À Libourne, le gouvernement vante "la démocratie du circuit court"
Réforme de l’administration territoriale de l’État, Beauvau des polices municipales… ce 3 juillet devant les maires de villes moyennes réunis en congrès à Libourne, le ministre de l’Intérieur a fait l’éloge de la "complémentarité" entre le national et le local. Il a ainsi dévoilé les grands principes du projet de loi sur l’évolution des polices municipales qui fait l’objet des derniers réglages avec les associations d’élus. Et a indiqué qu'une révision du décret de 2004 relatif aux pouvoirs des préfets sera publiée d'ici "fin juillet". Clôturant cette première journée, son collègue François Rebsamen a lui aussi évoqué l'enjeu de la déconcentration, tout comme il est revenu sur le chantier de la simplification.

© Capture vidéo Villes de France/ Bruno Retailleau et François Rebsamen au congrès "Villes de France"
"Beaucoup d’entre vous se découragent au moment où la République et la France n’ont jamais eu autant besoin de vous." En ouverture du congrès de Villes de France qui se tient à Libourne (Gironde) ces 3 et 4 juillet, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, revendiquant son "parcours d’élu local", s’est inquiété des résultats de l’enquête du Cevipof commandée par l'Association des maires de France (AMF), publiée il y a quelques jours, attestant d’un niveau de démissions historiques chez les maires (voir notre article du 19 juin). Il y a selon lui un "paradoxe étrange et choquant" : "Jamais les Français n’ont autant plébiscité la fonction de maire, pour autant, jamais on a vu autant de maires qui se sentent découragés." Selon lui, alors que les murs du pays "se lézardent", les maires sont pris "en étau". Une "mâchoire du bas", celle de l’incivisme, de la montée des violences, des narcotrafics, des "milliards en circulation en train de gangréner nos institutions publiques et privées" et de la violence des jeunes. Et une mâchoire du haut : la "bureaucratie", accentuée par le goût pour le "gigantisme" qui s’est traduit dans "les grands cantons, les très grandes intercommunalités, les très grandes régions" lors des dernières réformes territoriales… "On a substitué la loi du nombre à la loi des hommes", a-t-il fustigé, vantant au contraire les valeurs de "la proximité" et de "la démocratie du circuit court".
Le préfet "patron de l’ensemble des services de l’État"
Pour mettre de l’huile dans les rouages, le gouvernement compte réformer l’administration territoriale de l’État en donnant plus de pouvoir au préfet de département, a-t-il rappelé. "Le bon niveau de territorialisation de l’État, ce n’est pas région, c’est le département", a martelé celui qui, dans le passé, a été à la fois président du conseil général de Vendée et président de la région Pays de la Loire. Une révision du décret de 2004 relatif aux pouvoirs des préfets sera publiée d'ici "fin juillet", a-t-il fait savoir ; elle fera du préfet de département "le patron de l’ensemble des services de l’État". "Le préfet, avec des pouvoirs de dérogation assez larges, sera celui qui pourra le mieux adapter la norme nationale à la situation locale (…). Il aura enfin la main et l’autorité sur un certain nombre d’administrations régionales ou même départementales", a-t-il développé.
Ces pouvoirs renforcés du "corps préfectoral" ont également été évoqués par François Rebsamen, le ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation, invité à clore cette première journée de congrès au terme de trois tables-rondes consacrées à la sécurité, à l'autonomie budgétaire des collectivités et à la transition écologique et énergétique dans les villes moyennes. Cette réforme, "c'est moi qui l'ai proposée", a-t-il d'ailleurs glissé, jugeant essentiel que le préfet de département ne soit pas "un simple délégué". Il s'agit, a-t-il lui aussi développé, que le préfet ait la main sur un certain nombre d'administrations régionales et départementales. "Y compris les Dasen" (Education nationale), avait précisé à dessein Bruno Retailleau. François Rebsamen a de même mentionné "les ARS, la culture" ou l'environnement - sans oublier "les opérateurs de l'Etat". "Aujourd'hui, un directeur régional de l'Ademe est plus connu qu'un ministre, c'est lui qui décide des aides financières, sans même que le préfet en soit informé", a-t-il illustré.
Boîte à outils
Après avoir reçu les associations d’élus le 2 juillet, Bruno Retailleau en est venu au Beauvau des polices municipales qui suscite de fortes attentes chez les maires. Celui-ci va se traduire dans un projet de loi qui reposera sur deux principes : la "liberté" - "la police municipale doit rester la police du maire" - et la "complémentarité" - "la police municipale n’est pas là pour maintenir l’ordre".
Le projet de loi en cours de finalisation comportera bien des nouvelles prérogatives, mais sans obligation. "Il y aura une boîte à outils" dans laquelle les maires pourront puiser, a-t-il indiqué, avant d’insister : "On va aller très loin, on ne créera pas d’officier de police municipal judiciaire, mais on va modifier l’article 15 du code de procédure pénale" afin de permettre aux policiers municipaux de constater une "dizaine de délits" et d’"infliger des amendes forfaitaires délictuelles", "d’utiliser vraiment les brigades canines" ; ils pourront consulter "y compris en nomadisme", un certain nombre de fichiers "qui sont utiles" et auront "des accès de façon très encadrée" à des outils tels que les drones, sachant qu'à deux reprises le Conseil constitutionnel a retoqué leur utilisation par les polices municipales (voir nos article du 21 mai 2021 et du 21 janvier 2022). "C’est tous ensemble que l’on pourra faire reculer la délinquance", a-t-il martelé, s’inquiétant tout particulièrement de son rajeunissement. "Il faudra qu’un jour on consente à mettre la responsabilité des familles en cause", a-t-il dit, en référence à l’article 227-17 du code pénal, récemment modifié par la loi "Attal" visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents. Ce délit de "soustraction" des parents à leurs responsabilités est rarement mis en pratique. "Seules 212 condamnations sur le fondement [de cet article] ont été prononcées en 2023, un chiffre certes en hausse de 14% sur un an mais demeurant incontestablement faible compte tenu de son champ d'application", constatait le rapporteur du texte, le sénateur Francis Szpiner.
Les précisions apportées par le ministre, en particulier l’idée de "boîte à outils", que les maires seront "maîtres d’actionner ou pas" répond à leurs attentes, a commenté dans la foulée de son intervention le président de Villes de France, Gil Avérous, sur le plateau de "Paroles d’élus".
La veille, au Sénat, Bruno Retailleau avait par ailleurs indiqué que le projet de loi comporterait une disposition visant à conférer à la région une compétence en matière de sécurité (voir notre article du jour).
Le chantier de la simplification ne fait que commencer
François Rebsamen a pour sa part mis l'accent sur un autre texte de loi en devenir, la proposition sur le statut de l'élu local adoptée en commission à l'Assemblée le 18 juin (voir notre article) et devant arriver en séance dès mardi. Un texte "très attendu", répondant à la nécessité d'"avoir des élus protégés", a-t-il répété, mettant en avant deux enjeux phares : la protection fonctionnelle et les conflits d'intérêt public-public. Sans oublier le simple fait que "le statut de l'élu figurera enfin dans le code général des collectivités territoriales".
Le ministre est naturellement aussi revenu sur le chantier de simplification qu'il a ouvert avec le "Roquelaure de la simplification" du 28 avril (voir notre article), confirmant comme il l'avait fait la semaine dernière auprès de la presse (voir notre article) qu'au-delà des dispositions déjà décidées ou proposées, "les mesures de simplification, on va les poursuivre dans tous les domaines". La série de "Roquelaure décentralisés" qu'il compte organiser sur le modèle de celui qui a eu lieu le 18 juin à Bordeaux permettra de "faire remonter les propositions du terrain". L'idée étant toujours, a-t-il résumé, de libérer les collectivités des "contraintes et lourdeurs administratives incroyables" qui pèsent sur elles, de "redonner du pouvoir aux élus". "Certes, la liberté, parfois, les élus n'en veulent pas trop", a-t-il ironisé, en écho à sa proposition ne rendre facultative la création d'un centre communal d'action sociale (CCAS)... proposition à laquelle le gouvernement a finalement renoncé face à la fronde orchestrée par l'Unccas (voir notre article).
Le ministre a brièvement évoqué le programme Action coeur de ville (ACV), pour mettre en avant les financements importants "que l'Etat a mis pour aider les villes"... mais sans confirmer en revanche le lancement d'un "ACV 3" attendu par les élus de Villes de France. Cette confirmation aurait sans doute due être faite ce vendredi 4 juillet par le Premier ministre. François Bayrou était en effet attendu à Libourne pour clore ce congrès. Or l'association représentant les villes moyennes a appris que le chef du gouvernement ne ferait finalement pas le déplacement. Ce qu'elle a "vivement" regretté, voyant dans cette absence une "marque de désintérêt" qui "prive les élus d'un échange direct indispensable sur les attentes et les besoins concrets des collectivités, notamment en matière de financement et de cadre d'action pour les années à venir".
Sur la question des financements, alors que les annonces budgétaires de François Bayrou sont attendues pour le 15 juillet, François Rebsamen n'a pu qu'assurer qu'il se "battra" pour que le soutien de l'Etat à l'investissement des collectivités soit préservé, y compris à travers le Fonds vert. Et a indiqué qu'une "conférence financière des collectivités" aura lieu en septembre avant la présentation du projet de loi de financer afin d'"affiner" les dispositions relatives aux finances locales.