Accord de libre-échange UE- Mercosur : passage en force ou ajustement ?
L'accord de libre-échange conclu entre la Commission européenne et le Mercosur en décembre dernier reste dans les limbes. La Commission indique que la version juridique finale sera prête sous peu et les partisans de l'accord font monter la pression. La ministre de l'agriculture française tente toujours de constituer une minorité de blocage. La voie d'un aménagement de l'accord, qui a les faveurs du président Macron, ne semble pour autant pas totalement exclue.

© Jeunes Agriculteurs de l'Hérault
L'accord de libre-échange avec le Mercosur conclu en décembre dernier trouvera-t-il prochainement une issue ? Côté Commission, on continue de s'activer pour le mettre en oeuvre. Auditionné le 24 juin par la commission INTA (commerce international) du Parlement européen, le directeur général adjoint de la DG Commerce, Leopoldo Rubinacci, avait déclaré que la version finale du texte juridique transcrivant l'accord serait adoptée par la Commission "avant la fin de ce mois". Raté. Le 30 juin dernier, la porte-parole de la présidente de la Commission européenne, Paula Pinho, a néanmoins confirmé que c'était "bien avancé et que l'on pourrait avoir des nouvelles dans les prochains jours". Le sujet a également été particulièrement évoqué lors du conseil Agriculture et Pêche des 23 et 24 juin, puis du Conseil européen du 26 juin, même si les conclusions de ce dernier restent muettes sur le sujet qui n'était, il est vrai, pas à l'ordre du jour officiel. "Nous sommes d'accord sur le principe que l'accord sur le Mercosur doit maintenant être adopté le plus rapidement possible. Il y a encore des sujets plus petits à un moment ou à un autre, mais ce ne sont vraiment que des sujets mineurs", a toutefois déclaré le chancelier allemand Merz, en conférence de presse, le lendemain de la réunion.
Minorité de blocage
Les opposants à l'accord espèrent toujours que la pièce ne soit pas encore jouée. "Alors que l'annonce [de décembre] de la Commission pouvait laisser penser qu'il s'agissait de la fin du processus, en réalité, ce n'est que le début d'une nouvelle phase dans ces négociations qui durent depuis plus de vingt ans", relativisait ainsi le ministère de l'Agriculture français dans une réponse ministérielle du 20 mai dernier. "L'affaire n'est pas dite", réitérait, le 30 juin, Annie Genevard sur TF1, la ministre confessant "ne pas ménager sa peine" pour constituer une minorité de blocage. En cas de scission de l'accord, la ratification de sa partie commerciale serait en effet possible sans consultation des parlements nationaux avec une majorité qualifiée au Conseil de l'UE. Un "procédé inacceptable" pour "faire passer en force […] un accord devenu un totem bureaucratique", dénoncent dans une tribune au Figaro du 4 juillet la députée européenne Céline Imart (LR) et l'avocat Thibault de Montbrial. Une "manœuvre méprisable", déplorait déjà en décembre Départements de France (lire notre article).
Une telle minorité de blocage nécessite toutefois de réunir 4 États membres représentant au moins 35% de la population européenne. Or elle peine à se dessiner. La Pologne, l'Autriche et la Hongrie semblaient devoir en être. L'Irlande, les Pays-Bas, l'Italie et la Roumanie seraient plus qu'hésitants.
Deux fers au feu
La France elle-même paraît toujours avoir deux fers au feu. Début juin, le président Emmanuel Macron déclarait ainsi, dans un entretien accordé à la chaine brésilienne GloboNew, qu'il serait prêt à signer l'accord, qualifié de "stratégiquement bon", d'ici à la fin de l'année si était adopté un "protocole additionnel qui permette soit d'avoir des clauses miroirs, soit des clauses de sauvegarde".
"Je ne suis pas au courant d'un quelconque protocole additionnel. Ce que je peux rappeler effectivement, c'est qu'une fois que notre texte juridique aura été soumis au Conseil, ce sera justement la bonne opportunité pour les États membres d'échanger, de dialoguer, de négocier et de faire savoir effectivement leur position", indiquait le 30 juin Thomas Regnier, l'un des porte-paroles de la Commission européenne. Une porte entrouverte, qui expliquerait que la Commission aurait par ailleurs réfréné ses ardeurs fin juin. Autre indice, en Pologne, d'aucuns relèvent que la déclaration franco-polonaise du 7 juillet dernier sur le sujet ne fait nulle mention d'une éventuelle coalition pour rejeter l'accord, mais seulement de la recherche d'un "complément" à ce dernier. "La Pologne a retiré son objection inconditionnelle à l'accord du Mercosur !!", s'alarme ainsi sur X le député européen polonais Waldermar Buda (CRE).
"Les droits de douane ne diffusent pas la norme"
Toujours est-il que les pressions en faveur de la ratification ne mollissent pas. "Allons de l'avant et signons l'accord d'ici la fin de l'année. Parce que façonner les règles économiques mondiales, forger des partenariats solides et favoriser la prospérité partagée est dans l'intérêt vital de l'Europe", a ainsi plaidé le président du Conseil européen, ce 8 juillet, devant le Parlement européen. En préambule, António Costa avait invité les décideurs politiques à décider "en fonction des faits, et non des perceptions. Permettez-moi de mentionner un exemple. Le quota de l'accord Mercosur pour le bœuf représente 1,6 % – je répète : 1,6 % – de la production totale de bœuf européenne. Cela représente moins de la moitié de nos importations actuelles du Mercosur. Cela ne détruira tout simplement pas l'agriculture européenne". Et d'ajouter que "si nous voulons exporter nos normes sociales et environnementales, la façon de le faire est par le biais d'accords commerciaux. Parce que les droits de douane ne diffusent pas les normes. Les accords commerciaux le font. C'est le message que l'Europe devrait envoyer au monde : alors que d'autres élèvent des barrières, nous construisons des ponts". Et de souligner que l'UE est "le plus grand commerçant de biens et services manufacturés au monde [lire notre article]. Nous avons construit le réseau le plus étendu d'accords commerciaux, couvrant 78 pays et ce n'est pas fini. Nous faisons avancer les négociations avec des pays comme l'Inde, l'Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines, et d'autres".
Les agriculteurs à la relance
En France, les agriculteurs ne se résignent pas et tentent de relancer la mobilisation. À l'appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, des agriculteurs ont investi ce 8 juillet plusieurs ronds-points en province – à Montmarault (Allier), Guingamp (Côtes-d'Armor)… – pour rappeler leur hostilité. Le lendemain, une manifestation était organisée par la fédération nationale bovine devant l'ambassade du Brésil à Paris. Un pays dont le président Lula aurait récemment indiqué être persuadé que l'accord serait signé durant son mandat, lequel se termine en 2026.