Déserts médicaux : à chacun sa proposition…

L'Assemblée nationale a bien adopté le 7 mai au soir la proposition de loi Garot régulant l'installation des médecins, contre l'avis du gouvernement. Celui-ci mise plutôt sur la proposition de loi Mouiller dont l'examen en séance devait débuter ce 12 mai au soir, cette fois au Sénat. Il pourrait profiter de ce texte sénatorial pour y insérer les mesures de son "pacte" présenté fin avril.

L'Assemblée nationale a adopté mercredi 7 mai soir en première lecture la proposition de loi Garot visant à lutter contre les "déserts médicaux", porté par un groupe transpartisan de plus de 250 députés (allant de LFI à près d'un tiers du groupe LR), contre l'avis du gouvernement et de nombreux médecins.

"Ce soir, nous avons remis un peu de République dans notre organisation collective, cette République qui doit veiller sur chacun de nous, qui que nous soyons, où que nous habitions, parce que notre santé ne peut pas dépendre de notre code postal", a déclaré le député socialiste Guillaume Garot, rapporteur de la proposition de loi, à l'issue du vote. Le texte a été adopté par 99 voix contre 9. Le Rassemblement national s'est abstenu.

Les débats à l'Assemblée ont été nourris, en particulier lors de l'examen début avril de son article-clé qui régule l'installation des médecins sur le territoire. Avant de s'installer, les médecins libéraux ou salariés devraient solliciter l'aval de l'agence régionale de santé. Il serait de droit dans une zone manquant de soignants, mais dans les territoires mieux pourvus, le médecin ne pourrait s'installer que lorsqu'un autre s'en va.

Un "indicateur territorial" tenant compte du "temps médical disponible par patient" et de "la situation démographique, sanitaire et socio-économique du territoire", servirait à flécher la régulation, qui ne concernerait potentiellement que "13% du territoire" selon ses partisans. Une "pierre angulaire de toute politique réellement efficace", insiste le groupe transpartisan.

Mais un casus belli pour beaucoup de médecins, notamment des étudiants et internes en médecine, qui ont manifesté fin avril. "Ce n'est pas la liberté d'installation qui met en péril l'accès aux soins" mais "la pénurie structurelle de médecins (et le) manque d'attractivité du secteur libéral", selon un communiqué du syndicat Jeunes Médecins lundi.

Le ministre de la Santé, Yannick Neuder (LR), tout en saluant le travail du groupe transpartisan après le vote, a rappelé sa position contre la mesure. "Si j'avais pensé que c'était le bon traitement, le bon remède à la situation, je l'aurais soutenu", a-t-il déclaré dans l'hémicycle.

Le gouvernement, avec son plan anti-déserts médicaux présenté le 25 avril par François Bayrou (voir notre article) propose pour sa part de former davantage de soignants et d'imposer aux praticiens jusqu'à deux jours par mois de consultations dans des zones prioritaires.

Le groupe transpartisan argue que régulation et augmentation du nombre de médecins doivent aller de concert. Ce texte ne "réglera pas tout (...) mais changera pour le mieux, un petit peu la vie des gens", a salué la députée écologiste Marie Pochon.

Outre la régulation de l'installation, la proposition de loi prévoit notamment de supprimer la majoration des tarifs pour les patients qui se trouvent sans médecin traitant. Elle instaure aussi le rétablissement de l'obligation pour les médecins de participer à la permanence des soins ou encore l'installation d'une première année de médecine dans chaque département.

Sénat : "une grande partie des annonces du Premier ministre figurait déjà dans notre texte"

Le texte doit maintenant poursuivre sa navette au Sénat en trouvant de la place dans le calendrier, probablement à partir de l'automne… mais en sachant que les sénateurs devaient entamer ce lundi 12 mai au soir l'examen d'une autre proposition de loi contre les pénuries de médecins dans les territoires.

Ce texte sénatorial est, lui, vu d'un bon oeil par le gouvernement qui pourrait tenter d'y introduire son plan anti-déserts médicaux. Le gouvernement a d'ailleurs activé la "procédure accélérée" afin de réduire la durée du parcours législatif.

Cette proposition de loi du sénateur LR Philippe Mouiller, qui balaye de nombreux sujets pour "améliorer l'accès aux soins dans les territoires", partage la philosophie de l'exécutif, qui rechigne à opter pour une régulation coercitive.

Les sénateurs LR proposent que dans les zones les mieux pourvues en praticiens, l'installation des généralistes soit conditionnée à leur exercice en parallèle à temps partiel dans une zone en déficit de soignants. Pour les spécialistes, un principe de "un pour un" est proposé : l'installation dans un territoire bien pourvu en praticiens serait conditionnée à un départ dans la même spécialité et sur le même territoire. Là aussi, une dérogation serait possible si le spécialiste s'engage à exercer en plus, à temps partiel, dans une zone touchée par des difficultés d'accès aux soins.

La vision du Sénat et celle du gouvernement sont-elles conciliables ? "Le Sénat entend conserver son indépendance", répond à l'AFP Philippe Mouiller. "Je constate qu'une grande partie des annonces du Premier ministre figurait déjà dans notre texte. Dès lors que les propositions complémentaires du gouvernement iront dans le bon sens pour l'accès aux soins, nous pourrons les insérer", ajoute le président de la commission des Affaires sociales, qui affirme que des échanges ont déjà eu lieu avec le gouvernement pour rapprocher les points de vue.

› Vers un statut spécifique des médecins des pompiers, après un vote du Sénat

Avant de se pencher sur la proposition de loi Mouiller, le Sénat a adopté ce lundi 12 mai un texte instaurant un statut propre pour les médecins et autres personnels de santé engagés dans le corps des sapeurs-pompiers, des acteurs méconnus du grand public et confrontés à d'importantes difficultés de recrutement.

La proposition de loi du député MoDem Jean-Carles Grelier, déjà approuvée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, a connu le même sort à la chambre haute, malgré quelques modifications effectuées par les sénateurs. Elle devra donc poursuivre sa route en seconde lecture à l'Assemblée avant de pouvoir entrer en vigueur. Son ambition : clarifier les missions des personnels de santé des sapeurs-pompiers en attribuant un statut spécifique défini par la loi à ces médecins, infirmiers, pharmaciens, vétérinaires et autres psychologues.

Intervenant tout autant auprès des victimes prises en charge qu'auprès des sapeurs-pompiers eux-mêmes, les médecins des pompiers ne peuvent, en l'état actuel du droit, cumuler plusieurs missions cruciales, parmi lesquelles la médecine préventive, les soins d'urgence et la délivrance de certificats médicaux d'aptitude. Or l'augmentation du nombre de sapeurs-pompiers, combinée à la baisse du nombre de médecins engagés dans ce corps, rend quasiment impossible, dans les faits, le recrutement de suffisamment de médecins pour assurer chacune de ces spécialités de manière autonome au sein des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis).

Ce texte vient donc assouplir ce cadre juridique en reconnaissant la polyvalence de ces personnels de santé, tout en "respectant le cadre spécifique de la médecine d'urgence qui doit être préservée", a approuvé le ministre de la Santé, Yannick Neuder. "Cette reconnaissance au niveau de la loi, dont ils ne bénéficiaient pas jusqu'alors, est salutaire", a-t-il ajouté, assurant que cette évolution législative permettrait une "meilleure articulation" entre le Samu et les pompiers, parfois source de tensions. Il a néanmoins regretté que le Sénat ait supprimé la nécessité d'une "formation adaptée" à ces médecins des pompiers, dispositif introduit par l'Assemblée nationale.

La France comptait fin 2023 un peu plus de 13.500 personnels de santé des sapeurs-pompiers, l'immense majorité engagés comme volontaires.

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis