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Numérique éducatif : une question d'usage et de formation plus que d'équipement

Une enquête du Cnesco d'une ampleur inédite remet en cause des idées reçues sur le numérique éducatif. Où l'on apprend que le milieu rural est le mieux doté, que l'ordinateur en classe a aussi son côté sombre et que le plus important est de former les enseignants.

Ne pas utiliser le numérique en classe serait "une décision rationnelle". Dès l'introduction de son enquête "Numérique et apprentissages scolaires", publiée le 14 octobre 2020, le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco, rattaché au Conservatoire national des arts et métiers) annonce la couleur. Comment, au bout de deux ans de travail, ses auteurs en sont-ils arrivés à avancer une proposition aussi iconoclaste que radicale ? En posant une hypothèse "largement étayée par la recherche empirique" : "Les outils numériques n’améliorent pas les apprentissages." L'enquête du Cnesco est-elle pour autant un enterrement de première classe pour une question devenue centrale dans les réflexions sur l'éducation ? Non. Car en étudiant de près une abondante littérature de recherche, "on voit qu’en réalité ça dépend". Et "ça dépend" de quoi ? Avant de tenter une explication, le Cnesco dresse un bilan de l'équipement informatique scolaire. Lequel laisse apparaître un "primaire sous-équipé" et "de fortes inégalités territoriales". 
À la rentrée 2019, les élèves de primaire disposaient en moyenne d’un ordinateur pour 12,5 élèves. Le taux le plus bas de l'Union européenne. Le tout sur fond d'inégalités très marquées. Tandis qu'un élève sur cinq est scolarisé dans une école qui dispose d’un ordinateur pour 3,7 élèves, à l'autre bout, un élève sur cinq est scolarisé dans une école offrant un ordinateur pour 32,9 élèves. Dans les collèges, les élèves étaient 4,5 par poste. On dénombrait encore 2,4 élèves par ordinateur en lycées professionnels et 3,4 élèves en lycées généraux et technologiques. Dans le secondaire, la dotation moyenne est supérieure à la moyenne de l'UE.

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© Cnesco, 2020.

France des champs et France des villes

En termes territoriaux, les résultats dessinent une France des champs et une France des villes. Alors que 33% des élèves sont scolarisés dans les écoles les mieux dotées au niveau national, ils sont 52% en milieu rural, mais seulement 24% à Paris et dans la petite couronne (dans le détail Paris est beaucoup mieux lotie avec 48% d'écoliers scolarisés dans les écoles les mieux dotées) et 23% dans les grandes agglomérations. À l'inverse, à Paris et en petite couronne, 51% des élèves sont scolarisés dans les écoles les moins bien dotées, contre 19% en milieu rural. Faut-il y voir le fruit d'une politique d'équipement volontariste en faveur des campagnes ? Pas uniquement. La faible taille des écoles rurales, caractéristique propre à ces établissements, explique en partie cette meilleure dotation. Le Cnesco relève en outre "qu’il existe un lien entre le niveau d’équipement informatique des communes et la richesse de la commune". Dans les communes pauvres, 69% des élèves sont scolarisés dans les écoles les moins bien dotées. Toujours au chapitre des équipements, on note que les disparités sont moins marquées dans le secondaire.
L'enquête se penche également sur la connexion des établissements. Globalement, le haut-débit est plus répandu dans les lycées (67% ont accès à la fibre) et les collèges (45%) que dans le primaire (24%). Ici, les taux de raccordement sont défavorables aux campagnes. La fibre est présente dans 46% des écoles de Paris et de la petite couronne, contre 14% en milieu rural.
Dernier levier étudié par le Cnesco : la formation des enseignants. Ici, le tableau est sombre. Seuls 29% des enseignants de collège et 16% de ceux du primaire s’estiment bien ou très bien préparés par leur formation initiale. En formation continue, 4% de l’ensemble des journées pour les enseignants du premier degré et 11% pour le second degré sont consacrés au numérique. Des écoles plus ou moins bien équipées et des enseignants peu formés, voilà le point de départ. Pour quel résultat ?...

Effets négatifs

"Les travaux de recherche montrent que le recours au numérique n’a pas automatiquement un effet positif sur les apprentissages des élèves." C'est dit. Plus précisément, "les outils ne suffisent pas, à eux seuls, à mécaniquement améliorer les apprentissages de façon notable". Pour être efficaces, ces outils "doivent non seulement être pertinents pour l’apprentissage de la connaissance visée, mais aussi être intégrés de façon pertinente dans une situation d’enseignement-apprentissage". En d'autres termes, le numérique a un effet "plutôt positif" pour des fonctions pédagogiques telles que "rechercher de l'information", "apprendre à distance" ou "produire un texte". En revanche, quand il s'agit de "lire et comprendre un texte", de "poser des questions" ou de "découvrir des concepts abstraits", son effet est "plutôt négatif". Quant à la capacité du numérique à "faire émerger des idées" ou à "développer sa créativité", elle demeure inconnue à ce jour. Tout comme sa capacité à "motiver" les élèves. 
Le bénéfice du numérique scolaire ne dépend ni du taux d'équipement ni du raccordement à la fibre. "Ça dépend" beaucoup plus des disciplines scolaires et des fonctions pédagogiques mises en œuvre. Au cœur de cette articulation entre bon et mauvais usage, se trouve un personnage incontournable : l'enseignant. Or, précise le Cnesco, "l’efficacité d’un outil en classe dépend fortement de ce qui accompagne une politique d’équipement, la formation des enseignants en premier lieu". Est-ce une autre façon de dire qu'en matière de numérique scolaire, équiper les écoles avant de former les enseignants revient à mettre la charrue avant les bœufs ?

 

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