Un guide pour mieux comprendre et accompagner la mobilité des seniors
À l’heure du "papy boom", le Gart, l’Union des transports publics et ferroviaires (UTPF) et France Silver Eco viennent de publier un guide dressant un état des lieux des besoins de mobilité des seniors et des bonnes pratiques à développer pour y répondre.
© France Silver Eco, Gart et UTPF. Fond : Adobe stock
Alors que la décennie 2020-2030 est marquée par une hausse sans précédent du nombre de personnes âgées de 75 à 84 ans, qui va passer de 4 à 6 millions de personnes, l’arrivée massive des générations du baby-boom dans la catégorie des seniors recompose en profondeur les besoins et les usages en matière de mobilité. Dans ce contexte, l’accès aux transports publics apparaît plus que jamais déterminant pour favoriser l’autonomie et le lien social mais aussi pour accompagner les mutations socio-économiques des territoires confrontés au vieillissement de leur population.
Pour sensibiliser et outiller les élus et agents de collectivités, les opérateurs et plus largement les usagers face à ces enjeux, le Gart, l’Union des transports publics et ferroviaires (UTPF) et l’association France Silver Eco viennent de publier le guide "Mobilité des seniors : on en parle et on agit ensemble" .
Le document commence par dresser un état des lieux et met en lumière des tendances contrastées, avec des seniors attachés à la voiture individuelle et aux mobilités actives, mais aussi des fragilités à prendre en compte, qu’elles soient physiques, cognitives ou financières. Il développe ensuite les bonnes pratiques à mettre en œuvre et à dupliquer, en se référant pour chacune d’elles à des actions locales.
Formation du personnel et aménagement des stations
Pour exploiter un réseau "ami" des seniors, il invite d’abord à former le personnel à l’accueil de ce public, en sensibilisant notamment les conducteurs aux bonnes pratiques de conduite lorsque des seniors sont présents dans les véhicules. Le réseau TBM à Bordeaux, a ainsi intégré dans la formation des conducteurs l’usage d’un exosquelette, reproduisant les effets du vieillissement sur la condition physique.
Il existe également différentes façons d’aménager les stations et arrêts de transports collectifs afin de les adapter aux différentes problématiques liées à l’âge. Pour mieux se repérer et s’informer en station, le guide cite l’exemple du réseau RTM à Marseille qui a mis en place un programme de modernisation et de mise en accessibilité du métro, "Renov’station", améliorant le confort notamment pour les personnes fragiles grâce à l’élargissement des voies de circulation, à un travail sur la lumière pour un confort visuel renforcé, au renouvellement et au développement des escaliers mécaniques…
Confort du matériel roulant
La mise en accessibilité du matériel roulant relève quant à elle d’une exigence réglementaire, dans les différentes suites de la loi handicap de 2005 (tous les véhicules roulant en milieu urbain devaient être accessibles en 2021). Mais au-delà de l’accessibilité physique, de nombreuses dispositions dans les bus, rames et trains permettent le confort de tous – a fortiori des plus fragiles, souligne le guide. "Dans les aménagements à bord des trains, cela passe notamment par le fait de penser le design intérieur du véhicule pour davantage d’assise ou de barre de maintien, ou encore le travail sur la lumière au sein de la rame pour les personnes présentant un trouble de la vision", détaille-t-il. "La présence de sanitaires utilisables, au sein des trains ou encore des cars interurbains, répond aussi à ces besoins", poursuit-il, de même que l’amélioration des amortisseurs des véhicules contribue au confort de tous et particulièrement des personnes âgées.
Espace public à adapter
Le guide invite également à "penser un espace public favorable aux plus fragiles" en travaillant par exemple sur les espaces d’attente. Il cite le travail mené par la métropole de Montpellier qui, accompagnée de son exploitant TAM et de la société Transdev en assistance technique, a expérimenté entre 2021 et 2024 la mise en place d’abri bus dits "bioclimatiques", robustes et adaptés aux effets du dérèglement climatique. À Paris, la RATP, dans le cadre de son plan d’adaptation au changement climatique, et en anticipation des JO de 2024, a déployé cette même année des fontaines à eau dans 90 stations de métro afin de permettre aux voyageurs de se désaltérer gratuitement.
Il faut aussi "penser les aménagements piétons aux abords et alentours des stations en concertation avec le public concerné", suggère le document. La mise en place de trottoirs larges, confortables et éclairés pour sécuriser le parcours vers la station de transports en commun, la correction des coupures de cheminement piétons, la sécurisation des traversées de la route sont autant d’éléments facilitant la bonne appropriation de l’espace public pour les publics fragiles en général, souligne-t-il. La prise en compte de la mobilité des seniors doit aussi être davantage être orientée vers les abords d’arrêts de bus, tramway et bouches de métro, lieux d’intermodalité et de correspondances.
La ville de Metz est citée en exemple sur ce point pour sa politique volontariste en direction des personnes âgées, pilotée par le Centre communal d’action sociale. Le conseil des seniors, composé de 55 membres représentatifs des différents quartiers messins, joue un rôle central dans la gouvernance de cette politique dans laquelle la mobilité occupe une place de premier plan, avec deux axes majeurs : renforcer l’usage des transports collectifs et lutter contre les incivilités et favoriser la sécurité et l’accessibilité des déplacements. Cela passe par l’accompagnement des seniors dans leurs déplacement, l’amélioration de la signalétique, l’organisation de balades urbaines et la mise en accessibilité des arrêts de bus (61% sont aujourd’hui accessibles).
Dans sa "charte d’aménagement et de gestion de l’espace public", un référentiel commun destiné notamment aux chefs de projets et équipes de maîtrise d’œuvre, la métropole de Nantes prend en compte la mobilité des seniors en portant une attention particulière au mobilier urbain, et notamment aux bancs publics, considérés comme des éléments essentiels du confort et de la convivialité dans l’espace public.
Choix de dessertes
Pour adapter l’offre de transport aux besoins des aînés, le guide considère que le renforcement de l’offre en heures dites "creuses" (milieu de matinée ou d’après-midi), bien que moins performante en apparence compte tenu de la plus faible fréquentation, est souvent essentiel. Il est aussi important de faire des choix de desserte spécifiques dans la conception même du réseau, en intégrant la desserte des établissements recevant du public, tels que les Ehpad ou les résidences seniors ou médicalisées, par des lignes à fort cadencement, ou encore des navettes dédiées en fonction du besoin. Le guide prend pour exemple l’Ehpad Croix Rouge Russe ASSO à Nice (80 résidents, 62 salariés) qui déploie un plan de mobilité à destination des résidents, de leurs familles des résidents ainsi que des salariés de son établissement, aux côtés de l’entreprise wever.
La problématique du dernier kilomètre est aussi à prendre en compte, les personnes âgées vivant à proximité d’une gare, pouvant rencontrer des difficultés pour accomplir leur parcours de façon confortable en toute sécurité. "Outre les problématiques d’aménagement de l’espace public, des politiques publiques spécifiques peuvent être pensées pour traiter ces questions : accessibilité en mode actif (vélo musculaire ou encore électrique, ce qui suppose des infrastructures de rangement sécurisés), ou encore un rabattement vers du transport collectif urbain ou le transport interurbain, suggère le guide.
Transport à la demande
En milieu rural, le transport à la demande à destination notamment des gares peut permettre d’éviter la rupture de charge, et donc l’usage de la voiture individuelle (lorsqu’elle est possible) ou la sollicitation des proches". C’est dans cette optique que le service de Transport à la demande "Ma course SNCF" (plus récemment renommé "JYVAIS"), a été expérimenté pendant 17 mois dans 5 communes de la Sarthe (100 km² de zone d’exploitation). "Les retours observés, notamment auprès du public senior qui représentait 22% des usagers, ont montré une très bonne appropriation du dispositif", salue le guide. Le service a aussi permis d’induire davantage de trafic sur la gare : 40% des trajets réservés étaient en direction ou depuis la gare, 50% des utilisateurs inscrits sont allés au moins une fois à la gare avec le service, et parmi eux, 20% ne se seraient pas rendus à la gare sans ce service.
Diverses initiatives de mobilité, s’adressant exclusivement ou non aux seniors, peuvent permettre d’anticiper un arrêt progressif de l’automobile, voire prendre le relais quand c’est nécessaire - transport solidaire organisé par des associations, covoiturage local organisé, sorties collectives à vélo ou pédibus quand l’état de santé physique le permet, poursuit le document.
La ville de Dunkerque, qui est membre du réseau "Ville amie des aînés" a fait de la mobilité des seniors une priorité et une commission a été mise en place pour traiter des cas de personnes âgées qui se retrouvent isolées car elles n’ont plus la capacité d’utiliser les transports en commun. Il y a une dizaine d’année, les Ehpad ont exprimé auprès de la collectivité le besoin d’adapter certaines lignes de bus pour être mieux desservis. "Étoile", un service à la demande qui fonctionne du lundi au samedi, de 8h à 18h30, a alors été étendu à tout le territoire, avec 39 arrêts dédiés en plus des 740 desservis par le réseau. Les utilisateurs sont limités à 20 trajets par mois (soit 10 allers-retours). Le réseau comptabilise aujourd’hui environ 10.000 voyages par an avec 100.000 km parcourus par 523 usagers effectuant en moyenne 17 allers-retours. Ce service complète le transport de personnes à mobilité réduite (TPMR) qui compte 1.000 utilisateurs par an et effectue 100 000 voyages, pour un coût de fonctionnement de près de 3,5 millions d’euros.
Un moyen d'évasion, au-delà du simple déplacement
"Au-delà d’un objectif purement utilitaire, les transports collectifs peuvent également, pour nos aînés, être un moyen d’évasion en soi, un moyen de voir du monde, rompre l’isolement, (re)découvrir sa ville, son village ou même son quartier, relève le guide. D’où l’intérêt, pour rendre attractifs nos réseaux de transports, de mettre en avant des éléments de communication positifs, d’image et d’imaginaire, permettant de vivre une expérience au-delà d’un simple déplacement." À Bordeaux, au cours de l’été dernier, des travaux ont interrompu la circulation des tramways sur le Pont de pierre, créant une rupture de charge pour les usagers et compliquant les déplacement des personnes fragiles, notamment des seniors puisque seule la circulation à pied ou à vélo était possible sur l’ouvrage pendant cette période. Un dispositif de vélo tricycle "mobi-vélo" a alors été proposé sur le réseau TBM afin de transporter les usagers ayant besoin de passer d’une rive à l’autre de la Garonne. Ouvert à toutes les personnes à mobilité réduites, le dispositif a été largement approprié par le public senior, avec un total de 8.400 voyages réalisés sur la période.
Tarifications plus attractives
La tarification des transports collectifs mérite aussi d’être adaptée pour davantage d’attractivité car s’ils disposent, dans une majorité de réseaux, d’une tarification réduite, les seniors ne représentent que 8% des abonnés, constate le guide. Résultat : les titres unitaires, sur lesquels ils se rabattent, sont aussi les plus chers. "D’où la nécessité de communiquer plus largement, auprès des différents acteurs travaillant avec le public senior, et via les associations d’usagers, sur l’ensemble des offre disponibles. Mais aussi de proposer des tarifications réellement attractives et surtout simples d’usage", souligne le guide. À Tours, par exemple, le dispositif "Mon Guide fil bleu", mis en place récemment, vise à accompagner les personnes âgées dans l’usage des transports en commun, en particulier les bus et les tramways sur un parcours aller-retour au prix d’un ticket classique.
Initiatives solidaires
Le guide recommande aussi la mise en place d’initiatives locales solidaires, qui favorisent le "vivre ensemble" et le lien entre les générations. Dans le réseau Stas à Saint-Étienne, les conseils consultatifs de la jeunesse et des seniors se sont ainsi rassemblés pour créer ensemble des capsules vidéo sur la thématique du civisme dans les transports collectifs, mettant en scène différentes situations du quotidien (musique ou discussions trop fortes, ne pas céder sa place…). "Ce travail a permis à différentes générations de se rencontrer, d’échanger et de mieux se connaître et de se comprendre", met en avant le guide qui insiste aussi sur la nécessité de communiquer et de faire connaître au public senior les initiatives facilitant leur mobilité, en lien avec les associations d’usagers et d’aidants, les établissements recevant du public senior et de façon plus générale, les acteurs du secteur "bien vieillir".
L’aide à l’appropriation des outils numériques par les seniors pour se déplacer est aussi jugé nécessaire. Alors que 62% des plus de 75 ans seraient en situation d’illectronisme, ce phénomène appliqué au champ des transports publics peut générer des difficultés d’accès à l’information sur l’état du réseau, des difficultés croissantes à acquérir un titre de transport, ou du moins, une crainte de ne pas y parvenir, relève le guide. Parmi les bonnes pratiques à dupliquer, le document cite les ateliers intergénérationnels de formation à l’usage des outils numériques proposés plusieurs fois par an par les équipes de Keolis Besançon Mobilités.
Intermodalité pour les seniors aussi
"Les transports collectifs, pour être accessibles, ont vocation à être connectés à d’autres modes de déplacement durable : la marche à pied d’une part, mais également le vélo, poursuit le guide. En plus de permettre la pratique d’une activité physique modérée au quotidien, et stimuler les capacités cognitives - ce qui est une condition du 'bien vieillir' -, l’intermodalité entre les transports collectifs et les modes actifs permet d’assurer toute la chaîne du déplacement sans coupures et de portes à portes, et ainsi favoriser les alternatives à l’usage voiture individuelle. Cela favorise donc l’autonomie de nos aînés dans l’espace public." À Cholet, la régie de transport organise ainsi régulièrement des ateliers de remise en selle à destination du public senior. Ces ateliers se composent d’une première partie théorique (sur les règles essentielles de sécurité à vélo) et d’une partie pratique (exercices sur place, puis départ pour une balade à vélo).
D’autres initiatives proposent d’accompagner et de former à l’usage du transport collectif des publics qui n’ont pas l’habitude de les prendre. Le réseau Star à Rennes a ainsi mis en place trois services afin de donner accès au plus grand nombre à une solution de transport, aussi proposés aux aînés, en fonction de leur autonomie et/ou de leur capacité fonctionnelle.
Mobilité inversée
Enfin, pour viser le maintien au domicile des personnes, il est essentiel de pouvoir rapprocher usagers et services afin d’éviter des déplacements coûteux et parfois complexes. "Développer une solution ‘d’aller vers’, ou de mobilité inversée, peut-être un service très utile à un public senior isolé, propose le guide. Cela peut prendre la forme de caravane de service qui sillonne les villages, notamment pour effectuer des démarches administratives en lien avec sa mobilité."
Dans la communauté de commune du Landivisiau dans le Finistère, SCCF Tech for Mobility expérimente ainsi le projet Actimob, une caravane de service qui se rend au cœur des communes. Elle est équipée pour accueillir des activités commerçantes, associatives ou des services publics. L’arrière du camion est équipé pour recevoir des dépôts de pain, de journaux, et des formulaires Cerfa. Le dispositif permet ainsi d’"éviter des déplacements aux personnes rencontrant des difficultés pour accéder aux biens et aux services, notamment, les personnes âgées étant nombreuses à vivre isolées dans des territoires ruraux", vante le guide.