Agences de l'État : "inquiétude" des élus locaux après les propositions du Sénat

Le rapport que la commission d’enquête sénatoriale sur les missions des agences et opérateurs de l'État a présenté le 3 juillet, est loin de faire l'unanimité, notamment chez les élus locaux, même si ceux-ci critiquent l'illisibilité actuelle liée à la multiplicité de ces structures. Il faut dire que la commission prône, au travers d'une soixantaine de recommandations, une réorganisation passant par plusieurs suppressions, y compris notamment celle de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Les sénateurs plaident aussi pour le "renforcement du rôle des préfets comme clé de voûte des politiques publiques locales", ce que saluent cette fois les élus locaux.

L'Association des petites villes de France (APVF) déclare éprouver "beaucoup d'inquiétude" et met en garde contre "les raccourcis", tandis que son homologue représentant les maires ruraux, l'AMRF, parle de "ligne rouge" à ne pas franchir. L’Union sociale pour l’habitat (USH) et l’Association des Maires Ville & Banlieue de France expriment quant à elles leur "vive surprise", dans un communiqué commun. Les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, qui ont été présentées le 3 juillet, n'ont pas laissé indifférent le monde public local.

Les travaux de cette commission étaient particulièrement scrutés et ses résultats attendus alors que les annonces de François Bayrou prévues mi-juillet doivent poser les bases de débats budgétaires qui s'annoncent périlleux.

Aux termes de ces travaux, les sénateurs ont dressé un panorama de 434 opérateurs, 317 organismes consultatifs et 1.153 organismes publics nationaux, un "archipel" dont les contours précis ne sont pas précisément connus par l'État lui-même, selon le rapport de la commission d'enquête. Les conclusions de cette dernière, adoptées largement, mais sans le soutien des sénateurs socialistes et écologistes, rejoignent en partie les constats effectués par le Premier ministre lors de son discours de politique générale sur le dédale que constituent selon lui les agences et les opérateurs. "Les agences sont le symptôme d'un État qui ne se pilote plus lui-même. L'architecture administrative est devenue tellement illisible, éclatée, que même les gestionnaires publics ne s'y retrouvent plus", a lancé la rapporteure, Christine Lavarde (Les Républicains), lors d'une conférence de presse. 

"Manque de coordination et de pilotage"

Les élus locaux rencontrés par la mission constatent unanimement la complexification du paysage administratif étatique, loin du guichet unique qu'ils appellent de leurs vœux. S'en suivent "illisibilité" et "dilution des responsabilités". Les représentants de l'État qui ont été auditionnés ont convergé, pointant une "perte de contrôle du préfet sur l'action publique locale" et des "incohérences particulièrement lourdes pour les collectivités". L'absence de coordination entre l'attribution des subventions de l'Agence nationale du sport (ANS) et celle des dotations de soutien à l'investissement local a par exemple été déplorée. L'absence de tutelle des préfets sur certaines agences "peut également conduire à un manque de coordination et de pilotage", relève la mission. En la matière, les agences régionales de santé (ARS) sont de nouveau pointées du doigt par les sénateurs.

Selon la mission, la désignation du préfet comme délégué territorial de certaines agences (Agence nationale de la cohésion des territoires, Agence nationale pour la rénovation urbaine, Agence de la transition écologique...) a été "une mesure bien trop timide", alors qu'il faudrait "une véritable reprise en main du représentant de l'État" sur les agences. C'est d'ailleurs ce qu'on redit les ministres Bruno Retailleau et François Rebsamen jeudi devant les maires de villes moyennes réunis en congrès (voir notre article). Le sujet sera sans doute abordé mardi par François Bayrou, celui-ci devant présenter devant les préfets de régions et de départements une "réforme de l'administration territoriale de l'État". 

La mission observe par ailleurs, s'appuyant sur des données transmises par le gouvernement, que l'aide de l'État en ingénierie territoriale bénéficie davantage aux "communes de plus de 5.000 habitants" qu'à celles de petite taille.

Pour "un point d'accès unique"

Les sénateurs appellent donc à "une profonde restructuration du fonctionnement des agences au niveau local". Et selon eux, celle-ci doit replacer "le préfet au centre de l’action de l’État dans les territoires". Les préfectures devraient ainsi être "le point d'accès unique des collectivités" vers les offres d'ingénierie et les aides financières délivrées par l'État et ses agences. De surcroît, les préfets et leurs services devraient "disposer d’un réel pouvoir de décision sur les financements octroyés par les agences, en étant associés de manière systématique (…) à la programmation budgétaire locale des agences" et "à l’instruction des dossiers".

Concrètement, la commission verrait bien la méthode utilisée pour l'attribution du fonds vert être généralisée. Pour rappel, celle-ci repose sur quelques principes clés : la délégation des crédits aux préfets de région et de département, la fongibilité de ces crédits, l'adaptation des critères d'octroi aux spécificités locales, ou encore le dépôt des dossiers de candidature sur une interface unique. A contrario, la mission recommande l'interdiction du "lancement par les agences d’appels à projets et d’appels à manifestation d’intérêt à destination des collectivités territoriales", du fait notamment de la complexité que ceux-ci induisent. Cela répond à une revendication formulée depuis des années par les associations d'élus locaux.

Une telle rénovation de l'instruction et de l'attribution des aides doit, selon la mission, conduire de manière "naturelle" à la "disparition" de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Les effectifs de l'agence localisés en région viendraient renforcer les équipes des préfectures.

Pas de "milliards d'économies" à la clé

Cette proposition choc a fait bondir l'Association des maires ruraux de France (AMRF), qui la juge "déconcertante et malvenue". La mettre en pratique "déstabiliser[ait] la dynamique" initiée par les programmes tels que Petites villes de demain et Villages d'avenir, qui "sont une réussite", s'alarme-t-elle. Mais l'association "salue l'idée de renforcer les préfectures".

Pour améliorer la gestion publique locale, la mission préconise aussi de supprimer les agences régionales de santé (ARS) et de transférer leurs attributions aux services déconcentrés de l'État, sous l'autorité des préfets. Parmi les bénéfices attendus de la mesure : la clarification de "l’organisation de la politique de santé dans les territoires", la "fluidification des relations entre l’administration sanitaire et les acteurs locaux", la simplification des "circuits budgétaires", ou encore "des économies".

"Au risque de décevoir ceux qui voyaient dans ce travail des milliards d'économies, vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas. Donc pas de serpe, pas de hache", a lancé le président communiste de la commission, Pierre Barros. Une allusion aux déclarations de la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin, qui avait déclaré vouloir réaliser 2 à 3 milliards d'euros d'économies en supprimant ou fusionnant un tiers des opérateurs d'ici 2027, hors universités.

"Tous ceux qui annoncent des milliards d'économies en parlant des agences mentent un peu aux Français", car "ce n'est pas la coquille qui fait le coût de l'action publique, ce sont les actions que porte cette coquille", a déclaré Christine Lavarde.

Fusions, suppressions, transferts d'activités…

Pour autant, les sénateurs jugent que des économies seraient envisageables par une "meilleure organisation" des opérateurs, notamment par la mutualisation de certaines "fonctions supports", c'est-à-dire la paye, le recrutement, la gestion des carrières, etc. Mais selon le rapport, par ces seules réorganisations sur une trajectoire de 2 ou 3 ans et en adoptant une approche "très volontariste", on pourrait seulement parvenir à des économies à hauteur de 540 millions d'euros. 

La mission prône par ailleurs un certain nombre de réorganisations, tout en reconnaissant que celles-ci n'engendreront pas nécessairement des économies à court terme. Dans le champ de la formation, elle suggère de fusionner l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) - qui dépend du ministère du Travail - et les groupements d’établissements publics locaux d’enseignement (Greta) - lesquels sont adossés au ministère de l’Éducation nationale. Leurs objectifs sont "comparables : favoriser la montée en compétences des actifs".

Les sénateurs préconisent en outre les "réinternalisations" au sein des ministères des activités de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et de l'Agence Bio. Les deux structures seraient supprimées. Il serait également mis fin à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), ses effectifs étant transférés vers l'Agence de services et de paiement (ASP) et les services de l'État. Accusée de compliquer les circuits de financement du sport, l’Agence nationale du sport (ANS) connaîtrait le même sort, ses actions devant être maintenues dans le ministère chargé des Sports et l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Inseo). Les crédits gérés par l’ANS seraient quant à eux transférés "vers les dotations attribuées aux collectivités territoriales". Le Conservatoire du littoral toucherait lui aussi à sa fin avec un transfert de ses attributions et personnels à l'Office français de la biodiversité (OFB).

"Coup dur porté à l'ingénierie territoriale"

Un autre transfert prôné par le Sénat : celui des activités de financement de la formation professionnelle de France compétences vers la Caisse des Dépôts, opérateur et financeur du compte personnel de formation (CPF). Mais France compétences subsisterait pour s'occuper de la régulation, de la certification et du contrôle de la formation professionnelle. L’Ademe serait également maintenue, mais "dans un format très restreint". En particulier, elle ne verserait "plus aucune aide".

En revanche, l'Agence nationale de renouvellement urbain (Anru) disparaîtrait au terme de la réalisation du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) lancé en 2014. La gestion de l’achèvement des programmes serait transférée progressivement aux services des préfectures. "La prolongation" de cette agence au-delà du NPNRU "ne relève pas d’une utilité évidente", justifie la mission. "Supprimer l’agence qui a conduit avec succès" une politique de renouvellement urbain "reconnue et attendue" serait "un non-sens", réagissent l'Union sociale pour l'habitat (USH) et Ville & Banlieue dans un communiqué.

"La suppression de l’Anah, de l’Anru, de l’Ademe et de l’ANCT, sans aucune étude d’impact préalable (…) serait un nouveau coup dur porté à l'ingénierie territoriale des petites villes et des communes rurales", critique de son côté l'APVF. Qui appelle à "éviter les coupes aveugles dont les conséquences seront particulièrement préjudiciables pour les collectivités les plus fragiles".

Après la réorganisation des agences de l'État, certaines compétences pourraient être transférées aux collectivités locales, en veillant à ce que celles-ci aient les moyens de les exercer, suggèrent les sénateurs. Car, selon le rapport, "l’élu local incarne de plus en plus, aux yeux des citoyens, l’acteur légitime de l’action publique de proximité".

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis