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Pour les élus locaux, l'UE, largement ignorée, serait inutile mais peu nuisible

Consultés par le Sénat, 1.785 élus locaux ont livré leur perception de l'Union européenne. Dans leur action quotidienne, ils la trouvent peu présente. Ni positivement (ils la jugent guère utile), ni négativement (peu de difficultés qu'ils rencontrent lui seraient imputables).

Comme le monstre du Loch Ness, les élus locaux Français ont bien entendu parler de l'Union européenne, mais ne l'ont jamais vraiment vue. C'est, à la serpe, ce qu'il ressort d'une consultation conduite en ligne par le Sénat courant septembre, à laquelle 1.785 élus locaux, majoritairement ruraux (67% élus dans des villes de moins de 2.000 habitants, 25% de 2.000 à 10.000 habitants), ont volontairement répondu. Les résultats ont été présentés à la commission des affaires européennes ce 4 novembre.

Perception de l'UE : l'élu local, un Français comme un autre

D'abord interrogés sur leur perception de l'Europe, c'est un sentiment d'ambivalence qui prime. 45% des répondants en ont une vision positive (7% très positive), contre 23% négative (et 5% très négative). Ils citent, la concernant, presque autant de mots à tonalité positive (79%) que négative (84%). Le premier au box-office, et de loin, appartient toutefois au dernier registre : 71% des répondants pensent à "bureaucratie" lorsque l'on évoque l'UE. Viennent ensuite "déficit de légitimité et opacité" (39%) et "concurrence entre les États membres" (38%). De l'autre côté, viennent en tête "paix et union dans la diversité" (48%), "ouverture, échange et mobilité" (35%) et 32% "compromis". On relèvera qu'à l'heure d'un plan de relance historique, "prospérité et relance" ne remporte que 11% des votes. Globalement, les élus jeunes et urbains ont une perception plus positive.
Côté avenir de l'Europe, les élus répondants restent très partagés : 51% se disent optimistes, 48% pessimistes. Les avis tranchés sont, ici aussi, peu nombreux (2% très optimistes, 6% très pessimistes). "Des résultats dans l'ensemble très proches de ceux obtenus auprès de l'ensemble des Français", indiquent les analystes de l'institut Kantar.

L'UE et l'action locale : inutile, mais peu nuisible

Dans leur quotidien d'élus, l'Union européenne est à gros traits inutile. Lorsque l'on demande de citer une action ou réalisation pour lesquelles la participation de l'UE a été indispensable, 81% restent muets. Un résultat qui étonne la sénatrice Laurence Harribey, alors qu'il n'existe "pas un projet sur le territoire qui ne soit pas financé par l'UE aujourd'hui". Elle avance une explication : "Les élus identifient le programme Leader, mais ne voient pas que c'est l'UE qui est derrière."
Plus globalement, 80% des répondants estiment que l'UE n'est guère présente dans leur action au quotidien (55% peu présente, 25% pas présente du tout). Elle n'est "très présente" que pour 3% d'entre eux. Lorsqu'elle l'est, c'est avant tout en matière de développement économique (59%), d'environnement et de climat (53%) et de pêche et d'agriculture (48%). Ils souhaiteraient qu'elle le devienne surtout en matière d'environnement et de climat (65%) et de développement économique (41%). Via des aides, mais aussi, paradoxalement, via une action réglementaire accrue (taxe carbone, harmonisation fiscale et sociale…). En revanche, 73% des répondants restent muets lorsqu'on leur demande une action précise à mettre en place.
81% des répondants indiquent ne pas rencontrer de difficultés imputables à l'UE. Pour les 18% qui estiment y être confrontés, viennent en tête les contraintes réglementaires (32%), les modalités d'obtention des financements (20%), la complexité des démarches/dossiers (10%) et la bureaucratie (9%) – les trois derniers items étant très proches… La perte d'autonomie (4%), l'ouverture à la concurrence (2%) ou le démantèlement des services publics (2%) ne sont guère évoqués.
Globalement, l'ignorance prédomine. 84% des répondants s'avouent mal informés des aides de l'UE dont pourrait bénéficier leur territoire (1% de "très bien informés"). Un tiers d'entre eux seulement indique avoir entendu parler de la Conférence sur l'avenir de l'Europe (confortant les récents résultats de l'enquête conduite par le Comité des régions), 6% seulement voyant "précisément de quoi il s'agit". 1% indique avoir déjà organisé des actions dans ce cadre, 12% envisageant de le faire. Pourtant, 69% estiment que les collectivités ont un rôle à jouer pour développer le sentiment d'appartenance à l'Europe, notamment en communiquant auprès des citoyens, et ce en donnant une image positive de l'UE.

Bureaucratie franco-française

Invité par le Sénat à livrer son analyse, Thibaut Guignard, représentant la commission Europe de l'Association des maires de France, et par ailleurs à la tête de Leader France, ne se dit pas surpris par les résultats de l'enquête, retrouvant ce qu'il "entend au quotidien". Il estime toutefois qu'il manque un volet à l'étude, relatif à la connaissance par les élus locaux du mécanisme de gestion des fonds de l'UE en France. "Quand on parle de bureaucratie européenne, on parle surtout de bureaucratie franco-française", précise-t-il. Prenant l'exemple du programme Leader et de la programmation 2014-2020, il ajoute : "Ce n'est pas l'UE qui a décidé que la régionalisation des fonds serait faite au moment de la réforme territoriale et des nouvelles régions, au moment des élections régionales et des changements d'exécutifs, avec une incapacité de l'Agence de services et de paiements à échanger et à co-construire avec les régions…" Avec pour résultat à ce jour "plus de 50% de l'enveloppe qui n'est pas attribuée et même pas 30% de crédits versés", ce qui place la France "à l'avant-dernière place", alors que "c'est elle qui est à l'origine de ce programme". Étayant l'argument, relevons que le rapport sur la gestion des fonds commandé par Amélie de Montchalin, et dont la "publication imminente" est promise par Clément Beaune depuis plus d'un an, n'a toujours pas trouvé son fil d'Ariane dans ce dédale… En conclusion, Thibaut Guignard souligne "l'effort de pédagogie et de communication à mener", persuadé "que toutes les communes peuvent avoir accès aux fonds et programmes". Un effort qui sera notamment conduit par le sénateur Rapin, président de la commission des affaires européennes. Il présentera l'étude et recueillera l'avis des élus locaux des départements ayant le plus répondu à la consultation : à Strasbourg le 27 novembre, Rennes le 4 décembre, Bordeaux le 11 décembre, en Haute-Savoie et à Saint-Germain-en-Laye, sans qu'une date n'ait été encore fixée.