Politique de cohésion : inquiétude à tous les étages pour Régions de France

Au cours d'une table-ronde organisée par le Sénat ce 29 avril, Daniel Leca, représentant de Régions de France, n'a pas caché ses craintes face aux évolutions, en cours ou attendues, de la politique de cohésion. 

"On est très inquiet." Participant à une table-ronde sur la politique de cohésion organisée, ce 29 avril, par le Sénat, Daniel Leca, vice-président de la région Hauts-de-France, représentant Régions de France, n'a pas caché redouter l'évolution qui se dessine de cette politique, à court terme et plus encore après 2027. 

Une révision à mi-parcours peu goûtée…

À court terme, c'est la révision à mi-parcours proposée par la Commission européenne (lire notre article du 2 avril), qui définit cinq nouvelles priorités pour la fin de l'actuelle programmation, qui le laisse sceptique. "C'est un changement de philosophie complet. La politique de cohésion devient une politique de conjoncture", dénonce-t-il. De CRI à Rearm-EU ou Restore – "qu'on va essayer de mobiliser pour Mayotte", indique Stanislas Bourron, directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires –, on ne compte plus les plans d'urgence qui ont remodelé cette politique ces dernières années (lire notre article du 5 mars). "On est un peu loin de la période où l'on programmait tranquillement sur six ans", observe Stanislas Bourron. En "s'align[ant] sur un fonctionnement pratiquement annualisé, on est en train de tuer ce qui était la politique de cohésion, une politique de long terme", tonne Daniel Leca.

… même si ses impacts devraient être limités…

À l'écouter, l'impact de cette révision – qui repose sur le volontariat, rappelle Peter Berkowitz, de la DG Regio – devrait néanmoins être limité. "Les marges de manœuvre sont très étroites […] parce que, dans l'ensemble des régions, l'essentiel des fonds est plus ou moins fléché." Il reconnaît ainsi que dans la première proposition de révision qui leur a été demandée, en mars, "l'ajustement était très marginal", aboutissant à "un résultat peut-être décevant pour la Commission". Il faut le croire, puisqu'une nouvelle copie a été sollicitée, actuellement en cours de préparation. "Les régions font un gros travail de remontées d'informations", précise l'élu. Il leur restera ensuite à se concerter avec l'État. Stanislas Bourron estime en effet que, si l'initiative de la Commission offre "des leviers tout à fait intéressants", elle n'en soulève pas moins "quelques questions qu'il faudra que l'on règle dans le cadre d'un dialogue national, dans le courant du mois de mai". Concrètement, "est-ce qu'on concentre les forces sur les sujets de défense" ou est-ce qu'on se mobilise sur les cinq nouveaux objectifs, et comment ? "Ces arbitrages sont à rendre par la France", conclut-il, avant de concéder que tout cela "dépendra effectivement de l'adhésion des autorités de gestion". "La seule fois où l'on a su agréger une nouvelle priorité, qui était React-EU, c'est parce qu'il y avait de l'argent frais en plus […]. Aujourd'hui, si on fait de nouveaux choix, ce sera forcément au détriment de certains", prévient Daniel Leca. 

… à l'exception des RUP

Cette situation ne prévaut toutefois pas pour toutes les régions. "Certaines ont quasiment fini leur programmation, d'autres sont en situation d'accélération pour éviter tout risque de dégagement d'office", indique diplomatiquement Stanislas Bourron. "Près de 2,2 milliards d'euros de crédits devront être consommés" avant la fin 2025, alerte le sénateur Jean-François Rapin, en rappelant l'échéance du premier dégagement d'office. Un risque bien réel pour certaines régions. "Les difficultés d'absorption des fonds des régions ultrapériphériques [RUP] leur laissent plus de marges de manœuvre pour d'éventuels transferts", éclaire Peter Berkowitz.

Un après-2027 de tous les dangers ?

Mais c'est surtout l'après-2027 qui inquiète. "Beaucoup d'incertitudes continuent de planer et pour lesquelles les communications de la Commission ne sont pas nécessairement de nature à nous rassurer, à la fois sur le volume financier mais aussi sur le mode de gestion", avoue Daniel Leca. 

Côté enveloppe, Peter Berkowitz ne se fait guère apaisant. Précisant que "la Commission prépare ses propositions sur le cadre financier pluriannuel à paraître en juin", il prévient que "les discussions seront difficiles, avec le début du remboursement de NextGenerationEU et l'émergence de nouvelles priorités". Côté gestion, il confirme, d'une part, que "l'une des options est de proposer un plan unique par État membre combinant investissements et réformes" et, d'autre part, qu'"un modèle de remboursement basé sur la performance" est également "à l'étude".

Des orientations motivées par la volonté "d'alléger la charge administrative et de se concentrer sur les résultats", de "simplifier la mise en œuvre de la politique de cohésion face à la multitude de fonds et d'instruments existants, chaque fonds ayant en outre des règles différentes". Une refonte qui resterait néanmoins partielle, puisque le fonctionnaire rapporte que "l'intégration de la politique agricole commune dans un plan national reste un sujet très controversé". Et de pronostiquer que la PAC devrait conserver son autonomie. Pour le reste, il l'assure : il ne s'agit "en aucun d'une recentralisation. La politique de cohésion a toujours eu un cadre stratégique au niveau national : l'accord de partenariat".

Un cadre oui, un plan non

Mais pour Daniel Leca, le maintien d'un cadre stratégique national c'est oui, un plan national unique c'est non. "Nous avons besoin de maintenir un cadre de dialogue avec la Commission", ce qu'offre selon lui le premier, alors qu'il ne voit dans le second qu'"une manière de financer les politiques publiques nationales". Pour Stanislas Bourron, on s'aventure "dans une terre un peu inconnue". Il déclare avoir d'ores et déjà "engagé un dialogue avec Régions de France pour essayer de tracer des pistes. On essaye d'organiser un comité État-régions dans les prochaines semaines". Pour lui, il faut "un cadre stratégique national renforcé", prenant "plus en compte l'ensemble des politiques nationales" pour "garantir la cohérence de l'action de tout le monde", avec "une capacité d'adaptation, une intervention qui soit déterminée au niveau régional" et "une gouvernance État-région, avec la Commission, qui garantisse une bonne association des acteurs".

Le meilleur des deux mondes… ou le pire des deux ?

"On n'a pas vocation à devenir des agences déconcentrés de l'État", l'avertit Daniel Leca. L'élu redoute par ailleurs le passage à une gestion fondée sur les résultats, calquée sur la facilité pour la relance et la résilience (FRR) : "Sur le papier, c'est un élément de simplification qui nous permettrait d'éviter de tomber dans les écueils de la complexité du contrôle de l'éligibilité des dépenses", indique-t-il, en concédant que la politique de cohésion "souffre aujourd'hui d'une rigidité et d'une image un peu détériorée a besoin d'être relancée". 

Mais il constate que "si la FRR a été efficace dans la rapidité de dépenser l'argent, elle ne l'a pas été nécessairement dans la sélection des projets. Reconnaissons-le : une grande partie était déjà dans les tuyaux des régions avec du financement Feder". Il met également en avant les réticences de la Cour des comptes européenne, pas pleinement convaincue par les vertus de la FRR (lire notre article du 6 septembre). Pour autant, il serait prêt à sauter le pas, sous conditions : "Pourquoi pas [adopter] cette logique fondée sur la performance, mais à la condition qu'on établisse des jalons et des critères qui correspondent aux compétences régionales", insiste-t-il. "Ce qui nous intéresse dans l'approche qui est prônée par la FRR, c'est une approche plutôt incitative, alors que la politique de cohésion repose sur la conditionnalité. Nous voulons prendre le meilleur des deux types de politiques", tente de rassurer Peter Berkowitz. Sans nécessairement convaincre : "Il faut surtout éviter une superposition du modèle d'avant et du modèle futur", espère Stanislas Bourron. Un cumul des contrôles – de la performance et des coûts – tout sauf improbable (lire notre entretien du 29 avril).

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis