Péages ferroviaires : le Conseil d'État donne raison à huit régions contre SNCF Réseau

Le Conseil d'État a donné raison ce 5 mars aux huit régions qui avaient attaqué SNCF Réseau pour contester les tarifs de ses péages ferroviaires. Après avoir annulé la tarification établie pour 2024, la plus haute juridiction administrative française donne 7 mois au gestionnaire du réseau ferré pour relancer une nouvelle procédure de fixation de ces redevances.

"Le Conseil d'État juge aujourd'hui que la société SNCF Réseau n'a pas respecté la procédure prévue pour la détermination des redevances dues par les régions pour faire circuler les trains express régionaux (TER)", a-t-il annoncé dans un communiqué ce 5 mars. La plus haute juridiction administrative avait examiné début janvier les recours des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Hauts-de-France, Île-de-France, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Grand-Est qui contestaient les augmentations exigées pour les années 2024, 2025 et 2026 par SNCF Réseau pour faire rouler les TER qu'elles financent, en complément des tickets et abonnements payés par les usagers.

Après des années d'augmentation inférieure à l'inflation, la majoration des péages était fixée à 8% en moyenne pour l'année 2024 pour ce type de transport, avait alors indiqué la société qui gère et entretient le coûteux réseau ferré de la SNCF. Avec ces hausses, la filiale du groupe ferroviaire se donnait comme objectif d'atteindre l'équilibre financier cette année.

Procédure jugée irrégulière

Mais le Conseil d'État a estimé que la tarification imposée aux régions pour 2024 a été fixée au terme d'une procédure irrégulière.

Il relève, d'une part, que SNCF Réseau "n’a pas respecté l’exigence de transparence qui s’impose lors de la détermination de la tarification de l’usage du réseau", précise-t-il dans son communiqué. "Lors de la consultation obligatoire sur le projet de document de référence organisée du 8 octobre au 8 décembre 2022, les éléments communiqués par SNCF Réseau ne contenaient pas d’informations suffisantes sur l’estimation des coûts complets de l'infrastructure ferroviaire et leur évolution (coûts pour chaque autorité organisatrice, modalités de fixation des redevances, etc.), développe-t-il. Or les autorités organisatrices de transport, les utilisateurs du réseau et les participants à cette consultation devaient être suffisamment informés pour pouvoir exprimer un avis éclairé."

D’autre part, le Conseil d’État estime que, du fait du calendrier retenu, SNCF Réseau "ne s’est pas mis en mesure de pouvoir tenir effectivement compte des observations des autorités organisatrices de transport, les privant ainsi d’une garantie qu’elles tiennent des textes applicables". En effet, plusieurs régions et Île-de-France Mobilités ont transmis à SNCF Réseau leurs avis défavorables, avec des observations substantielles sur les redevances, les hausses prévues et le manque de transparence, les 7 et 8 décembre 2022. Or SNCF Réseau a adopté le document de référence du réseau dès la séance de son conseil d’administration du 9 décembre 2022.

Pour ces raisons, il a décidé d'annuler la tarification du document de référence du réseau ferré national pour 2024. Toutefois, "afin de ne pas porter gravement atteinte à l’équilibre financier de SNCF Réseau, et permettre l’adoption d’une nouvelle tarification", il donne au gestionnaire du réseau ferré jusqu'au 1er octobre prochain pour revoir sa copie. La tarification 2024 va donc continuer à s'appliquer jusqu'à cette date.

Pas de remise en cause de la tarification sur le fond, relève SNCF Réseau

"SNCF Réseau prend acte de la décision du Conseil d'État", a indiqué l'entreprise dans une réaction transmise à l'AFP, en faisant valoir que la tarification "n'est pas remise en cause sur le fond". "En effet, la décision du Conseil d'État est motivée par la procédure d'adoption de la tarification mais le Conseil d'État rejette tous les autres moyens qui la contestaient dans ses principes, dont la mise en place d'un forfait pour les régions", a souligné SNCF Réseau.
La filiale de la SNCF a dit qu'elle allait "adapter son processus de consultation pour répondre aux exigences de transparence formulées par le Conseil d'
État et ressaisira son conseil d'administration sur un nouveau projet tarifaire dans le respect des délais règlementaires et des délais rappelés par le Conseil d'État".

Les régions veulent des "tarifs soutenables" 

"Cette décision sanctionne la politique opaque menée sur les péages par la SNCF qui finalement, pénalise des millions d'usagers", a réagi la région Auvergne-Rhône-Alpes, dans une déclaration transmise à l'AFP. "Nous attendons désormais, après cette victoire, de la transparence pour que les voyageurs ne payent pas plus que nécessaire", a-t-elle ajouté.

Le président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, a rappelé dans un communiqué mardi que l'augmentation prévue des péages pour sa région entre 2024 et 2026 était de 23%, une hausse qu'il juge "disproportionnée, sans relation avec l'inflation qui n'a aucune raison d'être aussi élevée sur 3 ans, mais surtout avec les capacités de la région, dont les ressources augmentent d'environ 1 à 2% par an, en raison de taxes peu dynamiques". "Le ferroviaire n’est pas qu’une équation budgétaire et un levier de désendettement rapide : c’est aussi le transport du quotidien de milliers d’usagers ; c’est le vecteur d’une mobilité décarbonée ; c’est un mode de transport à la portée du pouvoir d’achat de tous les usagers. SNCF Réseau doit maintenant présenter des tarifs de péages soutenables pour la région", a renchéri Renaud Lagrave, vice-président de Nouvelle-Aquitaine chargé des mobilités. "Nous restons évidemment mobilisés pour que l'Etat, le gouvernement se décide à donner des moyens pour les infrastructures, pour le fonctionnement de SNCF Réseau et pour que SNCF Réseau ne soit plus obligé d'avoir ce niveau de péages", a souligné par ailleurs auprès de l'AFP Jean-Luc Gibelin, vice-président d'Occitanie chargé des mobilités et des transports. "On ne pourra pas, avec les ressources dont on dispose aujourd'hui, continuer à développer fortement l'offre (ferroviaire) et à payer des péages de plus en plus chers", a commenté pour sa part Thibaud Phillips, vice-président de la région Grand Est, chargé des Transports.

Remise à plat nécessaire du financement des mobilités, pour Régions de France

Régions de France s'est félicité dans un communiqué de l'aboutissement de la procédure juridique auprès du Conseil d'Etat. "Le premier objectif des régions visait à protéger le pouvoir d'achat de nos concitoyens, pour que les augmentations des péages ne soient pas reportées sur les tarifs des usagers. Or, les péages représentaient 36% du prix du billet TER en 2002, contre 86% en 2022", relève l'association. "Par cette initiative, les régions défendent également les enjeux de la décarbonation des mobilités pour le pays et ceux de la maîtrise des budgets régionaux", souligne-t-elle, en indiquant que les régions demandent "une tarification alternative des péages ferroviaires, dont les montants ont été multipliés par 2,2 depuis 2002" et qu'elles attendent aussi les conclusions de l'audit du coût des péages confié par le gouvernement à plusieurs inspections générales. Se disant également en attente des réponses du gouvernement au "New Deal ferroviaire" que les présidents de région ont appelé de leurs voeux en octobre 2022, les régions estiment que la tarification ferroviaire doit être "un levier de l'attractivité des transports publics". Selon elles, "elle ne peut pas continuer d'être disproportionnée, en constante croissance et sans commune mesure par rapport à l'inflation, ni évolution significative de la qualité du service". Elles concluent en s'adressant à l'Etat, "autorité de tutelle de SNCF Réseau", pour qu'il propose "un projet de tarification des péages ferroviaires et de financement des mobilités qui créent les conditions d'une relance forte du transport public de voyageurs."