Congrès des maires – Finances du bloc communal : derrière la progression de l'investissement, une situation en voie de dégradation
La situation du bloc communal n'est pas aussi saine que Bercy l'affirme, ont souligné les dirigeants de l'Association des maires de France (AMF), lors d'une conférence de presse organisée dans le cadre de son congrès annuel qui s'est ouvert ce 18 novembre. Il existe des "signaux d'alerte", ont-ils pointé, demandant l'annulation totale des ponctions prévues dans le projet de budget pour 2026. Ces coupes massives creuseraient le besoin de financement des communes et de leurs groupements, en contradiction avec l'objectif de réduction du déficit public, met en évidence une étude de la Banque postale, présentée à cette occasion.
© Aurélie Roudaut/Thomas Rougier, Luc Alain Vervisch, Emmanuel Sallaberry et Antoine Homé
La hausse continue de leurs investissements ces dernières années masque des fragilités de plus en plus nettes parmi les communes et les intercommunalités, ont alerté ce 18 novembre des responsables de l'Association des maires de France (AMF), au premier jour de leur 107e congrès.
Des constats étayés par une étude présentée à la presse par Thomas Rougier, secrétaire général de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). Entre le début du mandat actuel et la fin de cette année, l'investissement du bloc communal devrait enregistrer 19 milliards d'euros de dépenses supplémentaires (+10%) par rapport aux cinq premières années du mandat précédent (2014-2019) et cela "à prix comparables" (donc hors effet prix). Une belle performance rendue possible par une croissance en apparence forte de l'épargne brute du "bloc communal" – la ressource interne à la collectivité, qui permet de financer ses investissements - mais qu'il convient de relativiser, selon l'expert. En effet, ces marges de manœuvre supplémentaires étaient nécessaires au financement de la hausse rapide des prix des dépenses d'équipement (+ 18% entre 2018 et 2024).
Le levier de l'endettement
En 2024, l'épargne brute des communes et de leurs groupements a connu un "essoufflement" dans son ensemble, a pointé par ailleurs le secrétaire général de l'OFGL, qui est adossé au Comité des finances locales. Selon lui, il faut surtout prêter attention aux situations individuelles : l'an dernier, 5.177 communes ont connu une épargne nette – épargne brute après remboursement du capital de la dette – négative. Soit 740 de plus qu'en 2023. C'est un vrai "signal", en l'occurrence "d'alerte".
Pour autant, l'encours de dette est demeuré modéré ces dernières années : ce dernier a connu une croissance annuelle de 0,7% (hors Paris) entre fin 2019 et 2024. Ce qui offre au bloc communal des marges de manœuvre durant le prochain mandat, si les élus qui seront désignés l'an prochain souhaitent augmenter les investissements, notamment en matière de transition écologique. Un scénario que la direction des études de la Banque postale a étudié en détail.
Dans des travaux prospectifs qu'elle a exposés lors de la même conférence de presse, les spécialistes ont retenu l'hypothèse d'une augmentation des investissements de 10 milliards d'euros. Ces dépenses supplémentaires en faveur du climat sont financées par un recours accru à l'emprunt : 28 milliards d'euros en 2030, soit 8 milliards d'euros de plus que dans un scénario "tendanciel" en phase avec le cycle électoral et ne tenant pas compte des contraintes prévues dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Dans le scénario "climat", le délai de désendettement du bloc communal grimperait de deux points pour atteindre 6,7 années. "C'est tout à fait supportable", estime Luc-Alain Vervisch, le directeur des études et de la recherche de l'établissement bancaire. Il évalue en outre à 0,5 point de PIB le besoin de financement annuel du bloc communal à partir de 2028 (contre 0,3 point dans le cas du scénario dit tendanciel).
Projet de budget "meurtrier" pour les intercommunalités
Mais l'on sait qu'avant le début de l'examen par le Sénat du projet de loi de finances pour 2026 s'imposent aux collectivités, pour l'an prochain, des ponctions estimées à 4,6 milliards d'euros par le gouvernement et à 7,5 milliards par les élus locaux. Des coupes budgétaires qui modifient la trajectoire des finances locales pour les prochaines années. En effet, l'épargne brute du bloc communal est attendue en réduction de 3 milliards d'euros par rapport au scénario "tendanciel" et les années suivantes, l'écart devrait se creuser. L'emprunt servirait de relais pour financer la poursuite des investissements : le délai de désendettement grimperait donc d'environ deux années supplémentaires. Quant au besoin de financement du bloc communal, il s'élèverait à environ 0,4 point de PIB.
Les scénarios "climat" et "PLF" ont globalement "à peu près les mêmes conséquences" en ce qui concerne le recours à l'emprunt, observe Luc-Alain Vervisch, en apportant des nuances. Ainsi, "le pourcentage de communes en situation de fragilité augmente un peu plus dans le cas du scénario 'climat'". Mais le "scénario 'PLF' est plus meurtrier pour les grands groupements (communautés urbaines et métropoles), car l'effort qui leur est demandé est proportionnellement plus important qu'il ne l'est pour les communes".
"Point de rupture"
Un point de taille différencie en outre les deux scénarios : le niveau des investissements. Ceux-ci sont "ambitieux" dans le cas d'une accélération des investissements favorables à la transition écologique.
Mais les ponctions qui seront inscrites dans le projet de budget pourraient être moindres que prévu. La majorité au Sénat semble vouloir ramener celles-ci à 2 milliards d'euros, soit le niveau atteint dans la loi de finances pour 2025. Un effort qui serait un moindre mal, considère l'AMF. Mais ses responsables ne seront cependant satisfaits que si l'ensemble des ponctions sont "annulées".
Ces derniers veulent être entendus à l'occasion de ce congrès qui sera clôturé par le Premier ministre. "Si 7,5 milliards d'euros de ponctions étaient maintenus, nous serions à la rupture", prévient André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF. L'enjeu n'est pas mince, abonde Antoine Homé, président de la commission finances de l'association. Il en va du "maintien des services publics locaux que les habitants fréquentent. Ce ne sont pas nos moyens propres en tant que maires !". Le sujet est grave, poursuit Emmanuel Sallaberry : "on ne mesure pas la colère et la désespérance des maires aujourd'hui" et cette situation "se verra sur le nombre de candidats qui se présenteront [aux élections municipales de 2026] notamment dans les petites communes", redoute-t-il.