'à minuit, moyennant des garanties.
Les Sages ont aussi censuré le report de trois ans de l'interdiction en 2020 de fabriquer sur le sol français des pesticides vendus en dehors de l'Union européenne, tel qu'envisagée dans la loi agriculture et alimentation (Egalim) de 2018. De la même manière, ils ont retoqué le report d'interdiction de certains ustensiles en plastique prévus par la même loi. Ils ont considéré que ces deux dispositions constituaient des "cavaliers législatifs" trop éloignés de l'objectif initial du texte.
 

Référence : loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, JO du 23 mai 2019.