Révision de la PAC et pacte vert, moteurs de l’euroscepticisme dans les territoires ruraux ?

Une étude publiée ce jour par le Comité européen des régions souligne l’importance de la révision de la PAC et du pacte vert (avec celle des "insécurités culturelles") dans la montée de l’euroscepticisme dans les campagnes françaises. Un phénomène qui touche toutefois l’ensemble des territoires ruraux européens, notamment confrontés au "piège du développement".

Publiée lundi 5 février par le Comité européen des régions en pleine révolte des agriculteurs, voilà une étude qui ne manquera pas de retenir l'attention. Consacrée aux "territoires ruraux et à la géographie du mécontentement" – concept en vogue depuis la fin des années 2010 et qui vise "le clivage entre centre et périphérie au sein de chaque État membre", lequel vient s'ajouter aux plus traditionnelles lignes de partage Nord/Sud et Est/Ouest du continent –, elle met notamment en avant le rôle des "défis économiques" que rencontre l'agriculture dans la montée de l'euroscepticisme dans les zones rurales françaises. Parmi d'autres.

PAC et pacte vert

"Certaines politiques de l'UE ont inévitablement des impacts disproportionnés sur les zones rurales, suscitant le mécontentement et donnant aux gouvernements la possibilité de rejeter la faute sur les décisions de l'Union européenne", estiment les auteurs. Alors que "les zones rurales dépendent fréquemment de l'agriculture", c'est le cas de la PAC. Or, soulignent-ils, cette dernière "a fait l'objet d'une série de révisions importantes ces dernières années, liées aux défis environnementaux et autres". Ils ajoutent que "les modifications apportées aux règles sur le bien-être animal découlant de la stratégie 'De la ferme à la fourchette' dans le cadre du pacte vert pour l'Europe et des accords commerciaux avec des pays tiers ont également créé des complications pour les moyens de subsistance ruraux". Et de relever en particulier le cas de la France, où "ces politiques peuvent créer des défis socio-économiques, culturels et autres pour les zones rurales, qui peuvent ensuite être liés à la montée du vote eurosceptique". Une thèse forte, alors que la part des agriculteurs dans la population active, française comme européenne, se réduit comme peau de chagrin (voir notre article du 2 février). Et de conclure : "Sans communication claire et sans solutions, il est naturel que les populations mécontentes considèrent l'UE comme la source de leurs problèmes et répondent aux messages anti-UE des partis politiques et des candidats." 

Le "piège du développement"

Les autres principaux enseignements de l'étude ne font que confirmer plus ou moins les résultats de précédents travaux :
- les partis eurosceptiques se retrouvent sur l'ensemble du spectre politique, tant à gauche qu'à droite, l'euroscepticisme étant davantage une "réaction à un mécontentement à l'égard des politiques ou des pratiques associées à l'UE plutôt qu'à une certaine idéologie politique" ;
- les territoires ruraux sont davantage enclins à soutenir les partis eurosceptiques (voir l'étude de la DG Regio de 2023) ;
- parmi les éléments favorisant le vote eurosceptique, sont évoqués la stagnation économique (le "piège du développement" mis en lumière par la Commission, auquel les régions françaises sont, selon cette dernière, particulièrement exposées – voir notre article du 3 mai 2023), le défi démographique (voir notre article du 19 janvier 2023), une forte immigration extra-européenne, un niveau d'éducation plus faible et la désinformation. 
L'étude souligne également que l'importance des élections régionales dans l'évolution de ce phénomène, bien que généralement moins défavorables à l'Europe, ne doit pas être négligée dans la mesure où "elles peuvent consolider les partis eurosceptiques". 

Le cas de la France

Des résultats à interpréter avec prudence du fait des choix méthodologiques retenus (qui ne sont pas en eux-mêmes sans intérêt). L'étude classe ainsi (plus exactement, elle reprend les travaux des enquêtes d'experts de Chapel Hill) les partis en fonction d'un score obtenu au regard de leurs positions à l'égard de l'UE (de 1 pour les plus eurosceptiques à 7 pour les plus europhiles), en distinguant ensuite les "eurosceptiques durs" (score inférieur à 2,5) et les "eurosceptique doux" (score compris entre 2,5 et 3,5). 
• Pour les législatives de 2022, l'étude range le Rassemblement national (score de 1,4) parmi les "eurosceptiques durs", et la Nupes (score de 2,9, incluant donc socialistes et écologistes, suivant le Conseil d'État – voir notre article du 7 juin 2022) parmi les "eurosceptiques doux" (Reconquête atteignant un score de 3). Ce qui explique sans doute le fait que "la plus grande proportion de régions atteignant un taux de vote de plus de 50% pour les partis eurosceptiques étaient majoritairement des régions urbaines", comme indiqué dans l'étude. Lors de ces élections, il est relevé que les régions "comptant une part significative de territoires ruraux et eurosceptiques étaient la Bourgogne-Franche-Comté, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, le Centre-Val de Loire et Paca". Il est par ailleurs rappelé que dans toutes les régions NUTS 3 (soit celles d'avant le redécoupage), le vote eurosceptique dépasse les 30%.
• Pour les régionales de 2021, Debout la France (score de 1,43) rejoint le RN parmi les "eurosceptiques durs", La France insoumise (score de 2,9) et le parti communiste (score de 3) émargeant au rang des "eurosceptiques doux". Une boîte que quittaient cette fois le parti socialiste (score de 6,1) et les Verts (score de 6,4), les "marcheurs" étant par ailleurs considérés comme les plus europhiles (score de 6,8). Au terme du scrutin, l'étude indique que le vote eurosceptique provient cette fois majoritairement des zones rurales (52% de vote eurosceptique) et des régions intermédiaires (41%). Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie et Paca sont les régions accordant le plus fort taux de vote aux partis eurosceptiques.
Pour l'expliquer, les auteurs reprennent notamment les travaux de Gilles Ivaldi et Joël Gombin, pour qui "la PAC a historiquement protégé les agriculteurs en garantissant la stabilité des revenus dans un contexte de concurrence internationale croissante sur les marchés agricoles nationaux, favorisant ainsi un fort soutien à l'intégration européenne parmi les agriculteurs français. Cependant, les perceptions récentes d'une efficacité diminuée de la PAC parmi certains sous-groupes d'agriculteurs ont conduit à un mécontentement à l'égard des politiques de l'UE au sein de ces segments et ont contribué à leur soutien à la position protectionniste nationale du RN". 
S'appuyant sur d'autres travaux, ils estiment par ailleurs que "les personnes vivant dans les zones rurales, moins exposées aux bénéfices de la mondialisation, sont de plus en plus touchées par ce qu'on appelle 'l'insécurité culturelle'. Il s'agit d'une série de crises et d'insécurités culturelles profondément enracinées, telles que l'insécurité économique, la peur de pratiques culturelles et religieuses inconnues, la criminalité et le terrorisme, que les Français, notamment ceux vivant en dehors des zones urbaines, associent de plus en plus à l'UE et à ses politiques".

Urgence

En conclusion, l'étude souligne l'urgence – d'autant plus grande "en cette année d'élections importantes, aux niveaux européen, national et infranational" (voir notre article du 31 juillet 2023) – de mettre en œuvre les solutions notamment préconisées par le Comité des régions dans sa déclaration de Logroño (voir notre article du 7 novembre 2023). Parmi lesquelles la mise en œuvre du "test rural" ou la nécessité de "placer les territoires ruraux à l'avant-garde de la transition numérique afin de renforcer leur attractivité, de réduire la fracture numérique entre zones urbaines et rurales". Elle préconise encore d'améliorer les stratégies de lutte contre la désinformation en ligne et de "renforcer le rôle du dialogue citoyen dans le processus décisionnel afin d'assurer un meilleur alignement et une meilleure synergie entre l'élaboration des politiques institutionnelles, les besoins locaux et les perspectives des électeurs". La PAC n'est, en revanche, pas évoquée.

 

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