Archéologie préventive : Amiens métropole et l'État main dans la main
Amiens métropole est devenue l'une des rares collectivités françaises à avoir signé avec l'État une convention-cadre dans le cadre de son habilitation en matière d'archéologie préventive. Une façon de montrer son savoir-faire sur un territoire riche en vestiges.
© Pierre Savreux
C'est assez rare pour être signalé : en octobre dernier, l’État, par l'intermédiaire de la Drac (direction régionale des affaires culturelles) des Hauts-de-France, et Amiens métropole signaient une convention de partenariat renforcé en matière d'archéologie. Cette convention-cadre est prévue par la loi LCAP (liberté de création, architecture et patrimoine) de 2016 qui dispose que le dossier d'habilitation d'une collectivité territoriale pour les opérations d'archéologie préventive comprend un projet de convention avec l'État fixant les modalités de sa participation à l'exploitation scientifique des opérations et pouvant aussi traiter d'autres sujets. Pourtant, la plupart des projets de convention restent lettre morte et n'aboutissent que rarement à une signature.
Amiens métropole a été habilitée en 2021 à intervenir pour les diagnostics et fouilles préventives sur les périodes allant des Âges des métaux à l'époque moderne, soit près de quatre mille ans d'histoire humaine. Créé en 2009, son service archéologique évolue sur un territoire particulièrement fertile puisqu'on compte parmi ses découvertes récentes un cimetière du Bas-Empire romain, des vestiges d’occupations protohistoriques ou encore les traces d’une nécropole gauloise.
Mieux accompagner les aménageurs
Outre son savoir-faire reconnu, le service archéologique d'Amiens métropole se caractérise par son rattachement direct à la direction maîtrise d'ouvrage/urbanisme de la collectivité. Cette particularité a été décisive dans le choix de formaliser un partenariat avec l'État. "L'idée à la création du service était de l'intégrer en amont des projets d'aménagement pour éviter les possibles ralentissements ou délais supplémentaires qu'occasionne tout ce qui relève du diagnostic et de la fouille préventive, confie Richard Jonvel, chef du service archéologie d'Amiens métropole. L'intérêt numéro un de la convention est donc de mieux appréhender cette phase préparatoire avec le service régional de l'archéologie de la Drac, de fluidifier et de sécuriser au mieux les projets le plus en amont possible pour accompagner les aménageurs publics ou privés."
Parmi les aspects de ce travail en amont, figure la constitution de la carte archéologique du territoire, qui permet notamment de mieux documenter et de pérenniser les connaissances acquises grâce aux fouilles, et se matérialise à travers des systèmes d'information géographique. "Normalement, c'est une compétence du service régional d'archéologie, qui documente la carte archéologique à l'échelle nationale, explique Richard Jonvel. Mais à l'échelle locale, un service en collectivité a une plus grande réactivité et une meilleure connaissance du territoire qu'un service de l'État. Sur Amiens métropole, il n'y a qu'un seul agent de la Drac dédié alors que nous sommes une équipe d'une quinzaine de personnes. Résultat, on alimente la carte archéologique en partenariat avec l'État, grâce à des transferts de données et la convention nous permet de débloquer ces échanges."
Organiser l'échange des données
La convention structure ainsi une coopération qui vise à répondre aux engagements de la collectivité dans le cadre de son habilitation. "Elle encadre mieux le contrôle scientifique et technique et permet de mettre en œuvre des actions plus étroites", confirme Alexandre Audebert, conservateur régional de l'archéologie adjoint à la Drac des Hauts-de-France. Ce dernier cite également la carte archéologique nationale tenue par l'État, qui peut être complétée avec le concours des collectivités : "Avec Amiens métropole, on va plus loin en organisant l'échange de données sur le long terme. Nous sommes ainsi liés au-delà des personnes. De plus, chaque opérateur ayant sa façon de travailler, il y a des doublons dans certains domaines que notre convention permettra d'éviter."
Dans le cadre de l'archéologie préventive, si le diagnostic relève obligatoirement du service public, par le biais de l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) ou d'une collectivité habilitée, les fouilles peuvent être confiées à des opérateurs privés. Là encore, la convention signée apporte des garanties. "Elle permet qu'il n'y ait pas de concurrence déloyale sur les échanges de données, notamment vis-à-vis d'opérateurs privés. C'est un point important qui sécurise juridiquement tout le monde, que ce soit la Drac ou la collectivité", assure Richard Jonvel.
Amplifier publications et médiation
Mais la convention déborde largement le cadre du contrôle. D'abord en matière de recherche, en appuyant l'engagement de la collectivité à publier régulièrement – à raison de deux publications par an au moins – les résultats de terrain. "On pourrait très bien se satisfaire d'enchaîner les opérations archéologiques en communiquant un minima, en publiant peu, justifie Richard Jonvel. Or l'État ne souhaite pas avoir des collectivités qui ressemblent à des entreprises privées, enchaînant les opérations pour des questions de trésorerie. L'idée est vraiment de montrer que la collectivité s'est engagée dans un cycle de publications." En la matière, Amiens et sa campagne, le fleuve Somme, canalisé depuis l'époque antique, ou le château de Boves, figure majeure pour comprendre l'origine et l'évolution des châteaux médiévaux en Europe, qui fait l'objet d'une fouille programmée depuis 1996, sont dans le viseur de la convention et feront l'objet d'articles dans des revues régionales et nationales.
Autre aspect plus éloigné du terrain : la médiation. Amiens métropole menait déjà des actions culturelles et patrimoniales tournées vers le grand public, les touristes et les scolaires, que ce soit dans le cadre de l'EAC (éducation artistique et culturelle) ou de résidences d'archéologues au sein de certains établissements. Ces actions vont être amplifiées grâce à la convention et les liens avec différents acteurs patrimoniaux du territoire seront renforcés. "Amiens a été largement reconstruite à la suite des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, mais ce n'est pas forcément perceptible, pointe Richard Jonvel, Nous allons donc donner aux habitants l'envie de mieux comprendre leur ville, qui a perdu une bonne partie de son patrimoine. L'engagement de la collectivité a aussi été motivé par le fait de pouvoir renforcer l'identité du territoire à travers l'archéologie."
Penser l'avenir
Enfin, la convention permet de donner une certaine stabilité et une perspective au service archéologie d'Amiens métropole, actuellement en pleine réflexion sur son évolution. "L'archéologie, notamment préventive, est en train de connaître des changements profonds dans sa doctrine en raison de la loi Elan [sur l'aménagement du territoire, ndlr] ou de la récente loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles, conclut Richard Jonvel. Cela est en train de modifier énormément la consommation de terrains. Petit à petit, les recherches archéologiques se reportent sur les centres-bourgs, les centres-villes, ce qui change profondément nos méthodes d'action, les fouilles urbaines n'ayant strictement rien à voir avec des fouilles rurales. C'est beaucoup plus complexe et on intervient en terrain pollué." Si cette perspective se confirme, elle pourra trouver sa place dans la convention qui, dans cinq ans, devrait faire suite à l'actuelle.