Projets immobiliers de la justice : Gérald Darmanin compte sur la contribution des collectivités
Dans une circulaire datée du 30 avril, le garde des Sceaux demande aux chefs de cours d'étudier avec les collectivités la participation, foncière ou financière, de ces dernières aux projets immobiliers de la justice. Une consigne a priori adressée à tous les services de la place Vendôme, qui concernerait donc également les établissements pénitentiaires.

© @GDarmanin/ Captures vidéo Gérald Darmanin dans l’usine Bouygues Constructions qui produit des cellules de prison modulaires en béton, le 14 avril 2025
Alors que les collectivités sont déjà sollicitées, entre autres, pour la construction des gendarmeries (lire notre article du 14 avril), un nouveau transfert de charges se profile-t-il avec les juridictions et les prisons ? Dans une circulaire du 30 avril relative aux nouvelles orientations de pilotage et de gestion des juridictions, prise "dans un contexte de grande tension budgétaire au niveau national", le ministre de la Justice demande aux présidents des cours d'appel et procureurs généraux près ces dernières, pour les projets immobiliers "arbitrés, d'étudier avec les collectivités territoriales leur participation foncière ou financière à ces projets structurants, afin d'en limiter le coût global pour le ministère". Et Gérald Darmanin de préciser que "tout autre engagement des collectivités concernées (droit de réservation de logements, aides aux berceaux et accès aux crèches) [peut] être également utilement négocié". Si la présente circulaire est adressée aux seuls chefs de cours, cette politique vaut a priori pour tous les services du ministère, et vise en conséquence l'ensemble des projets immobiliers de ce dernier, y compris les établissements pénitentiaires, centres éducatifs fermés, etc.
Un plan 15.000 places qui patine
Les négociations risquent d'être parfois malaisées. Dans son rapport de 2023 sur le projet de budget de l'administration pénitentiaire pour 2024, le sénateur Louis Vogel, évoquant le "plan 15.000" (entendre, nouvelles places "nettes" de prison d'ici à 2027), indiquait ainsi que "si toutes les emprises foncières ont été trouvées, c'est-à-dire identifiées par les préfets pour l'implantation des nouveaux établissements prévus, les négociations avec les collectivités sont en cours, et s'avèrent pour certaines très difficiles". Pour preuve, un an plus tard, Didier Migaud, alors garde des Sceaux, concédait que ledit plan ne serait finalement pas respecté. Il évoquait alors "des projets complètement bloqués", notamment du fait de "difficultés foncières" et "des oppositions de la part d'élus". Depuis, son successeur affiche sa détermination. Le 13 avril dernier, Gérald Darmanin annonçait "le lancement prochain d'un appel d'offres pour la construction de plusieurs milliers de place de prison construites en modulaires, livrables en quelques mois contre sept ans pour des établissements pénitentiaires classiques". Reste toujours à trouver l'endroit (Troyes devrait accueillir le premier site de "prison en préfabriqué", de 50 places).
Des "retombées positives" qui peinent visiblement à convaincre
Dans une brochure consacrée aux "enjeux des élus et des collectivités territoriales" publiée pour le dernier Salon des maires, Didier Migaud s'était employé à vanter "les retombées positives pour l'activité économique et l'emploi local" des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires auprès des collectivités. Pour la création d'une structure de 500 places, le ministère promet 325 emplois directs au sein de l'administration pénitentiaire (et autant de logements nécessaires), environ 170 emplois indirects et environ 3,75 millions d'euros de commandes effectuées par l'établissement. Il souligne encore "les nombreux avantages" induits par le travail pénitentiaire pour les collectivités et les entreprises, qui "peuvent ainsi maîtriser leurs coûts, maintenir une production locale et recourir à des personnes volontaires […], notamment pour les métiers en tension".
L'impasse des pistes fiscale ou SRU
Visiblement sans suffisamment convaincre, ce qui n'est pas nouveau. Dans son livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire de 2017 (lire notre article du 27 avril 2017), Jean-René Lecerf proposait déjà de "mieux intéresser les collectivités à accueillir les prisons", invitant notamment l'État à ne pas "a priori se priver de l'utilisation de l'outil fiscal, par exemple en utilisant les mécanismes de crédits d'impôts ou les dotations". Il suggérait encore la possibilité de prendre en compte les cellules dans le décompte du taux minimal de logements sociaux prévu par l'article 55 de la loi SRU. Une piste restée sans suite, en dépit de tentatives régulières (parmi d'autres, amendement finalement rejeté de Valérie Letard, alors sénatrice, au projet de loi 3DS ou, dernièrement, proposition de loi du député Philippe Schreck). En 2021, la secrétaire d'État Bérangère Abba, dans une réponse à une question orale du sénateur Frédéric Marchand, rappelait que le gouvernement d'alors refusait que le "dispositif SRU soit ainsi détourné de sa finalité". Elle y estimait par ailleurs que "l'installation d'une prison sur le territoire d'une commune induit le versement par l'État de concours financiers complémentaires"… en considérant que l'augmentation de la population induite "entraîne notamment une hausse de la part forfaitaire de sa dotation globale de fonctionnement comprise entre 64 et 129 euros par habitant".