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Culture - Nouveau cadre de protection du patrimoine : statu quo, progrès ou recul ?

Nouvelles venues dans la politique de protection du patrimoine - et accouchées aux forceps - les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine vont devoir faire la preuve de leur efficacité dans le débat récurrent qui oppose "protecteurs" et "aménageurs". Une circulaire du 5 mars 2012, accompagnée d'une série de fiches pratiques, rappelle et détaille le cadre juridique et technique de ce nouveau dispositif.

Aprement discuté au Parlement, le dispositif des aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap) succède aux zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP) qui constituaient jusqu'alors - en dehors de la procédure lourde de l'inscription et du classement - le principal outil de protection du patrimoine. Le cadre juridique des Avap a été posé par les articles 28 à 30 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (dite "Grenelle 2") et par un décret du 19 décembre 2011 (voir notre article ci-contre du 5 janvier 2012).
A la différence du classement, l'Avap a un champ géographique plus large et s'articule étroitement avec les documents d'urbanisme, et plus particulièrement avec le projet d'aménagement et de développement durable (Padd) inclus dans le plan local d'urbanisme (PLU). Sur le fond, le débat reste ouvert entre partisans et adversaires du nouveau dispositif pour savoir si celui-ci est plus ou moins protecteur que les défuntes ZPPAUP.

Les collectivités territoriales au premier rang

Si le cadre juridique est ainsi posé par la loi et le décret, la circulaire du 2 mars 2012 revient sur la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif. La circulaire proprement dite est très courte (deux pages) et se contente de résumer les grandes lignes de l'Avap. Elle rappelle ainsi que ce dispositif "est particulièrement adapté à une gestion cohérente de territoires sur lesquels les enjeux de conservation du patrimoine sont dominants". Elle demande aussi aux préfets de région "d'informer précisément les collectivités territoriales intéressées [par une Avap, ndlr] de ces conditions et de promouvoir activement ce dispositif auprès d'elles". Dans ce cadre, elle invite notamment les préfets de région à mettre leurs services à la disposition des collectivités "afin de leur prodiguer les conseils d'ordre administratif, juridique ou technique dont celles-ci auraient besoin dans la conduite de création d'Avap ou pour la révision des ZPPAUP existantes en Avap" (comprendre la transformation des ZPPAUP).
La circulaire du 2 mars rappelle en effet que la durée de validité des ZPPAUP actuelles ne saurait excéder cinq ans à compter de la publication de loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 - soit une échéance au 14 juillet 2015 -, sauf si, à cette date, la transformation est engagée, auquel cas la validité de la ZPPAUP est prolongée jusqu'à la création effective de l'Avap. L'incitation à agir avant cette échéance est forte pour les collectivités. En effet, à défaut de transformation en Avap réalisée ou engagée au 14 juillet 2015, "le régime des abords des monuments historiques ainsi que celui des sites inscrits au titre du Code de l'environnement seront rétablis de plein droit sur l'ensemble des territoires concernés".

Retrouver les principes fondateurs des ZPPAUP

Au-delà de ces précisions de portée générale, le principal intérêt de la circulaire du 2 mars 2012 réside dans ses six "fiches techniques". Celles-ci traitent respectivement du cadre de mise en oeuvre d'une Avap, de sa conception, de la composition et du contenu du dossier, de la procédure d'instruction, des effets et des obligations créés par l'Avap et, enfin, de l'application de l'Avap et de l'instruction des demandes d'autorisation de travaux.
Sur le cadre de mise en oeuvre, la fiche correspondante prend bien soin de rappeler - pour éviter de raviver les polémiques - que "le dispositif des Avap conserve les principes fondateurs des ZPPAUP", autrement dit, ceux d'une servitude d'utilité publique visant à garantir la qualité du cadre de vie en termes de pérennité et de mise en valeur d'un patrimoine bâti ou naturel. Elle pointe néanmoins les inflexions ou aménagements introduits par les Avap : démarche renforcée et plus intégrée pour le "diagnostic architectural, patrimonial et environnemental" préalable, renforcement de la concertation entre les différents acteurs, rôle de la "commission locale de l'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine"... Mais la fiche ne cache pas non plus que l'une des justifications de la création des Avap est "de mieux encadrer, au regard du règlement de l'aire", l'avis de l'architecte des Bâtiments de France (ABF). Le plus grand formalisme imposé par la mise en oeuvre d'une Avap devrait en particulier clarifier la portée juridique et pratique des différents avis.
Consacrée à la conception d'une Avap - autrement dit, à son objet et à sa délimitation -, la seconde fiche est sans doute celle qui apporte le moins d'éléments nouveaux, dans la mesure où ces deux éléments restent très proches de ceux qui présidaient à la création d'une ZPPAUP.

Résidence surveillée pour l'éolien

Beaucoup plus détaillée, la fiche consacrée à la conception d'une Avap et à la prise en compte du patrimoine devrait être lue avec attention par les collectivités. Elle précise en effet le contenu et les finalités de ce dispositif. Personne ne s'étonnera d'y trouver le patrimoine d'intérêt urbain et paysager, l'architecture, le patrimoine d'intérêt historique ou archéologique, ou même d'autres types de patrimoines plus insolites comme certains lieux de mémoire.
L'intérêt réside surtout dans les éléments de cadre à prendre en compte, et plus particulièrement dans l'articulation entre l'Avap et certaines priorités du Grenelle 2. Ainsi, sur la question délicate des éoliennes - certains partisans du maintien des ZPPAUP n'hésitant pas à affirmer que leur suppression avait pour principal objectif de laisser le champ libre au développement des éoliennes urbaines -, la circulaire adopte une formulation très prudente, mais qui exprime néanmoins des réserves évidentes. Ainsi, "l'exploitation de l'énergie éolienne [...] comporte d'importants risques d'impact sur le paysage urbain, rural ou naturel" et la circulaire rappelle que "la politique d'organisation de l'exploitation de l'énergie éolienne conduite par les préfets au titre des 'zones de développement de l'éolien' (ZDE) doit tenir compte de l'existence d'espaces protégés, en particulier d'Avap, et des avis exprimés par les services de l'Etat en charge du patrimoine dans le cadre de l'élaboration de ces projets de ZDE". Cette formulation concrétise un engagement de Frédéric Mitterrand, qui cache de moins en moins son agacement devant le développement mal maîtrisé de l'éolien dans les zones riches en patrimoine (voir notre article ci-contre du 19 décembre 2011).
Les autres prescriptions de la fiche - énergies solaire, hydraulique et géothermique, usage et mise en oeuvre des matériaux, préservation de la faune et de la flore... - ne revêtent pas en revanche le même aspect polémique.

Un nouvel acteur-clé : la "commission locale de l'Avap"

La fiche consacrée à la composition et au contenu du dossier d'Avap a une vocation purement technique et s'adresse aux services instructeurs. Elle détaille en effet les différentes pièces ou démarches à mettre en oeuvre pour accompagner le montage d'un dossier. On retiendra cependant l'importance qu'elle attache au "document graphique", qui a la même portée juridique que les dispositions réglementaires écrites (autrement dit, le "règlement de l'Avap"). Ceci amène la circulaire à recommander que ce document se cantonne à la représentation des seuls éléments juridiquement opposables. En dehors du fond de plan, il ne doit donc pas comporter "de dispositions à caractère informatif, afin d'éviter toute confusion dans l'application". En revanche, il doit être "particulièrement précis" dans les Avap divisées en secteurs, au sein desquelles les prescriptions peuvent être de natures différentes ou particulières.
La procédure d'instruction d'une Avap (traitée par la fiche n°4) est très proche de celle d'une ZPPAUP. On y retrouve notamment les trois éléments constitutifs essentiels : une participation technique (étude conduite avec l'assistance de l'ABF) et financière (subvention éventuelle de l'Etat) ; une consultation de la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) avant et non pas après l'enquête publique ; un accord du préfet de département en vue de la création, de la révision ou de la modification de l'Avap. La fiche rappelle également que la mise en oeuvre d'une Avap ne saurait être imposée et "relève du libre choix de la ou des collectivités concernées". En revanche, la délibération éventuelle de lancement d'une Avap doit obligatoirement prévoir les modalités de la concertation avec la population (qui sont, elles, librement arrêtées).
La fiche s'attarde aussi sur l'une des innovations de la loi du 12 juillet 2010 : la constitution d'une instance locale intitulée "commission locale de l'Avap". Celle-ci doit constituer une "plateforme d'échanges pérenne accompagnant l'ensemble de la démarche". Restreinte (pas plus de quinze membres), elle comprend entre cinq et huit élus de la ou des collectivités concernées, ainsi que des personnalités qualifiées. Sur le reste de l'instruction du projet - et notamment la réalisation de l'enquête publique - l'Avap diffère peu du dispositif antérieur. Un schéma très utile permet d'ailleurs de prendre connaissance de l'enchaînement des différentes étapes, dans le cas d'une création ou révision, comme dans celui d'une modification.

Avap et monuments historiques : quelle coexistence ?

Enfin, les deux dernières fiches traitent respectivement des effets et obligations de l'Avap et de l'application de cette dernière, notamment au regard des demandes d'autorisation de travaux.
Sur le premier point, la circulaire ne modifie évidemment pas les effets prévus par la loi et le règlement. Elle rappelle cependant l'attention à apporter aux effets de l'Avap sur les périmètres de protection autour des monuments historiques. Si l'Avap a pour effet de suspendre l'application de la servitude des abords des monuments historiques, les parties résiduelles de ces périmètres d'abord continuent en revanche de s'appliquer.
Autre dichotomie rappelée par la fiche : si la création d'une Avap n'a aucun effet sur l'application des servitudes de sites classés dans lesquels les autorisations de travaux sont soumises à déclaration ou à autorisation au titre du Code de l'environnement, elle suspend en revanche l'application des servitudes des sites inscrits au sein du périmètre de l'Avap.
En matière d'application de l'Avap et de demandes d'autorisation de travaux, la fiche correspondante précise qu'aucune anticipation de l'application du projet d'Avap n'est possible. Autrement dit, le régime de protection des abords des monuments historiques perdure jusqu'à l'entrée en vigueur de la délibération prononçant la création de l'Avap. Sur le régime des autorisations, la fiche détaille le contenu du dossier de demande et rappelle que tous les travaux de démolition en Avap sont soumis à permis de démolir.
L'instruction des demandes d'autorisation est obligatoirement soumise à un avis de l'ABF, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la saisine. En cas de recours sur cet avis, le préfet ou le ministre de la Culture (en cas d'évocation du dossier) ont quinze jours pour se prononcer sur les déclarations préalables et les demandes d'autorisation spéciale, ou un mois pour les permis après consultation éventuelle de la commission locale. Comme le rappelle la circulaire, le non-respect de ces demandes d'autorisation est passible de sanctions pénales.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : ministère de la Culture, circulaire MCCC1206718C du 2 mars 2012 relative aux aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine.

 

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