Zéro artificialisation nette : le Sénat préconise une remise à plat de la fiscalité locale

Adopté à l'unanimité ce 29 juin par la commission des finances du Sénat, le rapport de contrôle budgétaire de Jean-Baptiste Blanc sur "les outils financiers en vue de l'atteinte de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN)" déplore l'absence de moyens pour y parvenir alors que l'impact sur les collectivités sera majeur. Il appelle à définir d'urgence un modèle de financement budgétaire adapté et à refonder la fiscalité locale dans le sens de la sobriété foncière. Il préconise un "guichet unique" pour soutenir les collectivités dans la réalisation de l'objectif ZAN. Autant de mesures destinées à nourrir une proposition de loi à l'automne et des amendements au prochain projet de loi de finances.

"La copie que le gouvernement a rendue sur le ZAN mérite un zéro pointé net", a cinglé devant la presse Jean-François Husson (LR, Meurthe-et-Moselle) ce 20 juin. Le rapporteur général de la commission des finances du Sénat s'exprimait ainsi à l'issue de l'adoption à l'unanimité par la commission du rapport de contrôle budgétaire de Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse), rapporteur spécial des crédits du logement et de l'urbanisme, sur "les outils financiers en vue de l'atteinte de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN)". "Nous nous retrouvons à faire le travail du gouvernement, à sauver les meubles", a taclé ce dernier, qui a été rapporteur sur la section du projet de loi Climat et Résilience consacrée à l'objectif ZAN.

Pas de modèle économique du ZAN pour 79% des élus ayant répondu à la consultation du Sénat

En cause, selon les sénateurs : l'absence de moyens dédiés à l'atteinte de l'objectif, "qui n'ont été prévus ni par la loi Climat, ni par la loi de finances pour 2022" et n’ont fait l’objet d’aucune annonce de la part du gouvernement depuis. "Il fallait faire de l'affichage. Mais par cette carence, on s'abstrait de l'obligation d'apporter des financements, poursuit Jean-François Husson. Pour nous, il n'est pas question de laisser les élus seuls, sans moyens, au risque de créer des tensions nouvelles entre territoires". Un jugement partagé par Sophie Primas (LR, Yvelines), présidente de la commission des affaires économiques, à l'origine, avec la commission du développement durable, de la consultation en ligne lancée auprès des élus locaux et tout juste clôturée. 1.200 réponses ont été recueillies et sont en cours d'analyse mais les premiers retours montrent que 79% des répondants constatent qu'il n'y a pas de modèle économique du ZAN, indique la sénatrice. A cela s'ajoutent les premiers décrets d'application récemment attaqués par l'Association des maires de France (AMF) devant le Conseil d'Etat (lire notre article). "Nous sommes extrêmement mécontents de la façon dont le Parlement a été écarté", souligne Sophie Primas, pointant une nouvelle fois des "décrets orthogonaux, contraires à l'esprit de la loi" (lire notre article).

Proposition de loi de "recentrage"

Forts de ce constat et en s'appuyant sur le rapport de Jean-Baptiste Blanc, les sénateurs entendent donc travailler cet été pour aboutir à l’automne à une proposition de loi "de recentrage" offrant une méthode financière et un accompagnement en ingénierie des collectivités à intégrer dans le prochain projet de loi de finances.
Pour Jean-Baptiste Blanc, il faut d'abord s'atteler à une remise à plat de la fiscalité locale, dont les 2/3 des 230 milliards d'euros reposent sur le foncier. En l'état actuel, le sénateur la juge "artificialisante", son rendement étant "la conséquence de l'étalement, pas du renouvellement" urbain.  Et le rapport de relever que les atteintes à l'environnement, et plus particulièrement l'artificialisation des sols, "représentent un coût socio-économique (…) qui n'est que partiellement pris en compte dans le prix des terres et des logements" et qu'il est "nettement moins coûteux de construire une maison de plain-pied (740 à 1.020 euros par mètre carré habitable en 2018) qu'un immeuble collectif urbain dense de quatre à huit niveaux (1.430 à 3.100 euros hors taxes par mètre carré habitable)." La réhabilitation des friches et les opérations de renaturation sont de plus "difficilement rentables sans aides publiques". Il y a donc un modèle économique à définir car un "zéro artificialisation nette 'mal maîtrisé' serait porteur de risques pour la cohésion sociale", souligne le rapport. "Les Français sont très attachés au modèle de la maison individuelle avec terrain qui reste souvent, à distance des centres-villes, le seul mode de logement accessible aux classes moyennes modestes. Celles-ci risquent d'être les premières victimes de la limitation de l'accès au foncier qui en renchérira le coût dans les années à venir", poursuit-il.

"Toilettage" de taxes, aides financières et en ingénierie 

La commission des finances du Sénat a donc demandé au Conseil des prélèvements obligatoires qui est rattaché à la Cour des comptes de réaliser une étude sur la prise en compte, par la fiscalité locale, de l’objectif de ZAN, avec l'idée de faire des simulations des impôts et taxes existants pour les "toiletter". Parmi les taxes qui pourraient inclure "une composante 'lutte contre l’artificialisation'" : la taxe d’aménagement, la taxe sur les surfaces commerciales, les taxes foncières, les droits de mutation…, cite Jean-Baptiste Blanc. "Afin de donner aux acteurs locaux une réelle incitation à agir dans le sens de la sobriété foncière, les aides budgétaires et fiscales devront être réorientées de manière majoritaire, mais non exclusive, vers les opérations tendant à la sobriété foncière (réhabilitation, rénovation, démolition-reconstruction) et non vers l’extension urbaine, appuie le rapport. Toutefois, à l’intérieur de ce principe général, des aides sont et resteront nécessaires pour poursuivre des objectifs de politique publique tels que la politique de logement social et intermédiaire ou certains projets de développement locaux. Or la maîtrise de l’artificialisation nécessite la connaissance pratique du territoire que possèdent les maires, ainsi que des données pouvant être apportées aussi bien par les bases de données nationales que par celles qui proviennent d’observatoires locaux. En conséquence, la coopération entre le niveau national et les collectivités locales devrait être formalisée dans des conventions garantissant l’accompagnement de l’État et de ses agences ou opérateurs sous forme d’aides financières ou en ingénierie." Jean-Baptiste Blanc estime aussi que dès 2023, les aides à la pierre pour la construction de logements sociaux portés par le Fonds national des aides à la pierre (Fnap) "devraient favoriser les projets économes en foncier".

"Guichet unique"

Il propose en outre, pour favoriser l’accès à l’ingénierie, de créer un "guichet unique pour les collectivités et les particuliers en regroupant tous les moyens de l’État" chargés de la lutte contre l’artificialisation (aides en ingénierie aux collectivités et information destinée aux citoyens), les modalités d'attribution des moyens d'Etat aux collectivités devant "être définies en associant les élus". 1 milliard d'euros serait nécessaire pour faire vivre ce guichet unique, évalue le rapporteur. De plus, un "comité d’observation et de prospective" pourrait réunir "des élus mais aussi des juristes, des géographes et des sociologues, ainsi que des professionnels du secteur et des citoyens formés aux enjeux de la sobriété foncière et du développement local, qui pourraient apporter des points de vue différents et complémentaires sur la manière d’atteindre l’objectif de meilleure maîtrise de la consommation des sols", propose le rapport. "Sa mission serait de sortir de la réflexion en silo et de 'challenger' les administrations qui sont en charge de leur mise en œuvre afin d’aboutir à des solutions durables et acceptables des collectivités et de la population". Jean-Baptiste Blanc envisage "deux ou trois sujets à lui soumettre" tels que l’évolution des dotations de l’État, notamment la dotation globale de fonctionnement (DGF) dont l'évolution, fondée sur celle de la population, "ne correspond plus ou pas à l’objectif ZAN" ou encore, pour les territoires en déprise, des "solutions de correction et de péréquation". La réflexion pourrait porter sur "des pactes financiers et fiscaux à l'échelle intercommunale pour mutualiser les recettes et dépenses en matière de ZAN", avance le rapporteur.
Parmi les ressources envisageables pour les projets "ZAN", le rapporteur spécial attire aussi l’attention sur le montant élevé représenté depuis quelques années par les ventes de quotas carbone. "Si une part de ce produit est affectée à l’Agence nationale de l’habitat, le surplus qui revient au budget de l’État a bénéficié de l’effet d’aubaine de l’augmentation du prix du carbone, que les politiques de lutte contre le climat devrait rendre durable. Or la directive SCEQE relative au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre prévoit que cette ressource doit, à 50 % au moins, être affectée à des projets luttant contre le changement climatique. Sans modifier la part revenant à l’Anah, le surplus pourrait donc être affecté à la réalisation d’actions menées en vue de l’atteinte de l’objectif ZAN", suggère-t-il.

Du fonds Friches au fonds ZAN

Alors que le gouvernement a annoncé il y a plusieurs mois sa volonté de pérenniser le fonds Friches lancé dans le cadre de France relance, Jean-Baptiste Blanc, lui, propose en plus de le transformer en véritable "fonds ZAN" en étendant son périmètre à l’ensemble des projets poursuivant l’objectif de sobriété foncière "et pas seulement aux friches industrielles" : dents creuses, "remise sur le marché de l’habitat vacant là où une demande existe"… Ce fonds "devrait être doté de ressources suffisantes" "assurée[s] par une dotation budgétaire sur le programme 135 et non, comme actuellement, sur les crédits temporaires du plan de relance", ajoute le sénateur.
Enfin, la dotation budgétaire des établissements publics fonciers (EPF) d'Etat et locaux, qui compense la baisse des ressources issues des taxes spéciales sur l’équipement depuis 2021, doit aussi "être pérennisée et renforcée" "afin que les EPF soient les bras armés d’une véritable politique de maîtrise publique du foncier", estime le rapporteur.