Vincent Roche Lecca (Scène Ensemble) : "Pour la culture, la DSP n'est pas la garantie que tout se passe bien"

Scène Ensemble, né début 2025 de la fusion du Syndicat national des scènes publiques (SNSP) et de Profedim, qui regroupait des acteurs de la musique, rassemble aujourd'hui 250 ensembles musicaux et 250 théâtres de ville. Ce vendredi 11 juillet, l'association organise en Avignon un débat public intitulé "À qui profite la délégation de service public ?" Vincent Roche Lecca, son coprésident, revient pour Localtis sur les raisons de ce choix.

Localtis : Pourquoi avoir intitulé le débat public que vous organisez "À qui profite la délégation de service public ?" 

Vincent Roche Lecca : Nous nous sommes dit qu'il s'agissait d'une manière un peu décalée de requestionner la raison même du service public de la culture. Nous n'avons pas envie d'un débat très technique sur les modèles de gestion. Mais il y a actuellement pas mal de questionnements d'élus sur les territoires qui se demandent comment gérer au mieux leur théâtre, leur musée ou leur école de musique. Plus qu'une réponse statutaire, nous souhaitons que la parole circule à propos des critères et qualités nécessaires pour qu'un équipement culturel continue de remplir son rôle.

La délégation de service public (DSP) pose-t-elle un problème particulier dans la culture ?

Non, la DSP ne pose pas de problème intrinsèque. Il y a de très bonnes DSP, même s'il y en a d'autres qui sont un peu catastrophiques. Dans une époque où l'on nous parle de la raréfaction des moyens, où les collectivités sont amenées à faire des choix un peu drastiques, il pourrait y avoir une envie d'externaliser un certain nombre de choses, quitte à ce que la manière dont cela se fait ne soit pas complètement animée du caractère désintéressé et émancipateur que nous défendons dans le service public de la culture. 

Sur le terrain, estimez-vous que la flexibilité et l'efficacité généralement attribuées à la DSP sont au rendez-vous ?

La DSP n'est pas la garantie que tout se passe bien. Tout dépend de la façon dont le pouvoir adjudicateur, qui émet la commande publique, a clarifié ses objectifs et les a critérisés. Ce qui nous a un peu piqués [sic] a été la façon dont l'un de nos adhérents, la salle du Pin galant, à Mérignac (Gironde), s'est fait évincer au profit d'un grand groupe privé. Le mouvement de balancier qui peut s'opérer en un clignement de cil peut éloigner du giron public un équipement culturel du jour au lendemain. On veut alerter sur cette dérive possible. Mais, je le vois sur mon territoire où, entre la salle de musique actuelle de Bourg-en-Bresse ou une salle conventionnée à Annemasse, côté Savoie, il y a des DSP qui se passent très bien et peuvent permettre à la fin de l'échéance de se questionner pour savoir si les objectifs ont bien été atteints.

Comment expliquer ce basculement ?

Avec un cahier des charges qui change du tout au tout, on peut voir arriver un profil d'opérateurs très différents et voir des questions auxquelles on est très attachés, notamment nos actions non rentables – médiation culturelle, résidence d'artistes, politique tarifaire basse – opérer un mouvement de bascule hyper rapide au sein du même établissement. Lorsque les collectivités font le choix d'une forme d'externalisation du service public du spectacle vivant, alors, elles doivent être vigilantes sur le fait qu'il y a un besoin, au cœur de ces équipements, d'un certain nombre de missions non rentables. C'est la clé de la réussite d'un spectacle vivant qui n'est pas uniquement peuplé de gens connus, sur des sujets uniquement divertissants et avec des tarifs élevés.

Vers quels autres modèles les collectivités peuvent-elles se tourner ?

La moitié des 250 théâtres de Scène ensemble sont en régie et cela se passe bien. Il y a des régies directes qui sont bien bornées, il y a des élus respectueux qui savent qu'il existe un besoin de professionnels pour animer une équipe, pour remplir une mission qui, encore une fois, dépasse le fait de remplir une salle avec des gens connus. Et quand on veut externaliser un service public, il y a d'autres choix que la DSP, comme l'EPCC (établissement public de coopération culturelle). La collectivité se dessaisit alors en partie d'un équipement culturel mais elle le fait en alliance avec les autres niveaux de l'action publique, elle le fait dans un dialogue fécond avec le département ou l'État.

À vos yeux, l'EPCC donne-t-il plus de garanties pour assurer les missions du service public de la culture ?

Le statut des EPCC, créé en 2002, regroupe aujourd'hui 150 établissements culturels, il y en a de bons et de mauvais. Des collègues sont en difficulté avec un très fort interventionnisme, mais la plupart réussissent à avoir une autonomie de décision, car dans la gouvernance de l'EPCC, de nombreux niveaux de décision sont représentés, avec les financeurs, les salariés, des personnalités qualifiées. Cela concourt à ce que la question de l'intérêt général ne soit pas uniquement de savoir si l'action est intéressante électoralement pour l'unique collectivité qui finance. Le jeu d'alliances génère un jeu de débats dans la gouvernance. Si toutes les étapes sont respectées, l'EPCC est la garantie d'une forme d'autonomie de prise de décision des professionnels qui agissent dans le cadre du contrat d'objectifs qui leur a été fixé. 

En début d'année, Scène ensemble déclarait à Localtis : "Il faut tirer la sonnette d'alarme pour le financement de la culture". Six mois plus tard, où en sommes-nous ?

Nous ne sommes même pas sûrs aujourd'hui de nos financements pour l'année 2025. On nous parle encore de quelques économies à trouver avant la fin de l'année. C'est vertigineux de dire ça au mois de juillet, mais certains collègues ne savent pas quelles vont être leurs enveloppes de l'année. L'Observatoire des politiques culturelles a réalisé une CartoCrise pour savoir qui a vécu des baisses de financements. Le nombre d'occurrences y est assez important. Énormément d'équipements ont perdu en moyenne entre 60.000 et 100.000 euros. Dans un monde inflationniste, avec des subventions à l'euro constant, on a un mouvement de fond à l'œuvre, avec des activités qui vont se réduire. Le plus dramatique est la question des entreprises indépendantes, des artistes, qui ont moins de dates, moins de diffusion. Je suis très curieux de savoir à combien sera stabilisé le nombre d'intermittents de 2025, mais il est très clair qu'aujourd'hui beaucoup de gens perdent leur travail dans notre secteur, et c'est en partie lié aux baisses de subventions intervenues depuis début 2025 qui font fondre l'activité de certains équipements.

 

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