Vélo : attention à la dent de trop !

Si le vélo se sent pousser des ailes, il faut veiller à pédaler en cadence et avec méthode, a-t-on prévenu lors d’une conférence organisée par TDIE sur la complémentarité vélo-transports collectifs. Son expansion n’est pas sans poser difficulté, notamment dans les trains. Pour la surmonter, des stationnements réellement sécurisés sont indispensables, "dans toutes les gares", y compris en zones rurales et périurbaines, où "le potentiel vélo" est le plus grand.

"La pression pour davantage de vélo est forte et vient de partout". Tel est l’un principaux constats tirés lors du petit-déjeuner débat organisé ce 30 janvier par le think-tank TDIE sur le thème de la complémentarité vélo-transports collectifs – sujet qui a fait il y a peu l’objet d’un livre blanc rédigé par la FUB et la Fnaut. C’est connu, l’appétit vient en mangeant. Plus élégamment, l’offre crée la demande. Depuis que le vélo n’est plus un "impensé" des politiques publiques, il est "en très forte expansion", souligne Camille Thomé, déléguée générale de Vélo & Territoires. 

Donner du temps au temps

Certes, "ce n’est qu’un début" et on est encore loin des Pays-Bas. "Mais il faut arrêter de se comparer avec eux, cela donne des complexes. Ils sont partis bien avant nous, qui partons de très loin", préconise-t-elle. "Attention aux questions d’échelle. Les Pays-Bas sont plus petits que notre seule région ! La France est grande", lui fait écho Claire Heidsiek, directrice des territoires, de l’innovation et des nouvelles modalités de la région Grand Est. Elle préfère se jauger avec l’Allemagne, même si là-bas, "on n’a pas retiré les pistes cyclables. Elles existent depuis des décennies alors qu’en France, l’infrastructure n’est plus là. Tout est à créer, il faut acheter du foncier, cela prend du temps", insiste-t-elle. Elle souligne encore que "pour les communautés de communes, cela prend du temps de se saisir de la compétence AOM". Idem pour les régions, relevant que "cela fait deux ans seulement" que Régions de France a constitué un groupe de travail sur le vélo, qu’elle pilote d’ailleurs. Et de se montrer rassurante : "Les territoires sont de plus en plus mobilisés. Beaucoup de choses sont dans les cartons" et devraient en sortir prochainement. Ainsi, en dehors de quelques retouches du code de la route – "des détails" –, elle estime qu’une nouvelle réforme législative n’est pas nécessaire. De même, si "les enveloppes [financières] ne suffiront pas à faire face à l’ambition", elle tempère : "Dépensons déjà le disponible !"

De la méthode avant toute chose

Un discours de raison qui pourrait surprendre, mais que semble partager Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette. De même que Claire Heidsiek, il souligne que la loi SERM a dernièrement fait beaucoup "en mettant le vélo au même niveau que la route" (v. notre article du 12 janvier). Olivier Schneide invite lui aussi les collectivités à ne pas se disperser, mais à avancer avec méthode. "Pour développer la complémentarité – et non l’intermodalité – vélo-transports, la première priorité, c’est l’accès à la gare, avec des plans de circulation qui ne limitent pas au seul rabattement vers ces dernières". Il plaide pour un véritable "réseau cyclable à haut niveau de services : largeur et continuité des pistes, priorité de circulation, prévisibilité des temps de trajet…" qui, selon lui, "est rapide à mettre en place, et à coûts maîtrisés". Un réseau en propre – "à chacun sa voie !" –, d’autant que l’essor du vélo serait l’une des causes de la dégradation de la vitesse moyenne des bus dans les grandes villes (la Fnaut dévoilera une étude sur le sujet ce vendredi). Deuxième priorité – et bien dans cet ordre –, la création de stationnements en gare, en veillant à "la qualité des emplacements, et pas seulement aux volumes" : pas dans un endroit, pas dans un lieu où l’on ne se sent pas en sécurité, etc. Viennent ensuite les nécessaires simplifications de la billettique et de la tarification, "en évitant les gadgets pour rendre les bons services". Last, but not least, "faire prendre conscience que ça existe !", en veillant notamment à la signalétique. Le tout en "offrant des données fiables, sur la localisation des emplacements, leur disponibilité, etc.". Un menu chargé qui, pour Camille Thomé, se heurte à une principale difficulté : la pénurie d’ingénierie. Si côté financier, "de gros leviers existent", elle déplore qu’ils ne visent pour l’essentiel que "les investissement et pas le fonctionnement. Or on a besoin de compétences !". Un constat déjà dressé l’an passé (v. notre article du 22 mars 2023).

La LOM, un point de départ, pas une fin

SNCF Gares & Connexions ne se veut pas en reste. Morgane Castanier, directrice clients, marketing et technologies, met notamment en avant les "23.000 places de stationnement sécurisées déployées fin 2023", au regard des "65.000 places" attendues dans "1.175 gares" par la loi LOM (75.891 places dans 1.133 gares, selon le décret du 8 juin 2021 – v. notre article du 10 juin 2021 – qui, rappelons-le, devaient être installées avant le 1er janvier dernier). Un déploiement qu’elle juge très inégal, oscillant "entre 20 à 80% selon les régions". Elle souligne encore les efforts conduits pour faciliter l’accès au quai – notamment la mise en place d’"ascenseurs longs", même s’il "faut attendre la rénovation des gares" pour les implanter –, pour installer "des activités commerciales liées au vélo dès que possible", dans les grandes gares mais aussi dans les plus petites via l’opération "Place de la gare" (v. notre article du 8 décembre 2023), ou encore pour renforcer la communication multimodale. 

Pour Camille Thomé, on est toutefois, à juste titre au regard du décret, "très loin du compte". Elle insiste en outre sur le fait que "la LOM ne constitue qu’un point de départ", avec des "gares LOM" qui ne constituent "qu’une fraction des gares" (la SNCF en dénombre 3.000), et avec des objectifs d’emplacements "qui ne sont que des minimas. Si les débats de la LOM avaient lieu aujourd’hui, ces minimas seraient largement rehaussés, et porteraient sur l’ensemble des gares", veut-elle croire. À l’appui de la thèse, l’objectif fixé l’an passé de 90.000 emplacements sécurisés d’ici 2027 (v. notre article du 9 mai 2023).

Vélos dans les trains, ça coince

Une loi LOM qui avait également fait de l’accroissement des emplacements vélos dans les trains un objectif (v. notre article du 20 janvier 2021). Mais là aussi, l’essor du vélo n’est pas sans poser difficulté. "Attention à ne pas antagoniser les utilisateurs du train et les cyclistes", alerte Camille Thomé. Elle préconise de penser "incitations et dissuasions", en fonction de l’affluence attendue dans les trains – "On le fait bien pour les musées" – et de "rester humbles sur les promesses clients que l’on ne peut pas tenir". Un dispositif qui suppose de pouvoir informer correctement les voyageurs. "Il faut accepter que les usagers prennent du temps pour passer aux deux vélos" (un au départ, l'autre attendant à l'arrivée), relève-t-on également, ce qui suppose "de les rassurer", grâce à un stationnement en gare "de qualité, réellement sécurisé". Une solution qui restera toutefois exclue pour "le vélotouriste, qui a besoin de son vélo". Il faut faire attention aux "visiteurs de la France", insiste Camille Thomé.

Le périrurbain et le rural

L’experte insiste par ailleurs sur le fait que "seule l’intermodalité peut concurrencer la voiture", en soulignant que "le plus gros potentiel de changement [des pratiques, et d’adoption du vélo] existe dans les zones périurbaines et rurales". D’où la nécessité de n’oublier aucune gare. Soulignant que "55% de la population Grand Est vit à moins de 5 minutes d’une gare", Claire Heidsiek ne la contredit pas. Elle insiste au contraire sur la nécessité d’accompagner les habitants, "biberonnés à la voiture", de ces territoires qui ne doivent "pas être condamnés à la voiture". "C’est la multimodalité qu’il faut prôner. On n’est pas obligé d’avoir une seule solution. C’est mieux d’avoir un panel de solutions à proposer", ajoute-t-elle sans risquer la contradiction. Mais de concéder néanmoins que "c’est plus facile en zone urbaine".