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Transition agroécologique : plaidoyer pour une directive foncière européenne

L'élaboration d'une directive européenne sur le foncier est l'une des conditions nécessaires pour assurer la transition vers l'agroécologie. C'est ce qui ressort du webinaire organisé récemment par Terre de liens, s'appuyant sur la publication d'un rapport sur le sujet. Plusieurs propositions sont avancées pour amener les politiques publiques, et en premier lieu européennes, à vraiment changer de direction.

Si la nécessité de développer la transition de l'agriculture vers plus de durabilité et de résilience en Europe est globalement partagée, pour ses atouts sociaux, territoriaux et économiques, les réponses tardent et les politiques publiques, qu'elles soient européennes, nationales ou locales, ne sont pas toujours orientées vers l'agroécologie. C'est ce qui a amené la fédération Terre de liens et d'autres acteurs à organiser un webinaire sur le sujet le 25 février 2021. La conférence coïncide avec la publication du rapport "Les Racines de la résilience", publié par le mouvement Nyéléni Europe et Asie centrale pour la souveraineté alimentaire (un réseau d'agriculteurs, de pêcheurs, d'ONG et associations favorisant les initiatives en matière de souveraineté alimentaire), en collaboration avec les membres du partenariat sur les "Stratégies foncières innovantes" (LandStrat). Rapport qui formule plusieurs recommandations sur la manière dont l’agroécologie et un contrôle démocratique du foncier agricole peuvent s’enraciner en Europe.

"Les esprits évoluent, il y a des possibilités pour faire avancer les choses dans ce domaine", a posé Guillaume Cros, vice-président du conseil régional d'Occitanie, rapporteur du Comité européen des régions sur la politique agricole commune (PAC), précisant ce concept d'agroécologie et ses atouts. Outre l'intérêt pour les questions de durabilité et de protection de l'environnement, la crise sanitaire a rendu les questions de résilience et de justice socio-économique et d'entraide plus visibles.

"Une réponse pertinente aux défis auxquels nous faisons face"

"C'est une réponse pertinente aux défis auxquels nous faisons face : l'agroécologie utilise au maximum les écosystèmes comme facteurs de production, elle maintient ses capacités de renouvellement, elle diminue l'empreinte carbone de l'agriculture et favorise la reconquête de la biodiversité, elle assure ou restaure la fertilité des sols, augmente la résilience économique des exploitations et garantit une alimentation saine, locale et accessible, a expliqué Guillaume Cros. Que du bon, que du positif ! En favorisant le tissu des petites et moyennes exploitations, elle est aussi un moteur puissant pour revitaliser nos territoires locaux."

Mais pour les intervenants, la nouvelle PAC en cours de négociation n'a toujours pas pris le virage attendu de longue date. Elle continue en effet de conditionner la plus grande partie des aides financières au volume d'hectares des exploitations, favorisant ainsi les plus grandes. Un autre problème se pose. "La question de l'accès à la terre est essentielle pour le développement de l'agroécologie, a insisté Guillaume Cros. En Europe, chaque État membre a sa politique foncière avec des grandes différences culturelles et historiques mais partout la concentration est favorisée par les aides PAC liées à la surface." Autre effet pervers de la PAC : "Les agriculteurs futurs retraités ne veulent pas vendre leur foncier et préfèrent, pour continuer à toucher les aides, le confier à des entrepreneurs qui, par la mécanisation, produisent en grandes surfaces et sont aux antipodes de l'agroécologie, a déploré Benoît Biteau, député européen EELV. Cette même Commission européenne qui porte le Green Deal, la stratégie De la ferme à la fourchette, continue d'activer, via la PAC, les mêmes mécanismes dont on connaît les dérives et les limites." Une sorte de "cannibalisme en agriculture", dénoncé par l'élu et son groupe politique qui a proposé un amendement de rejet aux plans stratégiques de la PAC en octobre 2020, soutenu par de nombreux députés européens.

"Une directive européenne serait très utile"

En France, depuis la réforme inaboutie de 2014, le sujet revient à intervalles réguliers. La solution pourrait venir de la proposition de loi a été récemment déposée par le député LREM des Hautes-Pyrénées Jean-Bernard Sempastous portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Le texte vise à combler les lacunes de la précédente réforme de 2014 en s'attaquant aux cessions partielles de parts qui échappaient jusqu'ici à tout contrôle. Mais les acteurs estiment que la question doit être traitée avant tout au niveau européen. Le rapport "Les Racines de la résilience" propose ainsi l'élaboration d'un nouveau cadre de gouvernance européenne pour apporter une plus grande cohérence et qui pourrait prendre la forme d'une directive foncière européenne. "Une directive européenne serait très utile pour orienter l'évolution du foncier agricole dans une perspective agroécologique et de souveraineté alimentaire", a appuyé Guillaume Cros.

L'idée d'un observatoire européen du foncier permettant de recueillir des données solides, harmonisées et légitimes sur les régimes fonciers, sur l'utilisation des terres et les prix de vente et de location pour plus de transparence, est également avancée. Le rapport préconise aussi de faire "progresser l'engagement en faveur de la durabilité, inscrit dans le Plan végétal pour l'environnement et la stratégie De la ferme à la fourchette, dans le cadre des propositions actuelles pour la nouvelle PAC. "Cela pourrait se faire par exemple en orientant les nouveaux éco-régimes vers un soutien direct aux pratiques agricoles durables et en examinant de près les plans stratégiques nationaux des États selon une série de critères clairs." Les critères donnant la priorité au soutien aux petites et moyennes exploitations, à l'agroécologie paysannes et aux nouveaux arrivants.

Au niveau national, le rapport propose d'adopter une réforme foncière en s'inspirant de la loi écossaise de 2016*, de prendre des mesures pour encourager l'émergence de structures agricoles saines et équitables (contrôle des structures des exploitations agricoles par exemple) et d'augmenter les protections des locataires (contrôle des loyers, droits de préemption, octroi de baux à long terme). Il préconise d'utiliser la politique fiscale pour soutenir l'agroécologie et le renouvellement des générations et de mettre en place des règlementations anti-monopole pour empêcher la concentration des terres.

Des banques foncières publiques

Le rapport avance aussi plusieurs propositions pour le niveau local et municipal, comme la mise en place de cartographies foncières participatives pour accroître la transparence du régime foncier et mieux informer les plans de zonage et d'attribution des terres. Il reprend aussi l'idée de "banques foncières publiques", comme dans les Asturies en Espagne, qui permettent d'acheter des terres et les mettre à disposition à un prix abordable. Il préconise de soutenir les fiducies foncières citoyennes qui cherchent à retirer des terres du marché et à les rendre disponibles pour une utilisation agricole durable à long terme. Les auteurs proposent de renforcer l'accès à un capital (de départ), aux subventions, à la formation et aux services de soutien aux petits exploitants, aux agriculteurs agroécologiques et aux nouveaux entrants. "Au-delà du soutien que doivent apporter les politiques européennes, c'est dans nos territoires que se jouent les réponses aux défis, a affirmé Guillaume Cros, mettre en œuvre l'approche et une alimentation plus locale, ne se fera pas sans un accompagnement très actif des collectivités. D'ailleurs un nombre croissant d'initiatives sont mises en place à l'échelon local et régional pour soutenir des systèmes alimentaires alternatifs et des chaînes alimentaires courtes."

* La loi écossaise de 2016 poursuit le processus de réforme agraire en Écosse et donne notamment aux ministres le pouvoir de forcer la vente de terres privées à des organismes communautaires pour favoriser le développement durable en l'absence d'un vendeur consentant.

 

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