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Gestion des fonds européens : "Il faut remettre de la confiance à tous les étages !"

Alors que la fédération nationale des territoires ruraux, Leader France, vient de tenir son assemblée générale à Narbonne, son président, Thibaut Guignard, revient sur les récentes annonces de la secrétaire d’État Amélie de Montchalin. Et appelle à la sérénité et au dialogue après la polémique intervenue avec les régions.

Localtis : Vous venez de saluer dans un communiqué de presse l’initiative de la secrétaire d’État Amélie de Montchalin visant à une simplification de l’accès aux fonds européens. Vous y croyez vraiment ?

Thibaut Guignard : J’y crois parce que la ministre a non seulement la ferme volonté de faire avancer les choses, mais aussi la méthode, en ayant notamment obtenu que trois corps d’inspection de l’État puissent étudier la question in concreto. Il convient toutefois de noter que la ministre ne peut pas tout. Il relève de la responsabilité de tous les acteurs de définir une chaîne d’instruction et de paiement plus efficace. Pour cela, il est nécessaire que la période d’inspection et de concertation qui va s’ouvrir se déroule dans la sérénité.

Vous visez ici le communiqué de Régions de France vitupérant les déclarations de la secrétaire d’État ?

J’avoue que je n’ai pas compris cette réaction, qui me paraît inappropriée tant sur le fond – la secrétaire d’État n’a accusé personne, ni au congrès des maires, ni lors de notre assemblée – que sur la forme. Parler de "flagrant délit de mensonge" ou d’"exercice malhonnête", l’accuser de "ne rien connaître au sujet", tout cela me paraît d’autant plus déplacé que le constat est édifiant. Le système fonctionne mal pour certains fonds, et ne fonctionne tout simplement pas pour les programmes Leader. À ce jour, moins de 10% des fonds ont été versés et 30% engagés ! On nous avait promis une embellie pour 2019, mais le ciel reste sombre. Les régions ont annoncé des recrutements. Sont-ils engagés ? Quels seront la formation et le profil des collaborateurs recrutés ? Ces embauches seront-elles pérennes ? Autant de questions qui restent pour l’heure sans réponse. Si l’on veut sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes, l’heure n’est plus à pointer les responsabilités de tel ou tel, mais à restaurer le dialogue et la confiance. Le cœur du problème est le manque de confiance : aujourd’hui, les régions surcontrôlent les groupes d’action local (GAL) car elles ont elles-mêmes peur - ce qui est légitime - des contrôles de l’Agence des services et de paiement, de la Cour des comptes ou de la Commission européenne. Il faut donc remettre de la confiance à tous les étages. Lors de notre assemblée générale, Véronique Domini, de la DG Agri, a d’ailleurs annoncé que désormais la Commission ne contrôlerait plus les dossiers eux-mêmes, mais les procédures de contrôle. C’est une petite révolution !

La secrétaire d’État a également émis l’idée de recruter dans chaque intercommunalité un collaborateur chargé de l’ingénierie des dossiers. Qu’en pensez-vous ?

C’est une piste que la secrétaire d’État a depuis affinée. En la matière, il faut là encore de la souplesse. En Bretagne par exemple, l’ingénierie est portée par les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) et cela fonctionne très bien. Cela pourrait effectivement être conduit au sein de communautés de communes dans d’autres endroits, ou par des conseils départementaux ailleurs, comme l’a également suggéré Amélie de Montchalin. Rappelons également que cette question de l’ingénierie ne se pose pas pour les programmes Leader ou du FEAMP (fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ndlr), les programmes de développement local par les acteurs locaux (DLAL) disposant de leur propre ingénierie en interne (animateurs et gestionnaires) cofinancés par les fonds européens. Pour nous, le véritable obstacle, c’est la complexité et la longueur de l’instruction par les autorités de gestion. Mais là encore il ne s’agit pas de désigner des coupables. Le métier d’instructeur est aujourd’hui particulièrement difficile. Ils sont entre le marteau et l’enclume, directement aux prises avec des interlocuteurs locaux irrités par la situation et sous une forte pression de leur hiérarchie qui veut que les dossiers avancent… Leur situation n’a rien d’enviable. D’où d’ailleurs un certain mal-être au travail qui se traduit par un fort turn-over, qui alimente les problèmes. À eux aussi il faut accorder souplesse et confiance. Il faut agir de même avec les animateurs Leader, aujourd’hui englués dans des tâches administratives, qu’il faut remettre sur le terrain pour y faire du développement local.

Amélie de Montchalin a également confessé étudier la mise en place d’une garantie au profit des banques pour accélérer le versement des fonds. Qu’en pensez-vous ?

Je suis partagé. Je comprends très bien et salue la volonté de la secrétaire d’État de trouver des solutions à court terme. Et tant mieux si on en trouve. Mais mettre en place un tel système d’avances, c’est dans le même temps acter le fait que les fonds arriveront toujours en retard. Or, ce que je veux, c’est que les fonds arrivent rapidement ! J’ajouterais par ailleurs que la plupart des banques accordent déjà des facilités quand le rapport d’instruction est définitivement validé. Au risque d’insister, le nœud du problème, c’est l’instruction, qu’il faut débloquer.

Que vous inspire la composition de la nouvelle Commission européenne, et notamment la place accordée à la politique de cohésion ?

Je dois avouer que la première source de préoccupation a davantage trait au prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Les États membres vont-ils continuer à jouer petit bras ? On nous a assuré que les programmes Leader représenteront toujours 5% des fonds Feader. Mais 5% de quelle enveloppe ? Notre difficulté tient au fait que le programme Leader est toujours rattaché à la politique agricole commune – alors que l’on fait du développement local ! Or la PAC est toujours une politique très discutée. En outre, nous dépendons en conséquence des procédures de cette politique, particulièrement strictes. Il est d’ailleurs étonnant de constater que les règles de gestion d’Erasmus +, par exemple, sont aussi simples et souples, avec 80% d’avances, et que les nôtres sont rigides. Le besoin d’harmonisation est criant. Une autre difficulté, spécifique à la France cette fois, tient au fait que les députés européens français qui sont membres de la commission Agri sont assez peu sensibles au développement rural. À l’exception notable d’Irène Tolleret et de Éric Andrieu, que nous avons d’ailleurs tenu à mettre en avant lors de notre assemblée générale [Éric Andrieu s’est vu remettre le prix d’honneur de la fédération, ndlr].

Vous êtes également membre du Parlement rural. Quel est votre sentiment à l’égard de l’Agenda rural ?

De la même manière que nous avons légitimement critiqué l’absence de prise en compte des territoires par le président de la République et son gouvernement au début de leur mandat, il faut savoir saluer les avancées lorsqu’elles existent. La France est le premier pays de l’Union à se doter d’un Agenda rural et si je ne fais pas partie de son comité de suivi, les échos que j’en ai sont plutôt enthousiastes. L’approche suivie est réellement pragmatique et l’on sent une véritable résolution politique. Le Premier ministre lui-même a fait part de sa volonté de transcrire dans les textes un certain nombre de propositions émises par la mission. Et la ministre Jacqueline Gourault, issue d’un département rural, connaît les problématiques et croit en cet agenda. C’est encourageant.