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Réhabilitation des friches industrielles : les collectivités n'arrivent pas en terrain vierge

Les collectivités territoriales, et en particulier les intercommunalités engagées dans le programme Territoires d’industrie, ont exprimé des attentes fortes devant la mission d’information présidée par la députée Marie-Noëlle Battistel, en termes d’ingénierie et de leviers fiscaux, pour enclencher des projets de revitalisation des friches industrielles. Du côté de l'État, une feuille de route devrait être présentée en septembre.

La mission d’information commune à la commission des affaires économiques et à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, constituée fin mai pour lever les freins à la revitalisation des "friches industrielles, commerciales et administratives" poursuit ses travaux, sous la présidence de Marie-Noëlle Battistel (Soc.). Après une série d’auditions tournée vers les agences techniques (BRGM, Ademe, Ineris) durant la première quinzaine de juin, un tour de table des collectivités territoriales était prévu ce 25 juin. Sur ces problématiques, l’ADCF - Assemblée des communautés de France - en particulier n’arrive pas en terrain vierge puisqu'elle s’est beaucoup mobilisée sur le sujet au travers du programme "Territoires d’industrie". Des friches aux origines multiples liées à la désindustrialisation et parfois à un accident industriel sur un territoire. Sébastien Martin, administrateur de l’ADCF et président de la communauté du Grand Chalon (Bourgogne-Franche-Comté), y voit aussi une conséquence d’une conception cloisonnée de l’aménagement du territoire "qui a tendu au zonage". 

Montée des friches en périphérie

En entrée de villes, "on ne se retrouve pas seulement avec des zones commerciales mais aussi avec des friches industrielles", constate-t-il. Spontanément c’est d’ailleurs la friche industrielle qui vient à l’esprit "de façon la plus prégnante", même si la notion peut avoir une acception bien plus large et englober aussi les "friches militaires, hospitalières, religieuses etc.", remarque, le secrétaire général de l’ADCF, Philippe Schmit. Cela implique donc "un travail un peu approfondi des spécificités sur chacun des types de friches à la fois sur la problématique de l’occupation du sol, de la nature du sol, des questions de propriété, d’occupation, d’évictions etc.", et pas uniquement sous l’angle des friches industrielles. Par exemple, il existe généralement une "unicité foncière" pour une friche industrielle "que l’on ne va pas obligatoirement retrouver pour une friche commerciale", laquelle en revanche ne présente évidemment pas la même complexité en termes de sols pollués et d’encombrement qu’un site industriel, souligne Philippe Schmit. Et la crise sanitaire risque de nous entraîner sur la problématique "des friches commerciales en périphérie", faisant poindre une interrogation "comment se réapproprier tout ce foncier en considérant qu’il y aura encore des activités dont il faudra payer les évictions ou les ruptures d’activité ?". 

Des outils d’ingénierie en développement

Une crainte qui taraude également Jean-Louis Denoit, maire de Viviez, petite commune de l’Aveyron, membre de l’Association des maires de France (AMF). "Avec la crise du Covid-19, on pourrait rapidement avoir des friches dans des activités industrielles qui ne posaient pas de problème jusqu'à lors, dans l’aéronautique notamment, très présent en région Occitanie", s’inquiète l’édile qui déplore qu’en matière d’incitation à la dépollution, "on tourne un peu en rond". Ainsi, lorsqu'une cession est prononcée, "la majorité des maires repart sur une requalification des terrains en activité industrielle, ce qui simplifie la problématique de dépollution". Et pour cause "la faisabilité des opérations n’est pas la même partout, il y a même des territoires où la faisabilité est inexistante ce qui fait qu’il y a des friches qui perdurent", regrette-t-il. Il y a "un vrai sujet spécifique" en matière d’ingénierie des friches industrielles, rebondit Philippe Schmit, tout en insistant à cet égard sur la nécessité d’apporter des garanties financières aux établissements publics fonciers (EPF) qui en sont un rouage essentiel.
Guillem Canneva, conseiller technique en charge du dossier artificialisation et friches au ministère de la Transition écologique auprès de la secrétaire d'Etat Emmanuelle Wargon promet des réponses dans l’été avant une feuille de route plus complète prévue pour septembre. Les deux groupes de travail qui y planchent ont d’ailleurs fusionné en janvier dernier "car il nous semblait évident d’ajouter les friches dans la balance pour réfléchir de façon cohérente à l’artificialisation", explique-t-il. Concrètement, la plateforme nationale des friches pilotée par le Cerema devrait ainsi mettre à disposition ses premières données en version "beta" dans les prochaines semaines. Mais l’idée de cette start-up d’État est bien d’aller au-delà de ce volet "inventaire" en proposant à l’horizon 2021 des services numériques à destination des collectivités, aménageurs et promoteurs pour faciliter le processus de recyclage du foncier, confirme Guillem Canneva. Cette "seconde brique" développerait plutôt de l’aide à la décision - les données sur la tension foncière peuvent, par exemple, faire partie des informations utiles - mais la décision resterait in fine aux élus. 

Des leviers fiscaux pour rendre attractif le recyclage du foncier

Car le sujet est bien celui du désavantage concurrentiel du renouvellement urbain versus l’extension urbaine. C’est donc ici la question du modèle économique de reconquête des friches qui est sur la table. Pour de la dépollution, les coûts peuvent être très conséquents, "autour de 100, 200, parfois 500 euros du mètre carré", précise Guillem Canneva, qui estime qu’une politique volontariste sur le recyclage des friches "nécessite des moyens importants", en particulier en "marché détendu" "pour éviter les effets d’aubaines". Sachant que ces friches se recyclent en revanche plus systématiquement en "marché tendu où le coût de dépollution est intégrable dans l’opération", explique le conseiller technique. Une des options à l’étude repose sur la taxation des plus-values des terrains nus devenus constructibles, dont le produit pourrait être réorienté vers "un ou des fonds", "plutôt dans des logiques régionales" pour aider le recyclage foncier. Avec des recettes fiscales annuelles "de l’ordre de 100 millions d’euros" - ce qui correspond à une centaine d’hectares - cela relativise quand même ce levier.
D'autres pistes sont en débat, notamment la majoration de la taxe d’aménagement perçue sur les opérations d’aménagement en extension des tissus urbains existants, de manière à pénaliser des projets concourant à l’artificialisation des sols. 

Sous-consommation des crédits Feder

Le rapporteur de la mission, Damien Adam (LREM), travaille aussi à un dispositif de "bonus-malus" qui viendrait renchérir le coût de l’extension urbaine sur des terres arables dans l’optique là encore d’abonder un "fonds friches". Une idée "intéressante", juge Sébastien Martin, qui estime de son côté qu’ " il y a absolument quelque chose à faire avec les régions sur la question de la gestion des programmes Feder". Le président de la communauté du Grand Chalon relève ainsi que la Bourgogne-Franche-Comté est seulement "à 65% de consommation d’un programme qui s’achève en 2020". Il y a là "un sacré levier" qui suppose que l'on soit "un peu moins enfermé dans des tuyaux d’orgues, que l’on donne de la souplesse dès le début et qu’on encourage vraiment les territoires qui voudraient s’engager sur la reconversion de friches". 

 

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