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25e rapport de la fondation Abbé-Pierre : le mal-logement est-il soluble dans les municipales ?

Au-delà des chiffres attestant l'ampleur du phénomène, le 25e rapport annuel sur l'état annuel du mal-logement en France propose aux collectivités quinze "outils" pour répondre aux enjeux. Qu'il s'agisse de "logement d'abord", d'attribution des logements sociaux, de loi SRU, d'habitat indigne, du parc privé à vocation sociale, de précarité énergétique, d'encadrement des loyers ou de foncier… la fondation Abbé-Pierre espère contribuer à faire de l'habitat "un enjeu majeur des prochaines élections municipales et intercommunales".

La fondation Abbé-Pierre publie son 25e rapport annuel sur l'état annuel du mal-logement en France. Pour Laurent Desmard, son président, "ce temps fort reconnu par les acteurs du logement permet à chacun de prendre conscience de la gravité de la situation, alors même que des solutions existent pour sortir de l'exclusion les plus fragiles d'entre nous et leur donner une place à part entière dans notre société". On retrouve donc à la fois, dans les 400 pages du rapport, des chiffres précis sur l'état des lieux du mal-logement, des analyses, mais aussi des témoignages toujours aussi poignants sur des parcours de vie. Mais cette année, "la Fondation ne peut se contenter de tirer la sonnette d'alarme. A la veille des élections municipales, échelon au plus près des réalités de la vie quotidienne, elle se veut également porteuse d'espoir et de solutions", écrit-elle. Le drame de la rue d'Aubagne a rappelé en effet que si les collectivités territoriales ne sont pas les seuls acteurs de la lutte contre le mal-logement, elles ont néanmoins un rôle important à jouer... ou pas.

Quatre millions de mal-logés : des chiffres qui commencent à dater

Côté chiffres, le rapport de la Fondation apporte son lot de chiffres, qui attestent l'ampleur du phénomène. On peut toutefois regretter, pour cette 25e édition, l'absence d'une mise en perspective historique : depuis 25 ans, rien n'a-t-il vraiment changé en France en matière de logement ? Sur une année en revanche, les chiffres demeurent identiques et on peut retenir les deux grandes masses que sont les 4 millions de personnes mal logées et les 12 millions de personnes "en situation de fragilité par rapport au logement", soit un total de 14,6 millions de personnes en éliminant les doubles comptes.

Plus précisément, pour 2019, le rapport fait état de 3,953 millions de mal-logés : 902.000 personnes privées de logement personnel (dont 143.000 sans domicile et 643.000 en hébergement "contraint" chez des tiers) et 2,819 millions "vivant dans des conditions de logement très difficiles" (dont 934.000 dans une situation de surpeuplement accentué). Il faut y ajouter 208.000 gens du voyage subissant de mauvaises conditions d'habitat et 24.000 résidents de foyers de travailleurs migrants non traités.

A noter : tous ces chiffres sont exactement les mêmes que ceux du rapport précédent, qui portait sur l'année 2018, ce qui peut surprendre au premier abord. Cette permanence peut toutefois s'expliquer par la périodicité des enquêtes et des sources sur lesquelles s'appuient les travaux de la Fondation. Celle-ci indique d'ailleurs elle-même que les données sont présentées "à partir de chiffres essentiellement issus de notre exploitation de l'édition 2013 de l'enquête nationale Logement de l'Insee et de l'actualisation de données administratives". Les chiffres sur les 143.000 personnes sans domicile remontent même à l'enquête "sans domiciles" de l'Insee en 2012. Des décalages temporels qui posent forcément question sur la mesure du mal-logement en France et le suivi de son évolution.

Plus de 12 millions de personnes "fragilisées par rapport au logement"

Pour leur part, les 12,138 millions de personnes "fragilisées par rapport au logement" se répartissent en 1,123 million de propriétaires occupant un logement dans une copropriété en difficulté, 1,21 million de locataires en impayés de loyers ou de charges, 4,299 millions de personnes modestes en situation de surpeuplement modéré, 3,558 millions de personnes modestes ayant eu froid pour des raisons liées à la précarité énergétique et 5,732 millions de personnes en situation d'effort financier excessif (personnes subissant un taux d'effort net supérieur à 35%, leur laissant un reste-à-vivre inférieur à 650 euros par mois et par unité de consommation). Là aussi, les chiffres sont strictement les mêmes que ceux du précédent rapport.

Faire de l'habitat "un enjeu majeur des prochaines élections municipales et intercommunales"

Au-delà des chiffres – qui restent élevés en tout état de cause – la fondation Abbé-Pierre "plaide pour faire de la question de l'habitat un enjeu majeur des prochaines élections municipales et intercommunales". Le rapport estime en effet que le mal-logement n'épargne aucun territoire, même si ses formes et son intensité varient. Face à ce constat, la décentralisation a favorisé une prise en charge du mal-logement au niveau local, mais avec "des résultats contrastés". La Fondation juge notamment que certaines intercommunalités, "comme celles de Marseille et Paris, sont trop empêtrées dans des égoïsmes communaux pour mener une politique solidaire et cohérente à l'échelle de la métropole. Soumis à des inégalités territoriales fortes, les mal-logés subissent donc également une implication très inégale de la part de leurs élus".

Conséquence : "A ce stade de la décentralisation, le logement reste une compétence éclatée dans un 'millefeuille' institutionnel, dans lequel les responsabilités se diluent". Le rapport pointe notamment les "renvois de balle" entre acteurs, mais aussi le décalage – soulevé par les acteurs locaux – entre les objectifs ambitieux fixés au niveau national et les moyens alloués sur le terrain.

Face à ce constat, la Fondation adresse donc un premier message à l'État, qui pourrait trouver sa place dans la future loi 3D (décentralisation, différenciation et déconcentration) : maintenir et amplifier les responsabilités des EPCI en matière d'habitat et associer action immobilière et action sociale pour prêter attention aux ménages prioritaires, aux attributions et à la mixité. Le second message s'adresse aux collectivités et leur demande de coopérer pour dépasser l'émiettement des compétences.

Quinze outils à disposition des communes et des EPCI

Le rapport propose donc aux collectivités quinze "outils" à leur disposition pour contribuer à la réponse aux enjeux du mal-logement. Les collectivités sont ainsi invitées à reconnaître et à appliquer la déclaration des droits des personnes sans abri, par exemple en "respectant le domicile des sans domicile fixe" (allusion aux dispositifs anti-SDF dénoncés par la Fondation), en mettant en œuvre le dispositif de domiciliation et en fournissant un certain nombre de services de base.

Autres outils : l'engagement de la collectivité dans une démarche de "logement d'abord" ou la résorption d'un bidonville en relogeant plutôt qu'en expulsant (avec un exemple probant à Metz et un renforcement significatif des aides de l'État sur ce point). Sujet sensible également : proposer de vrais logements aux gens du voyage, sans discrimination, sachant qu'"être mobile n'exclut pas d'habiter pleinement un territoire une partie de l'année". Cela suppose de connaître les besoins de ces ménages, "en pleine confiance avec eux pour leur donner la parole". Dans le même esprit, la Fondation recommande d'accueillir dignement les personnes migrantes, avec des exemples de réalisation exemplaires à Rennes et à Villeurbanne.

Collectivités et organismes HLM doivent également "faire la transparence" sur l'attribution des logements sociaux. La Fondation soutient notamment le dispositif de cotation des demandes (qui doit être généralisé avant le 31 décembre 2021), mais aussi la "location active" qui donne une place aux demandeurs dans le processus d'attribution ou d'autres initiatives permettant de fluidifier les demandes de mutation au sein du parc de logements sociaux.

SRU et habitat indigne : le combat continue

Sans surprise, la fondation Abbé-Pierre reprend aussi l'un de ses chevaux de bataille, en demandant à toutes les collectivités concernées de rattraper leur retard sur les quotas de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain). Ceci passe notamment par la définition de PLH (programmes locaux de l'habitat) conformes aux objectifs de la loi SRU, par la réservation d'emplacement pour les logements sociaux, par la délimitation de secteurs de mixité sociale (SMS) ou encore par une majoration des règles de construction afin de mieux exploiter le foncier disponible.

Dans le même esprit des combats récurrents de la Fondation, le rapport propose aussi aux collectivités de s'organiser efficacement pour lutter contre l'habitat indigne. Dans ce cadre, il incite les communes, pour des raisons d'efficacité des actions menées, à transférer à leur EPCI tout ou partie de leurs compétences en ce domaine.

Le rapport suggère aussi aux collectivités de mobiliser le parc privé à vocation sociale, en rappelant que plus de 1.5 million de logements privés sont mis ou remis en location chaque année, contre moins de 500.000 attributions dans le parc locatif social. Cela suppose d'identifier les logements qui pourraient être concernés, d'apporter un soutien et des garanties aux propriétaires bailleurs, de disposer d'opérateurs compétents (agences immobilières à caractère social), mais aussi de dégager des moyens afin de combler l'écart les loyers de marché dans certains territoires et les loyers sociaux à atteindre.

Précarité énergétique : à vos Slime !

Plus original : la Fondation invite les collectivités à mettre en place un Slime (service local d'intervention pour la maîtrise de l'énergie), afin de mieux repérer la précarité énergétique et de contribuer ainsi à la rénovation des sept millions de "passoires énergivores". Cet engagement des collectivités est aujourd'hui facilité par le fait qu'elles peuvent dorénavant candidater au programme Sare (service d'accompagnement pour la rénovation énergétique), financé pas les certificats d'économie d'énergie (avec 200 millions d'euros prévus sur la période 2020-2024), afin de repérer et conseiller les ménages sur les travaux de performance énergétique et réduire ainsi leurs factures.

Autres outils proposés aux communes et aux EPCI par la Fondation : la co-construction de projets avec les habitants (en rappelant au passage que la loi Lamy du 21 février 2014 a donné la possibilité de création de "conseils citoyens", même si leur efficacité est très inégale), ou encore la revitalisation des centres-villes, en s'appuyant en particulier sur le plan Action Cœur de ville, lancé en 2017 et qui connaît une rapide montée en charge.

Oui à l'encadrement des loyers et au foncier solidaire

Bien que la mesure soit plus controversée, le rapport incite aussi les collectivités à s'engager dans l'encadrement des loyers qui "fait son retour à Paris et sans doute bientôt à Lille [autorisé par un décret du 22 janvier 2020, ndlr], voire à Grenoble, parce que ça marche". Pour autant, la Fondation est consciente que "l'encadrement des loyers n'est qu'une mesure de correction minimale après 20 ans de hausse des prix". Elle rappelle néanmoins que les collectivités ont jusqu'au 23 novembre 2020 pour demander l'expérimentation de l'encadrement.

Parmi les outils proposés, le rapport recommande également le recours aux organismes de foncier solidaire (OFS), pour accéder à la propriété en dissociant le prix du foncier et celui de la construction, grâce à un dispositif de portage. Enfin, le rapport demande aux collectivités d'aller vers les personnes mal logées, afin de lutter contre le non recours aux droits. Visant plutôt les services sociaux des départements, il se prononce pour "le maintien d'une forme de polyvalence de secteur qui était l'ordinaire du travail social". Cet "aller-vers" peut être utilement mis en œuvre dans le cadre de la politique du Logement d'abord.

Au final, autant d'outils et d'engagements que la fondation Abbé-Pierre aimerait bien voir figurer dans les programmes et les débats qui vont occuper les prochaines semaines. Et qu'elle aimerait encore davantage retrouver dans les politiques et les actions qui seront mises en œuvre au lendemain des élections municipales et intercommunales des 15 et 22 mars prochains.

 

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