Crise du logement : les géomètres-experts entrent dans l’arène

Réunis le 2 juillet au Mans pour leurs universités d’été, aux côtés d’autres acteurs du logement, les géomètres-experts ont dressé un constat sans appel sur la crise, jugée aussi urgente qu’oubliée par les pouvoirs publics. Face à une situation devenue intenable, les acteurs appellent à une réponse politique forte, à des assouplissements réglementaires, et à une refonte en profondeur des pratiques d’aménagement et de construction. L'ordre des géomètres-experts a transmis au ministère du Logement douze propositions relatives à la sobriété foncière.

Les universités d'été des géomètres-experts, organisées le 2 juillet au Mans (Sarthe), ont été le théâtre d'un débat passionné autour de la crise du logement, qualifiée tantôt de porteuse (pour les réflexions et les évolutions qu’elle oblige), tantôt d’anxiogène compte tenu de la crise sociale. Loin de se contenter d'un diagnostic alarmant, les acteurs de la filière – des promoteurs aux bailleurs sociaux, en passant par les géomètres-experts et la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) – ont uni leurs voix pour exiger une mobilisation nationale.

Leur constat est sans appel : malgré son caractère de première nécessité, le logement a longtemps été délaissé dans le débat public. "Après manger, il faut se loger, a rappelé Séverine Vernet, présidente du conseil de l’Ordre des géomètres-experts. Il y a quand même quelque chose d’un peu perturbant : le constat est flagrant chez tous les acteurs du logement, mais il n’est pas suffisamment pris en compte. D’ailleurs, Madame Létard ou l’un de ses représentants devait être présent aujourd’hui à nos côtés. Nous comptions sur leur vision, qui aurait intéressé à la fois les participants et les personnes dans la salle. Le ministère a renoncé il y a deux jours."

La tenue du débat du 2 juillet tenait à la fonction même du géomètre expert, dont la légitimité est intrinsèque. “Il n'y a pas d'opération d'aménagement qui ne passe pas par un géomètre expert. Il y a toujours un géomètre expert en amont de tous les projets de construction ou de rénovation. Le sujet de la crise du logement nous impacte. Nous nous sentons concernés et voulons participer au débat.” L'Ordre des géomètres-experts mettra d’ailleurs prochainement en place une "mission Habitat Logement" pour développer “une parole structurée, documentée et force de proposition".

Entre contrainte et révolution foncière

L'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) a été au centre des discussions. Malgré les "coups de boutoir" et les remises en question, l'Ordre des géomètres-experts maintient le cap : pour eux, le ZAN n'est pas qu'une contrainte, mais l'opportunité de "transformer cette trajectoire de sobriété foncière en un levier de production". Cela passe par le recyclage du foncier existant, la recomposition des espaces et une réflexion approfondie sur la densification urbaine. Les géomètres-experts ont ainsi transmis 12 propositions au ministère du Logement pour faciliter la mise en œuvre du ZAN. Parmi les propositions majeures : définir juridiquement le sol pour renforcer la prise en compte de sa valeur écologique, sociale et économique ; intégrer un diagnostic des sols dans les documents d’urbanisme, pour mieux anticiper les évolutions du territoire ; créer une AFU (association foncière urbaine) de compensation environnementale multisite, pour densifier intelligemment les tissus urbains existants ; ou encore faciliter la surélévation et la densification douce, notamment en assouplissant les règles de majorité dans les cahiers des charges des lotissements.

Loïc Cantin, président de la Fnaim, a quant à lui vivement critiqué le ZAN, le qualifiant d'"absurdité la plus totale". "Je crois qu’il faut être réaliste quand le logement des Français ne peut plus attendre. L’urgence, c’est de construire des logements. Je crois que le ZAN est une mesure complètement décalée de la réalité et des besoins." Thierry Asselin, directeur des politiques urbaines et sociales de l'USH, adopte une position plus nuancée : selon lui, ZAN et logement ne doivent pas s'opposer, car la transition environnementale vise à "sauver tout notre habitat". Il insiste sur la "vraie nécessité de changement de pratique" et la capacité des documents d'urbanisme à "radicalement changer la destination d'un terrain".

Pour relancer la production de logement, les participants ont par ailleurs plaidé une nouvelle fois pour un assouplissement des normes de construction. "On a quand même une réglementation qui ne fait qu’évoluer, a pointé Matthieu Pecoul, président du pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment (FFB) des Pays de la Loire. Récemment, lors d’une rencontre avec nos homologues européens à Bruxelles, ils nous ont demandé comment nous faisions pour avoir autant de réglementations en plus de ce qui nous est imposé au quotidien. On fait plus blanc que blanc ! Il y a toujours une espèce de surenchère qui ne nous permet pas de maîtriser nos coûts. Le principal axe pour mieux construire à des coûts maîtrisés, c’est de lisser ce genre de réglementation technique. Il faut un assouplissement de la RE2020 et un lissage sur trois ans. Il n’y a pas une seule industrie qui lance une chaîne de production en ayant si peu de visibilité !"

Thierry Asselin a également appelé à "remettre le modèle économique du logement social en place" en revenant sur la réduction de loyer de solidarité (RLS) et en restaurant le Fonds national des aides à la pierre. "Valérie Létard a déjà œuvré pour réduire la RLS, mais le combat doit se poursuivre", a-t-il estimé.

Malgré ces solutions pragmatiques, un immobilisme législatif est pointé du doigt, la multiplicité des groupes parlementaires rendant "impossible" l'adoption de grands projets de loi, chacun y allant de son refrain. Le fameux statut du bailleur privé (voir notre article), “bien que fantastique sur le papier”, risque de se heurter à la réalité budgétaire et à une classe politique qui qualifiait, il n’y a pas si longtemps, le logement de "surdépense publique". Pour Thierry Asselin, le logement est un sport collectif : "Valérie Létard rame très fort, mais il n’est pas impossible que certains de ses collègues rament dans l’autre sens…"

 

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