Directive révisée Eaux résiduaires urbaines : les pistes de l’Igedd et de l’IGA pour optimiser les coûts de mise en oeuvre

Construire des approches stratégiques à plusieurs échelles emboîtées - nationale, de bassin et d’agglomération - apparaît , au terme d’un rapport inter-inspections (Igedd/IGA) publié début juin, comme la meilleure façon de mettre en œuvre la nouvelle directive relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (Deru 2) "de manière efficace et moins coûteuse, mieux portée et acceptée".

Publiée le 12 décembre 2024, la nouvelle directive relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (dite Deru 2) fixe des échéances successives de mise en oeuvre, d’ici à 2045, à une proportion croissante du parc de stations ou agglomérations d’assainissement concernées, laissant aux États membres le choix des priorités de leur programmation. Un travail inter-inspections - Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) et Inspection générale de l’administration (IGA) - a été engagé afin d’en évaluer les bénéfices et les coûts et anticiper les leviers et difficultés. Certains objectifs - réduction de la charge par temps de pluie, traitement de l’azote et du phosphore - peuvent "difficilement être chiffrés dès aujourd’hui", et nécessitent "d’être affinés avec les acteurs de la filière", dont les collectivités territoriales. Dévoilé début juin, le rapport fournit donc des ordres de grandeur "à prendre avec précaution". Mais il permet néanmoins d’établir que l’évaluation de la Commission européenne est "globalement sous-estimée". 

La Deru 2 présente en outre "une complexité forte", en introduisant des ambitions supplémentaires par rapport à la version de 1991, avec des échéances multiples, et une approche nouvelle très intégratrice et transversale. Un exemple emblématique est l’exigence concomitante de traitements des eaux usées plus poussés, consommateurs d’énergie, et d’effort de neutralité énergétique, même si c’est à l’échelle de l’ensemble du parc. Pour que la transposition et la mise en œuvre de la directive soient efficaces, elles devront donc être traitées "dans un cadre et un échéancier partagé, avec un portage politique fort et des moyens adaptés, tant humains que budgétaires", relève la mission conjointe. L’adhésion de tous, et au premier chef des collectivités, suppose ainsi une stratégie nationale adaptée, "orientant et coordonnant les stratégies des grands bassins hydrographiques, et, au niveau de chaque agglomération, l’intégration d’objectifs techniquement très diversifiés dans des stratégies globales d’assainissement alliant politiques d’urbanisme, renouvellement du patrimoine et investissements dans de nouveaux outils de traitement ou de production d’énergies renouvelables".

Verre à moitié plein 

Plusieurs des objectifs et échéances fixés par la directive "n’apparaissent pas insurmontables au regard de l’état d’équipement en France en 2024", notent les inspections. La plupart des agglomérations d’assainissement supérieures à 1.000 EH (équivalents habitants) sont déjà équipées et certaines sont déjà engagées dans des grands programmes, par exemple de réduction des rejets en temps de pluie pour en maîtriser l’impact sur l’environnement. La moitié nord de la France, classée en zone sensible à l’eutrophisation, a déjà réalisé des investissements substantiels dans le traitement de l’azote et du phosphore, ce qui constitue là aussi "un socle" pour atteindre les nouveaux objectifs. De nombreux gestionnaires ont réalisé des bilans énergétiques dans un souci de réduction des consommations, relève encore le rapport. 

L’obsolescence des systèmes de collecte est en revanche perçue comme le principal "mur d’investissement" : les taux de renouvellement du patrimoine restent encore "très modestes". Et la Deru 2 y ajoute un niveau d’ambition accru pour le traitement des eaux de pluie, alors que les objectifs nationaux "apparaissent d’ores et déjà difficiles à atteindre". Surtout, elle met en place un traitement des micropolluants, selon un périmètre (substances et polluants, zones sensibles) "encore largement indéterminé", avec des coûts d’investissement et de fonctionnement "significatifs" au regard des ceux des systèmes actuels. 

Identifier les travaux à engager au plus tôt…

De prime abord les différentes échéances de la directive, échelonnées sur environ vingt ans, paraissent lointaines. Les efforts les plus importants sont attendus pour les deux dernières échéances (2039-2040 et 2045). Mais compte tenu des études préalables nécessaires et de la durée de réalisation pour des investissements importants que sont les systèmes de collecte et les stations de traitement des eaux usées (STEU), "les délais de mise en œuvre sont courts", relève le rapport. "Certains choix doivent être faits le plus tôt possible pour donner aux acteurs impliqués la lisibilité nécessaire, à commencer par les collectivités compétentes et leurs opérateurs", insiste la mission. 

Pour ce faire, elle identifie trois principes directeurs : la priorité à l’amélioration de la qualité des milieux (c’est-à-dire les gains pour la directive cadre sur l’eau), la prise en compte des capacités et des programmations des agglomérations concernées, et, autant que possible, le lissage sur vingt ans de moyens financiers et humains qui devront être relevés (avec pour conséquence une augmentation du prix de l’eau), pour être au rendez-vous des différentes échéances de la directive. La logique de ces soutiens pourrait être variable en début et en fin de calendrier, avec une aide plus importante au début. Par exemple, par la bonification des travaux précurseurs pour la conception des plans de gestion intégrée des eaux résiduaires urbaines (PGI), la mobilisation du fonds chaleur, voire les certificats d’économie d’énergie pour l’équipement en méthaniseurs et l’accompagnement des travaux d’économies d’énergie. 

… en caractérisant le mieux possible l’état initial 

Autrement dit, en donnant les grandes lignes de la répartition de l’effort par bassin, y compris les régions ultrapériphériques (RUP), et des trajectoires différenciées pour chaque objectif, et une prise en compte distincte du traitement de l’azote et du phosphore en zones non sensibles à l’eutrophisation.

La mission recommande en premier d’établir les listes et zonages requis d’ici à fin 2027, en anticipation parfois du calendrier fixé. Elle propose d’établir un état des lieux précis, d’une part des programmes des agglomérations, et du "reste à faire" pour atteindre les objectifs de la directive, et d’autre part, des objectifs de qualité des milieux dont l’état est dépendant des rejets des eaux résiduaires urbaines. Les trois premières années, il faudra également développer certains outils : plans de gestion intégrée des eaux résiduaires urbaines, préfiguration de la filière REP impliquant les "metteurs en marché" de produits pharmaceutiques et cosmétiques (qui vont devenir des contributeurs importants à la réduction des rejets de micropolluants), fiabiliser les systèmes d’information Roseau et Sispea, etc. 

Pour l'établissement du premier programme national attendu pour fin 2027, il sera par ailleurs nécessaire de recenser rapidement les capacités techniques et financières des maitres d’ouvrages les plus importants (disposant au moins d’une station d’épuration de capacité de plus de 150.000 EH). Pour l’agglomération parisienne, la priorité sera la construction d’une programmation d’ici à 2045 pour le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap). D’autres paramètres seront à préciser dans la foulée de cette première phase, notamment la réduction de la charge par temps de pluie et la portée de l’objectif indicatif "non contraignant" de 2% retenu dans la directive ; la mise en place de la gouvernance et la mobilisation des moyens visant à réduire les rejets de tous les micropolluants (réduction à la source, traitement "quaternaire") ; la confirmation des objectifs à atteindre hors zone sensible pour le traitement de l’azote et du phosphore, en particulier en Méditerranée. Enfin, la réalisation des audits énergétiques (aux STEU de plus de 10.000 EH) et la création de nouveaux méthaniseurs (aux STEU ou regroupements de STEU de plus 50.000 EH) sera à encourager "sans délai". 

Muscler les opérateurs de l’État 

Sur le volet gouvernance, les commissions existantes - Comité national de l’eau (CNE) au niveau national, comités de bassin - et les agences de l’eau doivent rester les interlocuteurs privilégiés des collectivités sur l’assainissement. La mission propose de renforcer les services de police de l’eau de 50 ETP supplémentaires d’ici 2028 inclus, mais également les Dreal de bassin et les agences de l’eau. Le pilotage de la stratégie devrait être confié à un(e) chef(fe) de projet, positionné directement auprès de la directrice de l’eau et de la biodiversité, avec une feuille de route pluriannuelle pour les opérateurs de l’État, définissant leurs objectifs spécifiques et leurs articulations entre eux. Une telle structuration pourra également être valorisée dans les échanges avec des associations très impliquées et utiles aux travaux comme l’Astee ou la FNCCR.

 

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