Défense, mais aussi compétitivité, logement, eau et transition énergétique : un assouplissement XXL de la politique de cohésion
La Commission a présenté ce 1er avril sa proposition de révision de la politique de cohésion à mi-parcours. Elle entend favoriser les reprogrammations au bénéfice de cinq priorités stratégiques – outre la défense, la compétitivité, le logement, l'eau et la transition énergétique – en augmentant préfinancements et cofinancements. Une fois le texte publié, la Commission entend boucler cette révision en quatre mois.

© European Union, 2025/ Raffaele Fitto
La troisième fois fut la bonne. Le collège des commissaires européens a adopté, ce 1er avril, la proposition de révision de la politique de cohésion à mi-parcours. Un assouplissement bien plus large qu'attendu, puisqu'outre la défense (renforcement des capacités productives des entreprises du secteur, indépendamment de leur taille, construction/protection d'infrastructures favorisant la mobilité militaire), comme annoncé dans le cadre du nouveau plan Rearm EU (lire notre article du 5 mars), quatre nouvelles priorités sont proposées :
- la compétitivité et la décarbonation, via des investissements renforcés dans les technologiques stratégiques, celles définies par la plate-forme Step (lire notre article du 23 juin 2023), en étendant notamment le champ à toutes les entreprises quelle que soit leur taille ou en incluant la décarbonation des installations soumises au système d'échange de quotas d'émissions, comme les fours à coke ;
- le logement abordable, avec un objectif de doubler les ressources de la politique de cohésion consacrées à ce secteur dans les prochaines années ;
- la gestion de l'eau, en ciblant notamment les investissements visant à garantir l'accès à l'eau, la numérisation accrue des infrastructures hydrauliques, l'atténuation des effets de sécheresse… ;
- la transition énergétique, singulièrement les interconnexions et le déploiement d'infrastructures de de recharge.
La Commission propose en outre la possibilité de transférer des ressources du Feder vers l'Initiative urbaine européenne.
À la manœuvre, le commissaire Fitto explique que les consultations qu'il a menées auprès de toutes les parties prenantes – il s'est rendu dans huit États membres, dont en France le 10 mars, où il a notamment rencontré une délégation de l'Association des maires de France – ont mis en évidence la nécessité de revoir une politique définie il y a quatre ans – "un siècle, une éternité", aurait dit Joe Dassin. "Les règlements régissant les fonds et programmes ont été adoptés en 2021-2022, avant une série d'événements géopolitiques et économiques majeurs", rappelle la Commission. "Les accords de partenariat ont été signés en 2022 et la mise en œuvre débute seulement maintenant. Néanmoins, le monde a beaucoup changé depuis. Des défis comme le logement, la gestion de l'eau se sont intensifiés. De nouveaux sont apparus, comme celui de la défense", souligne encore Raffaele Fitto.
Pas de bâton, mais une carotte appétissante
Le commissaire a insisté sur le fait que cette possible reprogrammation reposait sur le volontariat. "La Commission donne aux États membres et aux régions la possibilité d'adapter leurs programmes pour investir dans ces domaines conformément aux besoins de leur territoire. À eux de décider si oui ou non ils souhaitent saisir ces opportunités." Pour autant, le vice-président de la Commission souligne que cette dernière étant "convaincue de la nécessité d'adapter les programmes à la nouvelle donne", l'objectif est "d'inciter les États membres à réaliser ces changements importants". À cette fin, les investissements dans chacune de ces priorités stratégiques bénéficieront d'un taux de préfinancement supplémentaire en 2026 de 30% et seront éligibles à un taux de cofinancement de l'Union européenne pouvant aller jusqu'à 100%. En outre, les programmes de cohésion qui affecteront au moins 15% de leurs enveloppes à ces priorités stratégiques bénéficieront d'un préfinancement supplémentaire de 4,5%. Un dernier taux qui atteindra même 9,5% pour les régions de l'Est (limitrophes de la Russie, de la Biélorussie et de l'Ukraine), lesquelles bénéficient d'une attention renforcée compte tenu à des difficultés économiques et des enjeux de sécurité et de défense auxquelles elles sont spécifiquement confrontées, explique le commissaire. Enfin, la Commission propose de prolonger d'un an la date de fin d'éligibilité de la politique de cohésion pour les programmes qui transféreraient au moins 15% de leur enveloppe globale vers ces cinq priorités stratégiques.
Pas de procrastination
Une fois la nouvelle législation adoptée, les autorités intéressées auront deux mois pour soumettre la modification de leurs programmes à la Commission. Laquelle disposera alors à son tour de deux mois pour les valider. "Le processus de reprogrammation devrait être terminé fin 2025", indique Raffaele Fitto, qui souligne au passage que "les États membres sont actuellement plus concentrés sur les plans nationaux de relance et de résilience". Par ailleurs, s'étant rendu compte lors de ses consultations que "tout le monde appelait à plus de simplification et de flexibilité", le commissaire a souligné que la Commission prenait déjà de premières mesures en ce sens, en proposant notamment une simplification du fonds pour une transition juste.
Séduisant, mais…
Nora Mebarek, coprésidente de la délégation française du groupe Socialistes et Démocrates du Parlement européen, estime que cette proposition "contient des avancées importantes qu'il faut saluer", mais déplore que "pour la première fois, des fonds [de la politique] de cohésion pourraient être redirigées explicitement vers le secteur de la défense". Si les nouvelles largesses offertes en matière de préfinancement/cofinancement pourront apparaître séduisantes, reste à savoir si elles pourront être actionnées. Interrogé par Localtis le 25 mars dernier, Franck Leroy, président de la région Grand Est qui vient d'adopter ce 27 mars une convention de partenariat avec le ministère des armées (lire notre article du 24 mars), confie que ses marges sont réduites, puisque "les projets sont déjà programmés". "Si nos crédits ne sont pas encore dépensés, ils sont souvent déjà engagés. Changer de priorité en cours de programmation, cela revient à déshabiller des gens à qui on a promis des aides pour en habiller d’autres…", nous expliquait également récemment la conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine, Isabelle Boudineau (lire notre entretien du 21 mars). Raffaele Fitto interviendra une nouvelle fois (lire notre article du 21 février) en plénière du Comité européen des régions ce 3 avril pour y présenter cette proposition.
› Le FSE+ mis au service des compétences dans la défense et les industries propresLa Commission européenne a proposé, le 1er avril, deux propositions législatives visant à assouplir les règles d’utilisation du fonds social européen (FSE+) et du fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM). Doté de 95,8 milliards d'euros pour la période 2021-2027, le FSE+ est "le principal instrument de l'UE pour investir dans les ressources humaine" (éducation, formation, apprentissage…), rappelle-t-elle, dans un communiqué. À l’issue de cette réforme, "les États membres gagneraient en flexibilité pour réorienter les financements du FSE+ vers le développement des compétences dans des secteurs stratégiques" - industrie de la défense, transition écologique, automobile - et dans les régions touchées par la guerre en Ukraine. Créé en 2006 pour soutenir les salariés licenciés dans des secteurs frappés par des plans sociaux ou des chocs économiques tels que le Brexit, le FEM sera pour sa part ajusté pour permettre "d'intervenir plus tôt, avant que des pertes d'emplois ne se produisent", au moyen d'une procédure simplifiée. La réforme vise à étendre le soutien "aux travailleurs exposés à un risque imminent de perte d'emploi" dans des secteurs "qui connaissent des transitions ou des changements structurels importants, en particulier dans l'industrie". "Pour pouvoir bénéficier de l'aide du FEM, les entreprises en cours de restructuration devront en faire la demande à l'État membre concerné. Les entreprises devront payer une partie de l'aide offerte aux travailleurs", précise la Commission. Alors qu’aujourd’hui, le Parlement et le Conseil sont amenés à statuer sur chaque demande de financement, désormais, ils approuveraient le budget du FEM une fois par an, à charge pour la Commission d’allouer les crédits aux États membres en fonction de leurs demandes. À ce jour, le FME est intervenu dans 182 dossiers, en mobilisant 700 millions d'euros au profit de 170.000 personnes dans 20 États membres, indique le communiqué. Les deux propositions législatives, qui s’inscrivent dans le plan de sauvetage du secteur automobile et le plan d'action pour l'industrie sidérurgique et métallurgique présentés en mars, doivent à présent être approuvées par le Conseil et le Parlement. Michel Tendil / Localtis |