Transports du quotidien : communes et intercommunalités réclament une feuille de route "claire, chiffrée et opérationnelle"
En s’appuyant sur les résultats de deux études nationales sur les transports du quotidien publiés ce 22 juillet, l’Association des maires de France (AMF) et Intercommunalités de France remontent au créneau, demandant plus de moyens pour développer une offre toujours insuffisante, notamment dans les zones peu denses et rurales.

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Moins de deux semaines après la présentation des conclusions de la conférence Ambition France Transports qui les a largement laissées sur leur faim (lire notre article), l’Association des maires de France (AMF) et Intercommunalités de France ont publié ce 22 juillet les grands enseignements de leurs enquêtes nationales, menées auprès des communes et intercommunalités entre le 9 avril et le 26 juin dernier.
La moitié des communes sans service de transport public régulier
Celle sur les communes, fondée sur les réponses des 1.148 communes qui ont complété intégralement le questionnaire, lesquelles réponses émanent majoritairement de maires, montre que la moitié de ces collectivités sont aujourd’hui sans solution de transport, les communes des territoires peu denses étant les plus gravement touchées. Les élus interrogés déplorent d’abord une gouvernance de la mobilité trop éloignée des réalités locales, surtout lorsque la région est autorité organisatrice de la mobilité (AOM), ce qui est le cas pour 32% des élus répondants : 54% des élus concernés déclarent ainsi ne pas disposer d’un service de transport public régulier et 81% indiquent ne jamais avoir été sollicités par la région pour établir un état des lieux de leurs besoins en mobilité. "Les retours des maires témoignent d’un besoin structurel de clarification et de coordination entre les différents niveaux de décision, indique l’enquête de l’AMF. Nombre d’entre eux soulignent que ‘la clarification du rôle de la région’ demeure une nécessité impérieuse".
Concernant les services de transports, 49% des maires déclarent ne bénéficier d’aucun service régulier de transport public de personnes organisé sur leur commune, quelle que soit l’AOM (région ou intercommunalité) En revanche, le transport scolaire est assuré dans 93% des communes répondantes. 45% des communes sont également dépourvues de services de transport à la demande (TAD) et seuls 18% des maires ayant répondu à l’enquête déclarent disposer d’un service de mobilité active. Le déploiement des services de covoiturage et d’autopartage est lui aussi très timide : 66% des maires répondants déclarent ne bénéficier d’aucun de ces dispositifs. Les services de mobilité solidaire ne sont guère plus répandus (76% des maires déclarent n’avoir aucune solution en place). "Les priorités exprimées par les répondants dans les questions ouvertes convergent vers un renforcement de l’offre quotidienne et une meilleure articulation entre modes de transport", peut-on lire en conclusion de cette partie de l’enquête qui insiste sur l’existence d’"une carence structurelle préoccupante dans l’offre de mobilité du quotidien, en particulier dans les zones peu denses". "Cette absence d’offre suffisante de transports limite fortement l’accès aux services publics, à l’emploi, à la formation ou aux soins et accentue les inégalités territoriales, souligne l’AMF. Elle contribue également à une dépendance accrue à la voiture individuelle".
Interrogés sur le financement des politiques de mobilité, les élus émettent des avis nuancés, partagés entre "nécessité de ressources nouvelles" et "vigilance face à la pression fiscale". Si le versement mobilité est reconnu comme un levier potentiel, sa trajectoire doit être "bien expliquée et progressive", selon les maires répondants, et toute augmentation doit être justifiée. Les élus exigent un retour effectif sur le territoire. Ils attendent que les fonds servent au "financement du TAD et des mobilités douces, accompagnement des entreprises" ou soient versés directement "aux salariés ou à la commune, et non qu’ils constituent une charge nouvelle".
Le rôle de la région AOM en question
Les résultats de l’enquête nationale conduite auprès des intercommunalités – 125 réponses complètes ont été recueillies – sur les transports du quotidien fait ressortir elle aussi une couverture et des financements encore insuffisants, notamment dans les zones rurales. Comme les communes, les intercommunalités regrettent une gouvernance de la mobilité "trop éloignée des réalités locales". Lorsque la région exerce la compétence d’AOM – ce qui est le cas pour 34% des répondantes - 56% de ces intercommunalités indiquent qu’aucun état des lieux des besoins n’a été établi par celle-ci, ou du moins l’intercommunalité n’a pas été sollicitée pour le faire. Les observations recueillies dans l’enquête soulignent que, lorsque la région agit en tant qu’AOM, elle se positionne avant tout comme un partenaire financier et un facilitateur d’initiatives expérimentales. Mais pour la création de lignes structurantes, notamment dans les zones peu denses, "la région se dérobe souvent derrière des mécanismes de cofinancement, note l’étude. Ce constat traduit la difficulté de la région à assumer pleinement son rôle d’autorité organisatrice de la mobilité sur ces territoires et à garantir une offre de transport cohérente et solidaire pour l’ensemble des intercommunalités, qu’elles soient AOM ou non".
L’organisation et l’efficacité des comités de partenaires mis en place par les régions suscitent aussi des avis contrastés. "En dépit d’une volonté claire de créer des synergies inter-territoriales, ces comités pâtissent (…) d’un déficit d’engagement en amont, d’un flou dans les contributions des services et d’une mise en œuvre opérationnelle encore insuffisante", constate l’étude. Sur les 125 intercommunalités ayant répondu à l’enquête, seules 31 ont signé un contrat opérationnel de mobilité (COM), un dispositif qui permet de formaliser l’engagement de chaque acteur (région, EPCI et opérateurs) autour d’un schéma d’actions concrètes (déploiement de lignes à la demande, développement de solutions de covoiturage ou de véhicules partagés, optimisation des horaires scolaires, etc.) assorti d’un cadre financier dédié. Dépourvues des COM, les trois-quarts des intercommunalités répondantes se trouvent limitées dans leur capacité à bénéficier du soutien régional, à mobiliser des financements dédiés et garantir une cohérence d’offre sur l’ensemble de leur territoire. Interrogées sur l’opportunité de rouvrir la compétence AOM aux intercommunalités volontaires, 52% des répondants non AOM affirment que si la possibilité leur en était donnée, a minima, un débat serait ouvert au sein de leurs instances. Dans la perspective des élections municipales de 2026, 48% de l’ensemble des répondants placent la mobilité au cœur de leur campagne de renouvellement.
Sur l’organisation des services, les critiques fusent aussi lorsque la région exerce la compétence d’AOM. 75% des intercommunalités considèrent que l’offre de mobilité en place n’est pas adaptée aux besoins de déplacement du quotidien sur leur territoire. Dans le détail, 74% d’entre elles indiquent que la Région n’a pas mis en place de service de transport public régulier spécifiquement dédié à leur intercommunalité, et 76% estiment qu’aucune autre solution de mobilité couvrant l’ensemble de leur territoire n’a été proposée.
Quel que soit le statut d’AOM, 65% des intercommunalités répondantes déclarent disposer d’un service régulier de transport public de personnes sur leur territoire et près des deux tiers (62%) d’un TAD. Mais près de la moitié des intercommunalités (48%) ne dispose toujours pas de services de mobilités actives et 43% restent dépourvues de service de covoiturage et/ou d’autopartage. Enfin 82% des intercommunalités interrogées déclarent disposer d’un réseau de transport scolaire structuré sur leur territoire, "ce qui représente un gisement important de capacité de transport sous-exploité", souligne l’étude. "En ouvrant ces lignes aux autres publics salariés, étudiants, personnes âgées ou isolées les collectivités pourraient non seulement améliorer la rentabilité de ce parc de véhicules, mais aussi renforcer la cohésion territoriale en désenclavant les zones rurales, relève-t-elle. Cette mutualisation des ressources permettrait d’optimiser les fréquences et les horaires, tout en réduisant le recours à la voiture individuelle pour les déplacements quotidiens."
Un modèle de financement difficilement soutenable
Sur le volet financier, la réalité est là encore très contrastée. "Le versement mobilité (VM), censé être l’un des leviers principaux de financement des services de transport, reste largement marginal dans les territoires peu denses", souligne l’étude. 55% des AOM répondantes déclarent ne pas le lever sur leur territoire, en raison notamment de l’insuffisance du tissu économique local et des seuils de déclenchement difficilement atteignables – il ne s’applique qu’aux employeurs publics et privés à partir de 11 agents ou salariés. "Face à cette absence de fiscalité dédiée, la majorité des intercommunalités s’appuie sur leur budget général, qui finance plus de 50% des services de mobilité dans plus de la moitié des cas", indique l’étude.
Les subventions départementales, régionales et nationales présentent également un tableau mitigé, ajoute-t-elle : environ la moitié des intercommunalités déclare ne pas avoir accès aux subventions d’un ou plusieurs de ces acteurs publics. Pour l’autre moitié, ces subventions permettent de financer entre 20 et 30% des politiques locales de mobilité, très rarement plus. Les recettes commerciales sont également limitées : 56% des collectivités ne les mobilisent pas, et pour celles qui en perçoivent, elles représentent moins de 20% du financement des services de transport. Enfin, le recours à l’emprunt est marginal : 77% des intercommunalités indiquent ne pas y recourir, et pour les autres, l’endettement ne permet de couvrir qu’une part très réduite - inférieure à 20% - des dépenses liées aux mobilités.
"Les intercommunalités, notamment en zone peu dense, peinent à construire un modèle de financement soutenable pour leurs politiques de mobilité, souligne l’étude. Le système actuel repose en grande partie sur des ressources locales fragiles, sans mécanisme de péréquation adapté, ce qui interroge la capacité à répondre durablement aux enjeux d’accessibilité, d’inclusion sociale et de transition écologique."
Pour l’AMF et Intercommunalités de France, "ce bilan met en évidence une disparité marquée dans la mise en œuvre de la LOM [loi d’orientation des mobilités]". Alors que cette dernière visait à garantir une offre adaptée sur tous les territoires, le développement des services de transport reste "particulièrement insuffisant dans les zones peu denses et rurales", soulignent les deux associations. "Pour rétablir l’équité et renforcer l’efficacité locale", elles demandent une nouvelle fois la réouverture, sur la base du volontariat, de la possibilité pour les communautés de communes non AOM de se saisir de la compétence d’organisation de la mobilité, leur permettant de lever et d’affecter localement le versement mobilité, ainsi que l’instauration d’une feuille de route nationale, "claire et chiffrée, assortie d’un mécanisme de péréquation garantissant un financement dédié aux zones rurales" et la "réaffectation d’une part significative des recettes de la route aux communes et intercommunalités pour combler la ‘dette grise’ des infrastructures routières".
"Ces mesures, fondées sur un double diagnostic terrain, sont indispensables pour déployer rapidement une politique de transport durable, solidaire et adaptée aux besoins de tous les territoires", estiment les associations d’élus.