Défenseure des droits : record de réclamations, preuve des fractures sociales grandissantes

Avec près de 115.000 réclamations en 2021, soit une hausse de 18,6% par rapport à 2020, la Défenseure des droits s'inquiète de "l'état de la société" et de la "fracture sociale" dont ces chiffres témoignent. A nouveau, "déshumanisation et éloignement des services publics", sont pointés du doigt par l'institution.

115.000 rien qu’en 2021 soit une hausse de 18,6% par rapport à 2020, un triste record pour l'Institution qui vient de fêter ses dix ans et de présenter mardi 5 juillet 2022 son rapport d'activité 2021. "On montre un certain état de la société, ses fractures", déclare Claire Hédon, Défenseure des droits en préambule de la conférence de presse, estimant que l'accès au droit devrait être "une boussole". "L'effectivité des droits se vérifie là où ils sont les plus fragiles", ajoute l'ancienne journaliste nommée en 2020 à la succession de Jacques Toubon. De fait, sur plus de 90.000 dossiers concernant les services publics, "l’absence de réponse, la difficulté à joindre l’agent responsable du dossier, l’impossibilité de prendre un rendez-vous, des formulaires uniquement en ligne…" étaient principalement invoqués, selon l'institution. "Pour ceux qui n'y arrivent pas, la dématérialisation forcée des services publics est une forme de maltraitance institutionnelle", dénonce Claire Hédon. L'institution s'est en effet toujours prononcée contre "le tout numérique" en matière de services publics ( notre article du 19 janvier 2019). Cette année encore, elle rappelle que "pour éviter une perte irréversible de confiance dans nos services publics, la transformation numérique doit s’accompagner du maintien d’un lien humain". D'ailleurs, le mode de saisine des délégués territoriaux par les réclamants témoigne bien du fait qu'il existe une préférence pour l'accueil physique (52,2%) suivi du courriel (23,8%), du téléphone (13,4%) et que le courrier papier est toujours une option (10,6%). 

Des prises de rendez-vous en ligne obligatoires en préfecture 

Au titre des problèmes que la dématérialisation engendre, on cite souvent cet exemple des nombreuses préfectures qui, depuis 2017, ont imposé la prise de rendez-vous en ligne obligatoire comme préalable aux demandes de renouvellement de titres d’identité, de titres de séjour, aux demandes de naturalisation, mais également aux demandes liées aux certificats d’immatriculation ou de permis de conduire. "Les nombreuses réclamations reçues et qui font état de personnes ne parvenant pas à obtenir un rendez-vous en ligne démontrent que le volume de créneaux proposés est largement insuffisant", regrette l'institution. "Ne pas pouvoir déposer sa demande engendre des situations de précarité et des ruptures de droits, comme la suspension de prestations sociales, la perte d’un emploi, d’un logement", poursuit-elle, dénonçant "les logiques de contournement, passant par des prestataires privés rémunérés, qui voient le jour alors que l’accès aux services publics est gratuit". 
La Défenseure des droits évoque également "le risque [...] de faire passer les droits "après" la capacité de l’usager à se conformer aux exigences techniques du service". Dans le rapport, sont cités les travaux de la sociologue Clara Deville, qui a reçu le prix de thèse du Défenseur des droits en 2020 pour ses travaux consacrés aux difficultés d’accès au RSA pour des personnes précaires de la région de Libourne, à qui les organismes de protection sociale imposent le recours au numérique, malgré leur déplacement en agence, pour effectuer des démarches élémentaires et vitales.

550 délégués territoriaux, 870 points d’accueil

De son côté, la Défenseure des droits fait valoir des "capacités d’écoute étoffées, avec la création de la plateforme antidiscriminations et le recrutement de nouveaux délégués territoriaux – pour en porter le nombre à 550". "A l’heure où les guichets se raréfient dans les services publics, où les bornes automatiques se multiplient, où les conseillers téléphoniques deviennent des répondeurs musicaux, la possibilité d’être écouté et pris en considération semble parfois un privilège", condamne-t-elle dans l'édito du rapport, rappelant qu'"elle est pourtant une exigence pour assurer l’égalité et la continuité du service public". A noter que les 550 délégués assurent des permanences dans plus de 870 points d’accueil. "Ils constituent un maillage territorial de proximité indispensable. Ils sont de plus en plus souvent le dernier recours pour des usagers désemparés", estime l'institution.

On notera également qu'à la suite du lancement de la nouvelle plateforme antidiscriminations.fr en février 2021, la Défenseure des droits a constaté en 2021 une hausse de 22,2% de ses saisines. "En moins de dix mois, plus de 11.000 personnes ont appelé le 3928 ou tchaté avec des juristes pour signaler des situations de discriminations", relève le rapport. Le critère de l’origine est fréquemment invoqué, arrivant en tête avec le handicap et l’état de santé. La Défenseure des droits appelle donc à une "mobilisation des pouvoirs publics pour lutter contre les discriminations, en particulier sur le critère de l’origine longtemps invisibilisé".

"Préoccupée par la santé mentale des enfants"

Particulièrement préoccupée par la santé mentale des enfants depuis la pandémie de Covid-19, la Défenseure des droits a consacré son rapport annuel 2021 sur les droits de l’enfant à cette thématique. Les nombreuses saisines traitées soulignent de manière récurrente le déficit criant de professionnels du soin et de structures adaptées, mais aussi la "difficulté pour les enfants de bénéficier d’une approche globale de leur situation". C’est pourquoi la Défenseure des droits et le Défenseur des enfants persistent à demander au gouvernement de considérer la santé mentale des enfants comme "une priorité absolue en matière de politiques publiques". Concernant les droits de l’enfant, le rapport résume que la majorité des réclamations ont porté sur "la difficulté d’accéder à un accompagnement des élèves en situation de handicap et notamment de trouver un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) malgré la validation de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ; sur des refus d’accès à la cantine en raison d’une allergie ou du handicap, et des prises en charges inadaptées de mineurs non-accompagnés logés à l'hôtel et laissés sans suivi".

80% des règlements amiables engagés aboutissent

Ces exemples donnés, l'institution conclut sur une note positive, rappelant que son "recours règle les situations de façon concrète, avec plus de 80% des règlements amiables engagés qui aboutissent favorablement". "Dans 82% des cas, les décisions des juridictions confirment les observations de l’institution", fait valoir l'institution. De plus, en 2021, 114 propositions de réformes ont été formulées dans le cadre législatif et règlementaire.