Commande publique - Marchés publics de fruits et légumes : comment faire sans rabais ?
En quoi la loi de modernisation de l'agriculture modifie-t-elle le processus d'achat de fruits et légumes frais?
Daniel Maslanka : L'article 14 de la loi n°2010-874 de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 (dite "LMA") dispose que "par dérogation aux dispositions de l'article L.441-2-1 du Code du commerce, un acheteur, un distributeur ou un prestataire de services ne peut plus bénéficier de remises, rabais et ristournes pour l'achat de fruits et légumes frais". Le terme "d'acheteur" a été introduit spécifiquement dans cet article par un amendement du député Claude Gatignol (UMP, Manche). Dès lors, en application de cette disposition, l'ensemble des acheteurs - y compris publics - ne peut plus bénéficier de remises, rabais et ristournes (RRR) depuis le 28 janvier 2011. Cela signifie que pour les marchés de fruits et légumes frais conclus à partir de cette date, les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent plus faire apparaître un coefficient de réduction dans le dossier de consultation des entreprises (DCE) car celui-ci pourrait être assimilé à l'un des RRR. Les fournisseurs ne peuvent pas non plus faire apparaître des remises dans leur facture.
Cependant, cette disposition n'entraîne pas de facto la nullité des contrats d'achat de fruits et légumes frais en cours d'exécution. Elle n'a pas pour effet de supprimer les règles contenues dans les cahiers des charges visant à permettre l'évolution des prix par référence à des mercuriales, indices et tarifs (applicables à l'ensemble de la clientèle ou à une clientèle déterminée).
Dans ce cas, comment faire pour conserver un fournisseur dont l'offre était la moins chère lors de la mise en concurrence ?
Daniel Maslanka : Pour tenir compte de cette interdiction tout en confirmant le choix d'un titulaire essentiellement choisi au regard du critère "prix", il convient de conclure un avenant au contrat afin de mettre le marché en conformité avec la nouvelle loi. Cet avenant devra redéfinir le prix net du marché c'est-à-dire le prix de base (le tarif, la cotation, la mercuriale…) affecté du coefficient proposé initialement par le candidat retenu. En procédant ainsi, le niveau de prix initial est maintenu pour l'acheteur et la marge dégagée par le fournisseur reste identique. L'accord entre les parties n'est pas modifié sur le fond (le prix) mais sur la forme (le tarif du fournisseur) afin de s'adapter à la loi.
Il s'agit là d'un impératif. En effet, en application des dispositions de l'article 20 du Code des marchés publics (CMP), tout avenant qui viendrait modifier de manière substantielle les clauses du contrat initial (suppression pure et simple du rabais initial, renégociation des conditions liminaires, changement des bases de cotation…) serait considéré comme bouleversant l'économie du marché. Il porterait atteinte à deux principes fondamentaux de la commande publique : l'égalité de traitement entre les candidats et le respect des obligations de transparence de la procédure.
Plus concrètement, l'avenant pourrait inclure une formule de révision comme celle-ci :
P1 = PØ x R1 / RØ
P1 = prix facturé
PØ = prix initial recalculé (tarif de référence, mercuriale…)
R1 = prix de référence à la livraison (référence de cotation…)
RØ = prix de référence initial (référence de cotation…)
Que faire si le fournisseur refuse de passer un tel avenant ?
Daniel Maslanka : Si le cocontractant refuse de signer un avenant de ce type, le marché devra être résilié et l'acheteur devra lancer une nouvelle consultation. Dans cette hypothèse, il convient de respecter les étapes suivantes :
- lancer la nouvelle mise en concurrence sur la base d'un tarif (daté et numéroté) librement fixé par chaque candidat pour une catégorie de clientèle déterminée ;
- réclamer, à l'appui de l'offre, la production de plusieurs tarifs antérieurs ;
- prévoir des critères ne prenant pas seulement en compte le niveau de prix pratiqué mais des paramètres tels que l'attractivité d'un tarif (identification des produits bio, des fruits et légumes provenant de productions locales, promotion des produits de saison….) et la périodicité de sa validité ;
- introduire dans le futur cahier des charges, une disposition appelée "clause de sauvegarde" offrant à l'acheteur public la possibilité de résilier le marché si le tarif proposé, pour une période déterminée, venait à dépasser un pourcentage (à fixer dans le marché) par rapport à un tarif appliqué sur la même période à une autre catégorie de clientèle clairement identifiée.
Où les acheteurs publics peuvent-ils obtenir des conseils concernant la suppression des RRR ?
Daniel Maslanka : La direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'Economie a mis en place un dispositif spécifique destiné à répondre aux interrogations des acheteurs publics concernés par cette modification. Ces derniers ont la possibilité de transmettre leurs questions à la DAJ à l'adresse suivante : daj-marches-publics@finances.gouv.fr. Précisons enfin que pour limiter les risques de contentieux, il est primordial que les acheteurs publics fassent preuve d'une grande vigilance et qu'ils restent prudents au regard des propositions de "mise en conformité" formulées par les prestataires. Cette loi doit profiter aux producteurs et non aux intermédiaires.
L'Apasp
Références : Loi de modernisation de l'agriculture du 27 juillet 2010 ; Amendement n°1030 de M. Gatignol.