Sécurité des ponts : pour le Sénat, "le compte n'y est toujours pas"

Trois ans après un rapport de mission appelant à un "Plan Marshall" pour remédier à l'état jugé préoccupant des ponts routiers, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a exercé son droit de suite et constaté que la mise en œuvre des actions préconisées reste insuffisante en termes de moyens financiers. Pour enrayer la "spirale de dégradation" des ouvrages d'art, elle vient d'adopter à l'unanimité sept nouvelles propositions.

Quelques mois après le tragique effondrement du pont Morandi, à Gênes le 14 août 2018, le Sénat avait conféré à sa commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les pouvoirs d'une commission d'enquête pour évaluer la politique de surveillance et d'entretien des ponts routiers en France. Le rapport de la mission, rendu le 27 juin 2019 (lire notre article), faisait alors un constat sévère – au moins 25.000 ponts étaient reconnus en mauvais état structurel, les ouvrages d'art souffrant d'un sous-investissement chronique depuis plus de dix ans -, et concluait à la nécessité d'engager un véritable "Plan Marshall" pour remédier à cette situation.   

Trois ans plus tard, la commission, aujourd'hui présidée par Jean‑François Longeot (Union centriste-Doubs), a chargé Bruno Belin (LR-Vienne) de tirer le bilan de la mise en œuvre de ces propositions et de prolonger ce travail par des recommandations complémentaires, ayant vocation à nourrir une proposition de loi. Conclusion sans appel de la commission : "le compte n'y est toujours pas".

Des montants de travaux estimés à plus de 2 milliards d'euros pour le seul bloc communal

"Si 80% des propositions formulées (…) en 2019 ont trouvé une suite dans des mesures annoncées par le Gouvernement (lois de finances, programme national ponts du Cerema), leur mise en œuvre est notoirement insuffisante, en particulier s’agissant des moyens financiers mis pour la surveillance, l’entretien et la maintenance des ponts", a-t-elle tranché dans un nouveau rapport ce 15 juin. Elle en veut pour preuve l'estimation faite par l’Observatoire national des routes jugeant que l’état du patrimoine de ponts était globalement moins bon en 2020 que les années précédentes, pour l’État ou pour les départements. Pour le bloc communal, la mise en place du Programme national ponts [PNP], piloté par le Cerema, est vue comme une "évolution positive", mais "les moyens déployés sont loin d’être à la hauteur des besoins", pointe-t-elle. "Les premiers résultats de ce programme semblent d’ailleurs dresser un état encore plus préoccupant que celui esquissé en 2019 par la commission : sur les 14.000 premiers ponts visités, 23% présentent des défauts significatifs ou majeurs", soutient le nouveau rapport. Pour le seul bloc communal, les sénateurs évaluent entre 2,2 et 2,8 milliards d'euros les travaux de réparation nécessaires.

Un besoin de "guichet unique"

Dans ce contexte, et à la veille à la fois de la fin des concessions autoroutières et de potentiels transferts de voirie aux collectivités territoriales, la commission a donc identifié 7 propositions complémentaires visant à "enrayer la spirale de dégradation" des ouvrages d’art et à faire face à ce qu'elle qualifie de "chantier du siècle". La première s'adresse à la fois à l'État et au Cerema, en faisant en sorte que ce dernier soit "conforté" dans la conduite d'un PNP "pérennisé", avec un accès simplifié des collectivités territoriales à des prestations de conseils techniques et financiers (rôle de "guichet unique", augmentation de ses effectifs et ressources techniques, mise à disposition des maires de supports d’information et de guides méthodologiques, élargissement du champ des bénéficiaires du programme, inscription du PNP dans le code des transports).

Un fonds pérenne à créer

Les six autres propositions concernent l'État. Pour accompagner les collectivités territoriales dans la surveillance, l’entretien et la réparation de leurs ouvrages d’art, il lui est d'abord proposé de constituer un fonds pérenne doté de 350 millions d'euros pour rattraper le retard accumulé depuis 2020 et abondé de 130 millions d'euros par an, et d'apporter des "évolutions resserrées" au fonctionnement de la dotation de soutien à l'investissement local-DSIL (extension des critères d’attribution de celle-ci à des études de sécurisation d’ouvrages d’art constituant un danger imminent). Les moyens consacrés par l’État à l’entretien des ouvrages d’art du réseau routier national devraient être maintenus à 120 millions d'euros par an en rythme de croisière, estiment les sénateurs, et les autorisations d’engagement augmentées de 89 millions d'euros supplémentaires pour rattraper le retard accumulé depuis 2020.
Le rapport préconise aussi de constituer à horizon 2025 un système d’information géographique national unique (SIG), recensant l’ensemble des ouvrages d’art du territoire national et permettant d’orienter le trafic routier, le cas échéant, en cas de problème de sécurité sur un ouvrage (fusion des SIG existants et en cours de création en veillant à l’interopérabilité des données, renforcement des obligations pesant sur les opérateurs de services numériques d’assistance au déplacement – GPS). Il recommande d'intégrer les dépenses de maintenance des ouvrages d’art dans la section "investissements" des budgets des collectivités pendant une période transitoire de 10 ans à compter du 1er janvier 2023.

Un "carnet de santé" par pont

Un cadre juridique global devrait en outre être défini pour faire face à ce "chantier du siècle" et l’entretien et la réparation des ouvrages d’art planifiés dans la durée (double obligation de déclaration de la propriété d’un ouvrage d’art pour les personnes publiques sur une plateforme dédiée et mise en place d’un "carnet de santé" par pont, définition d’un régime d’inspection et d’entretien réguliers des ouvrages, conditionnée au soutien financier et technique obligatoire de l’État).
Enfin, les sénateurs appellent à "remettre à niveau" l’expertise et les compétences publiques en matière de gestion des ouvrages d’art par la déclinaison opérationnelle des recommandations du rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de janvier 2021.