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Risques industriels : deux ans après l'accident de Lubrizol, une commission du Sénat propose de nouvelles mesures

Dans un rapport d'information adopté à l'unanimité le 26 janvier, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a évalué la mise en oeuvre par le gouvernement des mesures préconisées par la commission d'enquête de la Haute Assemblée visant à tirer les enseignements de l'accident des usines Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen le 26 septembre 2019. Si 80% des recommandations de la commission d'enquête ont été suivies d'effets, estiment les auteurs du rapport, ils préconisent huit mesures complémentaires pour améliorer la prévention des accidents industriels, renforcer l’information du public, améliorer l’évaluation environnementale, le traitement et la réparation des dommages et définir un système et des procédures permettant d’assurer un suivi sanitaire efficace des populations touchées par un accident de ce type.

"Bien mais peut encore mieux faire". C'est l'appréciation portée par un rapport d’information de la commission de l’aménagement du territoire et du développement du Sénat, qui a passé au peigne fin l’ensemble des mesures prises par le gouvernement depuis l’accident des usines Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen, le 26 septembre 2019. Présentées par Pascal Martin (UC, Seine-Maritime), rapporteur, et adoptées à l’unanimité ce 26 janvier par la commission, les conclusions de ce travail s’appuient sur un cycle d’auditions engagé à la rentrée 2021 et visent à exercer un "droit de suite" aux travaux de la commission d’enquête sénatoriale constituée, à l’unanimité des groupes politiques en octobre 2019.

Prolonger le travail de la commission d'enquête

Faisant siennes les 42 recommandations de cette dernière visant à tirer les enseignements de l'accident de Lubrizol, adoptées en juin 2020, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a procédé à l’évaluation de leur mise en œuvre. Elle a ainsi estimé à près de 80% la proportion de celles ayant été suivies d’effets. "Les évolutions significatives intervenues sur le plan législatif et réglementaire, avec pas moins de 9 arrêtés pris en 2020 et 2021 et 9 lois traitant de sujets liés aux retours d’expérience de cet accident, permettront de répondre aux failles béantes révélées par l’accident, en particulier pour la prévention du risque incendie, a souligné la commission dans un communiqué ce 7 février. Toutefois, elles devront faire l’objet de contrôles approfondis de la part de l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), dont les effectifs devront nécessairement être ajustés à la hausse dans les prochaines années."
Les sénateurs veulent notamment attirer l’attention du Gouvernement sur la "nécessité de faire évoluer rapidement notre organisation et nos outils pour réaliser et analyser les prélèvements environnementaux permettant d’évaluer les risques sanitaires en cas d’accident industriel." Ils ont également rappelé la recommandation de la commission d’enquête visant à appliquer le principe de précaution au suivi sanitaire des populations.

Gestion de crise : mieux accompagner les maires dans l'exercice de leurs compétences

Dans la continuité des travaux de la commission d’enquête, les sénateurs ont adopté 8 recommandations complémentaires s’inscrivant dans 4 axes. Ils veulent ainsi améliorer encore la prévention des accidents industriels et augmenter le nombre de contrôles et d'inspections. Parmi les trois recommandations formulées sur cet axe, ils préconisent d'"accompagner les maires dans l'exercice de leurs compétences en matière de gestion de crise et dans le renforcement de la résilience des territoires face aux effets des accidents industriels". Pour cela, il faudrait selon eux compléter le troisième alinéa du I de l'article L. 731-3 du code de la sécurité intérieure pour prévoir la transmission annuelle, du préfet au maire concerné, des retours d'expérience issus de la mise en oeuvre des plans particuliers d'intervention (PPI) ainsi que d'un bilan synthétique des conclusions des contrôles des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) réalisés sur le territoire. Ils suggèrent également de compléter l'article L. 741-6 du même code pour prévoir la présence obligatoire de l'exploitant ainsi que du maire concerné ou de son représentant lors de l'organisation des exercices prévus dans le cadre des PPI.
Les sénateurs proposent aussi de "mettre à l'étude" une inscription, dans les missions de l'association nationale qui sera chargée de diffuser la culture du risque, d'un rôle d'appui et de soutien aux collectivités dans la mise en oeuvre de leurs stratégies de prévention des risques et d'information du public, comprenant l'aide à la rédaction de leurs documents de gestion de crise, de compléter le II bis de l'article L. 125-2 du code de l'environnement pour faire référence à la garantie contre les effets des catastrophes technologiques prévue à l'article L. 128-2 du code des assurances dans les informations que le maire apportera à la population et de prévoir la mise à disposition de l'ensemble des maires des communes d'un département comportant au moins un établissement classé Seveso de supports d'information sur les risques et les comportements à tenir en cas d'accident, afin qu'ils puissent les partager auprès de la population.
Autres propositions allant dans le sens d'un meilleur accompagnement des maires : modifier les dispositions relatives aux commissions de suivi de site (CSS) instituées par le préfet pour assurer la représentation de toutes les collectivités qui pourraient potentiellement subir les effets d'un accident dans une ICPE classée Seveso, proposer un nouveau dispositif de soutien financier à destination des entreprises et des collectivités afin de les accompagner dans la mise en sécurité de leurs bâtiments et le renforcement de leur résilience face aux accidents industriels, notamment dans le cadre des prescriptions imposées par les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) et évaluer d'ici la fin de l'année 2023, l'action des services de l'État visant à accompagner les collectivités territoriales en matière de prévention des risques industriels et à soutenir les initiatives des intercommunalités conçues pour mettre en place une direction des risques.

Meilleure information et participation du public

Pour "renforcer l’information et assurer une meilleure participation du public à la prévention et à la gestion des risques industriels",  les sénateurs appellent à désigner "dès le premier semestre 2022" la nouvelle association nationale chargée de porter la politique de sensibilité aux risques (lire notre article) et le renforcement de la culture de la sécurité industrielle et à réformer en profondeur" le cadre applicable au suivi des CSS mises en place par les préfets dans le périmètre des établissements industriels sensibles. Ils préconisent ainsi, à l'article L. 125-2-1 du code de l'environnement, de préciser que lorsque l'exploitant, les collectivités ou les riverains demandent la création d'une CSS, cette demande de création est de droit, avec l'obligation pour le préfet d'y donner une suite favorable et d'apporter un complément au dernier alinéa de l'article L. 125-2-1 pour préciser que la composition des CSS doit permettre une représentation plus importante des élus, des riverains, de la population exposée en second rideau et des associations de protection de l'environnement. Il faudrait aussi selon eux prendre un décret pour faire évoluer la composition des CSS (article R. 125-8-2 et R. 125-8-4 s'agissant du poids relatif de chaque collège dans les prises de décisions) "afin d'assurer une plus grande présence et représentation des élus, des riverains, de la population exposée en second rideau et des associations de protection de l'environnement".
Ils appellent aussi à renforcer l'utilité d'autres instances de concertation et de suivi comme le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) et les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI). Pour cela, ils préconisent de modifier l'article L. 125-8 du code de l'environnement pour créer une procédure de "création de droit" à la demande des élus ou du public s'agissant des instances de suivi de la mise en oeuvre des mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser les effets négatifs notables sur l'environnement des projets d'infrastructure linéaire soumis à évaluation environnementale, en application de l'article L. 122-1. A l'article L. 125-2-1, il faudrait "consacrer dans la loi" l'existence des S3PI, en prévoyant leur création de droit dans les mêmes conditions que celles précitées "et obligatoirement après un événement ayant donné lieu à la reconnaissance de l'état de catastrophe technologique et en prévoyant une représentation plus forte des élus et du public". Ils jugent aussi nécessaire de prévoir la mise en place d'une cellule dédiée, sur le modèle du comité de la transparence et du dialogue (CDT) instauré à Rouen, dans le cas d'un accident d'ampleur comparable.

"Suivi sanitaire efficace des populations"

Les deux derniers axes de propositions visent à  améliorer l’évaluation environnementale, le traitement et la réparation des dommages résultant d’un accident industriel en favorisant notamment  les recours collectifs pour l'indemnisation des préjudices, et à définir "un système et des procédures permettant d’assurer un suivi sanitaire efficace des populations touchées par un accident industriel". Ainsi, pour "remédier aux failles organisationnelles révélées par l'accident de Rouen", la commission considère que les professionnels de santé doivent être associés "tout au long de la gestion accidentelle et post-accidentelle" et que le recueil des données environnementales "doit être envisagé et mis en place pour permettre une évaluation rapide et fiable des conséquences sanitaires d'un accident industriel."