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Verdissement de l’économie : ce que contient le projet de loi Climat et Résilience en matière de commande publique et d’énergie

Après la rénovation thermique des bâtiments, les mobilités, la lutte contre l'artificialisation des sols, les mesures envisagées pour faire face au recul du trait de côte et le volet consommation, sixième épisode de notre série de décryptages thématiques du projet de loi Climat et Résilience : le verdissement de l'économie, avec des mesures sur la commande publique, la formation, la protection des écosystèmes et de la biodiversité, la réforme du code minier et les énergies renouvelables.

"Le passage à une société décarbonée implique de transformer pleinement l’appareil de production et les métiers", indiquait la Convention citoyenne pour le climat dans son rapport en préambule de la thématique "Produire et travailler". Une logique de verdissement de l’économie dans laquelle s'inscrivent les dispositions du titre II du projet de loi Climat et Résilience, en intégrant systématiquement des clauses environnementales dans les marchés publics, en renforçant la protection des écosystèmes qui pourraient être affectés par les activités humaines, en particulier l’exploitation minière industrielle, et en associant citoyens et collectivités locales au développement des projets d'énergies renouvelables, notamment par une meilleure articulation avec les outils de planification territoriaux. 

Verdir l’économie (chapitre Ier)

  • Renforcer les clauses environnementales dans les marchés publics (article 15)

Par son poids économique (8% du PIB et 200 milliards d’euros par an), la commande publique représente en effet un levier important pour accélérer la transition vers des modèles de production plus vertueux. Or, l'introduction de critères environnementaux dans les marchés publics reste encore aujourd’hui limitée malgré les possibilités déjà ouvertes par les textes. Et, en amont, aucune disposition n’impose que les préoccupations environnementales se traduisent dans la procédure d’attribution ou dans l’exécution du contrat. Les objectifs affichés par le Plan national d’action pour les achats publics durables pour la période 2014-2020, de 30% des marchés publics intégrant une clause environnementale, étaient relativement ambitieux. En pratique, seuls 13,6% des marchés recensés en 2018 contenaient pourtant une telle clause (12,7% pour les collectivités territoriales). C’est pourquoi, le projet de loi modifie tout d’abord l’article L. 2112-2 du code de la commande publique pour imposer la prise en compte des considérations environnementales dans les conditions d’exécution des marchés, lors de la rédaction des clauses, par exemple par des spécifications techniques, ce qui n’est actuellement qu’une faculté. La modification de l’article L. 2152-7 ajoute l’obligation faite à l’acheteur de prévoir au moins un critère lié aux caractéristiques environnementales dans le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse. Les contrats de concession en sont exclus, compte tenu du fait qu’ils recouvrent "des réalités très différentes" et que la plupart des concessions dont l’impact environnemental est fort, "comportent d’ores et déjà, la prise en compte des enjeux environnementaux", justifie l’étude d’impact. 
Le texte prévoit une entrée en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard à l’issue d’un délai de cinq ans, et ce en cohérence avec la durée du prochain plan national d’action pour les achats publics durables. "Il est indispensable de garder un temps d’adaptation pour ne pas favoriser les grandes entreprises qui seront à même de s’adapter à ces nouvelles règles au détriment des PME et des TPE", a estimé, ce 1er mars, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, devant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi à l'Assemblée. "Un délai d'entrée en vigueur de cinq ans permet à mon sens de limiter ce risque", a-t-il précisé, tout en soulignant que "la commande publique est effectivement un levier très efficace pour obtenir un verdissement de notre économie". 

Adapter l’emploi à la transition écologique (chapitre II) 

  • Composition des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (article 17)

Le projet de loi complète la composition des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop), en prévoyant la désignation de deux personnalités qualifiées compétentes en matière de transition écologique, après avis du président du conseil régional et du conseil économique, social et environnemental régional. Il s’agit d’assurer dans ce "lieu de discussion et de partage sur tous les dispositifs de formation professionnelle au niveau régional (…) un regard particulier et une mise en relation plus facile des différents acteurs autours des projets de transition écologique, voire d’impulser des projets propres à la région nécessitant des partenariats", insiste l’étude d’impact.

Protéger les écosystèmes et la biodiversité (chapitre III) 

  • Principes généraux en matière de protection de l’eau (article 19)

Le premier des trois articles de ce chapitre modifie l’article L. 210-1 du code de l’environnement pour y rappeler, en préambule l’importance des écosystèmes aquatiques découlant directement du grand cycle de l’eau (cours d’eau, zones humides, eaux souterraines, lacs naturels et artificiels, nappes phréatiques, neige et glaciers) et des interactions entre eux pour assurer une gestion durable des masses d’eau. La loi sur l’eau est encore aujourd’hui "trop souvent comprise comme une loi gérant une simple 'ressource' en eau, une quantité que doivent se partager les milieux naturels et les nombreux usages anthropiques (irrigation, eau potable, navigation…)", relève l’étude d’impact, regrettant une gestion "très compartimentée" des différents milieux naturels dans le droit français. La mesure, bien que peu normative, éclaire la notion de "respect des équilibres naturels" figurant déjà à l’article L. 210-1, comme cadre structurant de la "gestion équilibrée et durable de l’eau", en mentionnant la préservation et, le cas échéant, la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et leurs interactions. Concrètement, ces dispositions devraient renforcer la qualité des études d’impact et permettre une meilleure appréciation des enjeux liés au cycle de l’eau dans les différents niveaux de décision, de planification ou de travaux relevant des collectivités locales pour prévenir les inondations, sécheresses, et s’adapter au changement climatique. 

  • Renforcer l’encadrement des travaux miniers et leur arrêt (article 20)

Les dispositions prévues par cet article, et les dispositions d’habilitation prévues à l’article suivant pour réformer plus globalement le code minier, concernent l’ensemble de l’activité minière, en métropole comme outre-mer, "et permettront de mieux encadrer les projets miniers, quelle que soit leur taille tout au long de leur vie y compris lors de phase d’arrêt de travaux et même postérieurement si nécessaire (…)", explique l’étude d’impact. Un écho aux travaux de la commission d’enquête du Sénat sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols (lire notre article du 15 janvier 2021). 
Le texte envisage ainsi de modifier l’article L. 161-1 pour rénover les intérêts protégés par le code minier, en y ajoutant en particulier la santé publique. Il propose de viser explicitement l’article L. 219-7 du code de l’environnement, relatif à la protection du milieu marin, et d’ajouter les intérêts des immeubles classés au titre des monuments historiques ou inscrits, le respect de l’intégrité des câbles, réseaux ou canalisations enfouis ou posés, ou encore de mentionner explicitement les intérêts halieutiques au côté des intérêts agricoles. L’article vise aussi à soumettre explicitement la déclaration d’arrêt de travaux à la procédure de participation du public prévue par l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement (déjà réalisée en pratique), puis à tenir compte des observations qui y auront été formulées, pour l’édiction des mesures d’arrêt de travaux à prescrire à l’exploitant.
Plusieurs mesures acclimatent aux spécificités minières, des dispositions déjà existantes dans le code de l’environnement pour les ICPE, en particulier l'extension de la police résiduelle pendant 30 ans après l’arrêt des travaux, ou la possibilité de rechercher la responsabilité des sociétés-mères (nouvel article L. 171-3 du code minier), afin de supprimer certaines "dissymétries" existantes entre les deux codes.

  • Réforme du code minier (article 21)

Le projet de loi habilite par ailleurs le gouvernement à refondre le code minier dans son ensemble. Une réforme moult fois annoncée mais sans cesse repoussée. La recodification à droit constant - ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 ratifiée en 2017 - "ne s’est pas révélée suffisante, eu égard aux nombreux non-dits et incertitudes que comporte l’actuelle partie législative", reconnaît l’étude d’impact. Les dispositions en vigueur apparaissent "totalement obsolètes et ne déroulent pas clairement les principes fondateurs du droit minier français", ajoute-t-elle, soulignant que "de façon primordiale, la prise en compte des préoccupations environnementales, la consultation du public et l’explicitation des critères de sélection sont appelées à être drastiquement renforcées".
La réduction des délais d’instruction des demandes des titres miniers fait en effet partie des attendus de la réforme au même titre qu’une amélioration de la transparence, de la participation du public et des collectivités ainsi qu’une prise en compte accrue des enjeux environnementaux dans les décisions minières, notamment en imposant que l’octroi, l’extension ou la prolongation de titres miniers, soit précédé d’une analyse environnementale, économique et sociale.
Cette réforme est nécessaire "pour doter l’Etat des outils juridiques permettant notamment de refuser des permis miniers d’exploration ou d’exploitation pour des motifs environnementaux", insiste l’exposé des motifs. Elle se donne également pour objectif de "mieux encadrer les travaux miniers, de leur arrêt des travaux et de la gestion des risques post-exploitation", (intégration de l’autorisation de travaux miniers dans l’autorisation environnementale, extension des garanties financières à l’arrêt des travaux après la fermeture du site, à sa surveillance à long terme et aux interventions en cas d’accident, etc.), de "revoir l’encadrement des projets miniers de petite taille en outre-mer", "rénover le schéma départemental d’orientation minière en Guyane" et accroître la répression de l’orpaillage illégal

Favoriser des énergies renouvelables (chapitre IV)

  • Déclinaison de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en objectifs régionaux (article 22)

Objectif : créer un lien de compatibilité des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet,) outil central de planification au niveau régional, avec la PPE. Actuellement, il n’existe aucun mécanisme permettant d’assurer que la somme des Sraddet permet d’atteindre les objectifs nationaux en matière de développement des énergies renouvelables établis à l’article L.100-4 du code de l’énergie et déclinés par filière dans la PPE (lire notre article du 10 novembre 2020). Un tel mécanisme est d’autant plus difficile à construire que les objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables ne sont pas régionalisés dans le cadre de la PPE.
Au terme du projet de loi, un décret établira une déclinaison régionale des objectifs de la PPE, après concertation avec les régions. La mesure prévoit en conséquence d’enclencher une mise à jour ou une révision des Sraddet dans les 6 mois suivant la publication dudit décret
Sur la suggestion du Conseil d’Etat, le texte précise que les objectifs régionaux fixés par le décret "tiennent compte des ressources régionales mobilisables".
Le cas particulier de l’Ile-de-France, qui n’a pas de Sraddet, mais un schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie, est pris en compte avec un système similaire.
Le texte remonte également au niveau législatif l’obligation pour les Sraddet de définir des objectifs de développement des énergies renouvelables et de récupération
Ce rapport de compatibilité implique "qu’un schéma peut fixer des objectifs de développement de telles énergies supérieurs aux objectifs régionaux fixés par décret, mais ne peut fixer un objectif inférieur à l’objectif régional que pour des motifs sérieux cohérents avec les objectifs généraux de la programmation pluriannuelle de l’énergie", souligne le Conseil d’Etat. 

  • Développement des énergies renouvelables citoyennes (article 23)

Le projet de loi prévoit en outre de compléter la PPE pour y inclure dans le volet traitant du développement équilibré des réseaux, du stockage et de la transformation des énergies et du pilotage de la demande d’énergie, une feuille de route pour "le développement de communautés d’énergie renouvelable et de communautés énergétiques citoyennes", dont l’objectif est de favoriser l’implication des citoyens, des collectivités territoriales et des PME dans les projets d’énergies renouvelables et d’autoconsommation. 

  • Seuil des entrepôts pour installer du photovoltaïque ou des toits végétalisés (article 24)

Enfin, le texte abaisse le seuil pour l’obligation d’installer des systèmes de production d’énergie renouvelable ou des toitures végétalisées de 1.000 m2 actuellement, à 500 m2. Le projet de loi permet également d’inclure dans l’obligation les extensions de bâtiments et les constructions destinées au commerce de gros. La mesure, dont l’entrée en vigueur est reportée en 2024, concernera les constructions nouvelles créant plus de 500 m2 d’emprise au sol ainsi que les extensions de constructions existantes, dès lors que l’extension en elle-même crée plus de 500 m2 d’emprise au sol.
L’obligation portant sur 30% de la surface de toit, "ce sont 450.000 à 540.000 m2 de toitures qui devront être équipées de panneaux solaires ou végétalisées", indique l’étude d’impact. Le dispositif pourra toujours être mis en œuvre dans le cadre de la délivrance du permis de construire au titre du code de l’urbanisme même s’il n’est plus corrélé au régime d’autorisation d’exploitation commerciale prévu par le code de commerce.