Cédric Vial : "Le prochain ministre de l'Éducation nationale doit faire appliquer la loi sur la rémunération des AESH"
Plus d'un an après l'adoption de la loi du 27 mai 2024 obligeant l'État à prendre en charge la rémunération des AESH (assistants d'élèves en situation de handicap) durant la pause méridienne, son application se heurte toujours à des difficultés. Cédric Vial, sénateur de la Savoie et auteur du texte, revient sur l'origine de la loi et sur les blocages persistants au sein du ministère de l'Éducation nationale.

© Droits réservés/ Cédric Vial, Sénateur de la Savoie
Localtis : Dans quelles circonstances avez-vous été amené à proposer une loi pour confier à l'État la charge de la rémunération des AESH durant la pause méridienne ?
Cédric Vial : En 2005, la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées entend permettre à chaque enfant d'avoir une scolarité en milieu ordinaire et d'être rattaché à l'établissement le plus proche de chez lui. C'est une étape qui permet des mesures de compensation et d'accessibilité. En 2013, la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République dit que c'est à l'école de s'adapter à l'élève et non l'inverse. C'est à partir de ce moment que l'accompagnement d'enfants en situation de handicap par des AESH, soit une mesure de compensation, s'accélère. Cette loi dit aussi que tout ce qui concourt à l'inclusion de l'enfant en situation de handicap est de la responsabilité de l'État. Manger à la cantine concourt à une scolarité normale et donc l'État a mis en place cet accompagnement sur le temps de la cantine.
Cette organisation va pourtant basculer...
Tout se passait très bien jusqu'à une décision du Conseil d'État de novembre 2020 qui a tout inversé. Elle dit que le temps méridien est un temps de la compétence des collectivités territoriales et que c'est donc à elles de le prendre en charge. Cette décision met un peu de temps à se mettre en place, et à partir de 2022, 2023, selon les territoires, l'État demande aux collectivités de prendre le relais.
Comment en venez-vous à vous occuper de ce dossier ?
En 2023, je mène une mission flash sur les modalités de gestion des AESH au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Nous pointons alors les problèmes que pose la décision du Conseil d'État. Il y a des enfants qui ne sont plus accompagnés, les collectivités n'ont pas les moyens de savoir qui a ou non besoin de cet accompagnement, on est obligé de faire deux contrats pour les agents avec des conditions de travail parfois différentes. Avec un seul employeur, vous avez une pause pour manger, mais avec deux employeurs, la notion de pause disparaît. Pour certains enfants qui ont des troubles autistiques, on change encore l'adulte référent, c'est une violence supplémentaire qu'on leur inflige. Cela pose également des problèmes dans les établissements privés qui n'ont pas la capacité d'embaucher des AESH sur le temps méridien car ils ne peuvent pas utiliser le forfait scolaire pour payer du temps périscolaire et ne peuvent financer qu'en augmentant le prix de la cantine pour tous les enfants. Les écoles privées ne prenaient donc plus d'enfants en situation de handicap. La situation était intenable et non conforme à l'esprit de la loi qui prévalait depuis 2005.
L'État a-t-il mis en place une compensation financière en faveur des collectivités après la décision du Conseil d'État ?
Non aucune. Pour l'État, il ne s'agit pas alors d'un transfert de compétence mais d'une décision de justice qui dit que la compétence a toujours été celle des collectivités et qu'il leur revient donc de l'exercer. C'est un vrai problème d'interprétation de la part du Conseil d'État. En l'occurrence, un parent d'élève d'une école privée avait attaqué le ministère qui avait refusé de prendre en charge son enfant, or le Conseil d'État juge avec les moyens développés devant lui. Il s'est retrouvé avec, d'un côté, le gouvernement, de l'autre, un père de famille qui n'avait pas forcément tous les arguments pour se défendre. C'étaient donc les arguments du père de famille contre les arguments du ministère, lequel a, par son mémoire, orienté la décision dans le sens qu'il souhaitait pour faire des économies.
Dans le rapport de votre mission flash, vous préconisez de revenir en arrière et de confier de nouveau à l'État la rémunération des AESH durant la pause méridienne, puis vous enchaînez avec une proposition de loi...
Oui, elle a été adoptée en mai 2024 avec le soutien de Gabriel Attal, à l'époque ministre de l'Éducation nationale puis Premier ministre. J'ai en partie convaincu le ministère en disant que si l'on poussait le raisonnement du Conseil d'État, les Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) devraient être payés par l'Éducation nationale. En effet, si la compétence dépend du temps sur lequel elle s'exerce, les Atsem aujourd'hui payés par les collectivités exercent bien leur travail sur du temps scolaire. En ce qui concerne la pause méridienne, la compétence de la collectivité n'est pas celle du temps mais de la gestion de la cantine, elle doit faire manger les enfants. En revanche, l'accompagnement du handicap est bien une compétence de l'État qui s'exerce aussi bien sur le temps méridien que sur le temps scolaire, justement pour lui permettre d'être scolarisé.
Comment la loi est-elle appliquée à partir de la rentrée de septembre 2024 ?
Elle est mal appliquée et pas partout. Je suis très en colère car on savait depuis le discours de politique générale de Gabriel Attal, en janvier 2024, que la loi serait adoptée, et j'avais bien dit au ministère qu'il devait se préparer et s'organiser. Or rien n'a été fait, aucune consigne n'a été donnée. Le 24 juillet 2024, au moment où il n'y a plus personne dans les écoles, le ministère émet une circulaire. Quand on publie une circulaire le 24 juillet, c'est qu'on n'a pas envie qu'elle soit lue. Et cette circulaire vient complexifier la mise en œuvre avec une obligation de créer une convention cadre puis des conventions spécifiques, elle fait huit pages ! On sentait que c'était le Dgesco (directeur général de l'enseignement scolaire) de l'époque, à l'origine de la décision du Conseil d'État et qui a tout fait pour que la loi ne soit pas adoptée, qui mettait des freins. Dans une démocratie, c'est le politique qui décide, mais là, la loi n'est pas appliquée par endroits, pas de manière aussi évidente qu'avant. Et alors que ça marchait très bien avant, après un arrêt de deux ans, ils ne savent plus faire, ils n'y arrivent plus ! J'ai beaucoup râlé. Mon boulot depuis mai 2024, c'est de veiller à ce que la loi s'applique et qu'elle s'applique complètement. J'ai même fait adopter 32 millions supplémentaires au PLF (projet de loi de finances) 2025 que le gouvernement a retirés en disant que ce n'était pas un problème de moyens. C'est bien un problème d'organisation, ainsi qu'une crainte du ministère de voir les collectivités se servir des AESH pour faire le service ou la surveillance à la cantine.
Combien d'AESH et d'enfants sont concernés par la loi ?
On a calculé avec la Dgesco que 8 à 10% des enfants qui ont un AESH sur le temps scolaire en ont aussi besoin lors de la pause méridienne. Cela représente 1.200 équivalents temps plein (ETP). Le ministère donnait des consignes pour mettre en place des accompagnements collectifs, soit un AESH pour plusieurs enfants dès que c'est possible. On s'est donc retrouvé avec 870 ETP. Autrement dit, si 70% des enfants qui en avaient besoin ont été accompagnés, 30%, soit environ six mille enfant, ne l'étaient pas. Et pendant plusieurs mois, ce sont les collectivités qui ont continué à mettre en place les AESH et ont continué à les payer sans jamais avoir la perspective de se faire rembourser. L'an dernier, les collectivités ont donc continué à pallier les carences de l'État.
La circulaire de juillet 2024 a finalement été abrogée et le ministère a pris un décret en février 2025 pour clarifier les missions des AESH. Où en est-on depuis ?
J'ai eu énormément de contacts qui m'ont dit : si la circulaire est abrogée, la loi ne s'applique plus. Pas du tout ! On n'a jamais eu besoin de cette circulaire pour appliquer la loi. Par ailleurs, des Dasen (directeurs académiques des services de l'Éducation nationale) et des recteurs ont eu la bonne idée de créer des circulaires départementales ou régionales. On se retrouve avec des territoires qui ont inventé leurs propres règles pour venir complexifier la mise en œuvre et recréer le besoin de déclarations, de conventions, de dossiers supplémentaires, etc. Je me bats contre ça aujourd'hui. Malheureusement, on change beaucoup d'interlocuteurs et on va peut-être en rechanger ce soir [notre entretien a eu lieu le 8 septembre, ndlr]. L'un des objectifs est de dire : ne venez pas recréer de la complexité là où on vient de simplifier les choses. J'avais encore un contact ce matin avec un rectorat qui dit aux communes qu'il mettra en œuvre la loi selon les moyens et les ressources humaines disponibles. Il écrit clairement qu'on n'appliquera pas forcément la loi ! Je connais des cas où il manque des AESH mais où il y a des volontaires pour accompagner les enfants le midi. Seulement, la doctrine du rectorat est de dire qu'on n'embauche personne juste pour ce temps, et que sans AESH dans le secteur qui veulent faire le temps de midi, il n'y aura personne sur ce temps, qu'on ne fait pas de contrat sur moins d'un mi-temps, ce qui est une règle pour un fonctionnaire, mais pas pour un AESH, qui est contractuel. C'est un peu un sport national au ministère de considérer que la loi fixe des objectifs et non des obligations. Un cadre chargé de l'application de l'école inclusive m'a encore affirmé récemment que la loi permettait à l'Éducation nationale la prise en charge. Non, elle oblige ! La ministre actuelle Élisabeth Borne est pleine de qualités, mais elle ne connaît pas la maison. Et parce que son administration lui dit que ça marche comme ça, elle pense que ça marche comme ça.
Faut-il que le prochain ministre tape du poing sur la table ?
Bien sûr ! Et qu'il veille à ce que ça se fasse. J'ai un recteur ultra motivé à qui je dis que ça ne marche pas. Il tombe de sa chaise quand je lui montre les directives que ses propres services ont données. Il faut qu'ils fassent leur boulot, tous. Ils sont dans le discours, mais derrière, ils ne tiennent pas la maison. J'espère que malgré les changements politiques, on aura une volonté de faire en sorte que ça marche, et que ça marche de mieux en mieux. Il peut y avoir un temps de mise en œuvre, je l'ai dit aux collectivités qui ont dû faire face et demandent aujourd'hui à se faire rembourser : si la loi s'applique maintenant et que l'État fait son boulot, on passe l'éponge. Mais s'il ne fait pas son boulot, on demandera à ce qu'il soit condamné à rembourser les collectivités.