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Emmanuelle Wargon s'engage sur 250.000 logements sociaux en deux ans

Présentant ce 2 février son rapport sur le mal-logement, la Fondation Abbé-Pierre a une nouvelle fois évoqué les impacts de la crise sanitaire sur le logement et les populations fragiles. Portant un regard sévère sur les politiques sociales des dernières années, elle craint que "les décisions de ces derniers mois" ne suffisent pas à "inverser la tendance". Emmanuelle Wargon, la ministre en charge du logement, a annoncé un accord pour financer la construction de 250.000 logements sociaux sur deux ans. Elle s'est prononcée pour une prolongation de la loi SRU, s'est déclarée ouverte à plusieurs propositions de la fondation et a rappelé que l'essentiel de l'effort en matière de logement ne se situe pas dans le plan de relance.

Suivie – à distance – par 3.500 personnes inscrites, la conférence de la Fondation Abbé-Pierre dédiée à la présentation de son rapport 2021 sur "L'état du mal-logement en France" a permis de procéder ce mardi 2 février à un large tour d'horizon, en présence d'Emmanuelle Wargon, la ministre en charge du logement. Sur le contenu et l'analyse détaillée de ce 26e rapport de la Fondation, on se reportera à notre article du 1er février. En rappelant que cette nouvelle édition se consacre à deux thèmes principaux : d'une part à l'impact de la crise sanitaire, d'autre part à une analyse des enjeux, de la politique menée depuis 2017 et aux propositions de la fondation en matière de logement.

Une "double peine" pour les ménages les plus modestes

Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, a d'emblée insisté sur la "superposition des crises", qui fait de 2021 une année très particulière et risque de peser lourdement sur la période à venir. Les événements liés à la pandémie de Covid-19 et ses conséquences "aiguisent les attentes" autant qu'ils "appellent à des politiques nouvelles".

Il est revenu à Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation, de résumer les impacts de la crise sanitaire sur le logement. Celle-ci, et tout particulièrement les deux confinements, ont entraîné une "double peine" pour les ménages les plus modestes : exacerbation des effets du surpeuplement – encore aggravée par la fermeture des espaces publics – et risque accru de contamination (avec par exemple "une surmortalité catastrophique" en Seine-Saint-Denis), diminution des attributions de logements sociaux (100.000 attributions en moins), difficultés de paiement des loyers (pour 13% des ménages, selon une enquête réalisée par Ipsos pour la Fondation, et même 42% pour les bénéficiaires des APL)...

L'impact de la crise va bien au-delà du seul logement. Manuel Domergue a ainsi pointé un "trou béant dans la protection sociale", face aux difficultés des jeunes et des petits revenus, mais aussi face à l'apparition de nouveaux publics fragilisés : CDD, intérimaires, indépendants (commerçants, artisans, autoentrepreneurs...), saisonniers, intermittents... S'ajoutent à ce constat les difficultés d'accès aux travailleurs sociaux et les ruptures de suivi, avec la fermeture de nombreux services et guichets, ainsi que l'épuisement des travailleurs sociaux.

Une protection sociale efficace, "mais seulement pour ceux qui ont une situation stable"

Les jeunes – "première victimes dans toutes les crises" – sont tout particulièrement touchés, puisque 12% des 18-24 ans ont dû avoir recours à l'aide de leurs proches (dont la moitié pour la première fois) et que 20% ont fait appel à l'aide alimentaire (dont les trois quarts pour la première fois). Dans ce contexte, les conditions drastiques du RSA jeunes (734 attributions en 2019) ne sont clairement pas à la hauteur de l'enjeu.

Au final, la crise sanitaire et économique a montré – et va montrer – que "la protection sociale française est forte, mais seulement pour ceux qui ont une situation stable". Pour les autres, "il y a bien eu des aides, mais ponctuelles et d'un faible montant, qui ne compensent pas les pertes subies". Plus largement, la crise sanitaire "a eu un effet loupe sur toutes les fragilités qui existent dans notre pays". En revanche, la Fondation constate "le gros effort fait en matière d'hébergement", avec jusqu’à 300.000 personnes accueillies dans les différentes structures. Mais se pose désormais la question de la sortie de ce dispositif.

Signe de cette situation exceptionnelle : la Fondation Abbé-Pierre est sortie de son domaine habituel et, avec d'autres associations comme Emmaüs, a distribué colis alimentaires et bons d'achat. Comme l'a rappelé Christophe Robert, "on a vu dès le mois de mars des gens qui avaient faim, notamment en raison de la fermeture des cantines scolaires".

Un bilan très critique des quatre dernières années

Le délégué général de la Fondation a ensuite dressé un bilan très critique des quatre premières années du quinquennat en matière sociale, jugeant qu'il "n'y a pas eu de geste pour les chômeurs et les allocataires du RSA" : "Les améliorations des aides vont à ceux qui ne peuvent pas travailler, comme les titulaires de l'AAH. Plutôt que d'augmenter le RSA, le gouvernement s'accroche à l'idée d'un retour à l'emploi". Conséquence de cette approche : on "multiplie les aides affectées et ponctuelles. Elles sont utiles, mais c'est comme s'il y avait un doute sur la capacité des personnes à gérer une aide plus globale".

Christophe Robert voit toutefois dans la garantie jeunes un "bon dispositif, mais 200.000 jeunes ce n'est pas assez. Emmanuel Macron avait promis 500.000 bénéficiaires". Même remarque pour le dispositif "1 jeune, 1 solution", qui est une initiative intéressante mais qui "manque de perspectives de long terme". Au demeurant, "ces mesures ne remplacent pas les emplois aidés supprimés au début du quinquennat". Le délégué général est bien sûr revenu sur les "dix milliards d'euros économisés par l'État sur les APL depuis 2017" (le rapport de la Fondation ne parle pourtant que de quatre milliards).

Malgré les mesures consécutives à la crise des gilets jaunes comme la revalorisation de la prime d'activité – mais qui ont bénéficié essentiellement aux classes moyennes en emploi –, la Fondation remet globalement en cause la politique budgétaire et fiscale de ces dernières années, en pointant un gain de 64 euros sur trois ans pour les 10% de ménages les plus précaires, contre 1.500 euros pour les 10% les plus aisés.

Le logement, "grand oublié du plan de relance"

Pour Christophe Robert, "les décisions de ces derniers mois n'inversent pas la tendance". Il en veut pour preuve "la faible place (1 à 2%) accordée à la pauvreté dans le plan de relance". Or l'occasion de réformer ouverte par le plan de relance "risque de ne pas se représenter".

Christophe Robert est également revenu sur les propositions de la Fondation en matière de logement, selon lui "grand oublié du plan de relance", à l'exception du volet consacré à la rénovation énergétique. Figurent notamment parmi ces propositions : la suppression de la RLS (réduction de loyer de solidarité), la réorientation sur les logements très sociaux, la TVA à 5,5%, le renforcement des moyens de l'Anah pour la lutte contre le logement indigne et la rénovation des copropriétés dégradées, le redéploiement des économies attendues de la contemporanéisation des APL, l'arrêt des ponctions sur Action logement, la généralisation de l'encadrement des loyers, le prolongement de la loi SRU au-delà de 2025, l'accélération du Logement d'abord ou encore l'arrêt des expulsions sans relogement.

Emmanuelle Wargon : un accord pour 250.000 logements sociaux en deux ans

La présentation du rapport 2021 de la Fondation sur l'état du mal-logement s'est conclue par un échange avec Emmanuelle Wargon, la ministre du Logement. Celle-ci est revenue sur certains éléments et a fait plusieurs annonces. Elle a reconnu qu'en matière de logement, l'essentiel du plan de relance est consacré à un effort massif pour la rénovation énergétique. La plan prévoit toutefois 700 millions d'euros de mesures directes en faveur du logement, notamment pour soutenir les maires constructeurs.

Mais l'essentiel de l'effort en matière de logement ne se situe pas dans le plan de relance. Emmanuelle Wargon a tout d'abord rappelé sa décision de prolonger le prêt à taux zéro et le dispositif Pinel (investissement locatif), qui devaient disparaître à la fin de cette année. Même imparfaits, notamment dans leur territorialisation, ces deux dispositifs se révèlent très utiles dans le contexte actuel pour soutenir l'offre privée de logements.

Reconnaissant le net déficit de construction de logements sociaux en 2020, Emmanuelle Wargon a surtout annoncé la conclusion d'un accord, qui devrait être signé le 4 février, avec tous les partenaires concernés (dont Action logement et l'Union sociale pour l'habitat), en vue de financer la construction de 250.000 logements sociaux sur deux ans. Une part importante – mais non encore précisée – devrait être des logements très sociaux. Ce chiffre de 250.000 logements sociaux est nettement supérieur à l'étiage habituellement avancé de 110.000 sociaux logements par an. Pour la ministre, "il faut maintenant que les communes et les bailleurs sociaux se mobilisent" pour réaliser ces objectifs. D'ores et déjà, certains acteurs sont prêts à s'engager, à l'image de CDC Habitat, filiale de la Caisse des Dépôts (voir notre encadré ci-dessous). Emmanuelle Wargon a également rappelé les deux milliards d'euros supplémentaires pour l'Anru, que le Premier ministre vient d'annoncer à l'issue du comité interministériel des villes (voir notre article du 29 janvier).

La prolongation de la loi SRU votée avant la fin du quinquennat

Comme elle l'avait déjà fait à plusieurs reprises ces derniers temps, la ministre du Logement s'est dite également très favorable à la prolongation de l'article 55 de la loi SRU au-delà de 2025. "Ça ne peut pas, ça ne doit pas s'arrêter en 2025", a-t-elle affirmé, fustigeant au passage les maires qui seraient tentés de jouer la montre. Missionné sur la question de la reconduction de l'article 55, Thierry Repentin, maire de Chambéry et ancien président de l'USH, fera très bientôt des propositions sur ce point et la ministre souhaite "voter la prorogation dans ce quinquennat", a priori en 2022.

Elle entend aussi se pencher sur la question des attributions de logements sociaux, en "clarifiant les responsabilités et les outils". Elle se dit également ouverte aux propositions de la Fondation Abbé-Pierre sur une baisse de quittance pour faciliter l'accès du logement social aux plus précaires, ou "tout autre dispositif qui jouerait sur le prix du logement social". De même, la ministre n'est pas hostile à la création d'un fonds pour les impayés de loyers, proposé par la Fondation à hauteur de 200 millions d'euros. Elle se dit prête à travailler à sa configuration, "même si les FSL [fonds de solidarité logement] ne sont pas débordés pour l'instant".

Rénovation énergétique et prévention des expulsions

Sur la rénovation énergétique des logements, Emmanuelle Wargon s'est dit prête à des mesures plus contraignantes. Elle a notamment rappelé l'interdiction de louer des passoires thermiques (classées F ou G au diagnostic de performance énergétique), prévue pour 2028 dans le projet de loi Climat. La mesure va concerner environ 1,8 million de logements, d’où l'ouverture de MaPrimeRenov' aux propriétaires bailleurs dès le 1er juillet prochain. La mission confiée à Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur de la Banque des Territoires, devrait également contribuer à l'amélioration du financement de la rénovation des passoires thermiques (voir notre article du 8 janvier 2021).

Enfin, sur la question des expulsions, Emmanuelle Wargon s'est appuyée sur le rapport que vient de lui remettre de député (LREM) Nicolas Démoulin (Localtis y reviendra dans une prochaine édition) pour annoncer un certain nombre d'orientations, tout en confirmant le report de la fin de la trêve hivernale au 1er juin (au lieu du 1er avril). En effet, "il faut se mettre en ordre de marche dès maintenant". Pour cela, il faut "regarder immédiatement les dossiers qui sont déjà connus" et "prioriser en fonction de la situation des familles et des bailleurs". En outre, au-delà du 1er juin, Emmanuelle Wargon a indiqué qu'elle reprenait les dispositions de la circulaire de son prédécesseur Julien Denormandie, demandant aux préfets qu'aucune expulsion n'ait lieu sans solution de relogement. En attendant, et dans le prolongement du rapport Démoulin, elle se dit prête à faire mieux connaître les dispositifs d'aide, à mobiliser tous les professionnels concernés et à simplifier les procédures.

CDC Habitat et la Banque des Territoires se mobilisent pour accélérer la production de logements sociaux

Alors qu'Emmanuelle Wargon assistait à la présentation du 26e rapport de la Fondation Abbé-Pierre, CDC Habitat, filiale de la Caisse des Dépôts, a annoncé "s’engager pour la production de 42.000 logements sociaux en 2021 et 2022". Ce chiffre représente une augmentation de plus de 50% de sa production annuelle en 2020 et 17% des 250.000 nouveaux logements sociaux sur lesquels s'est engagée la ministre du Logement pour 2021 et 2022. Pour atteindre cet objectif, CDC Habitat lance un appel à projets visant la production de 30.000 logements locatifs sociaux sur deux ans. L'appel à projets concernera des acquisitions :
- de logements sociaux en Vefa (vente en l'état futur d'achèvement) auprès des promoteurs immobiliers ;
- de fonciers en ZAC ou en diffus pour des opérations de construction neuve en maîtrise d’ouvrage directe ou des projets mixtes avec des promoteurs ;
- de bâtiments existants pour réaliser des opérations de conventionnement et de rénovation énergétique d’habitat ;
- d'immeubles de bureaux à transformer en logements.
CDC Habitat précise que "cet appel à projets aura une forte dimension territoriale, compte tenu du rôle déterminant des collectivités locales dans la production de logements sociaux en France".
Par ailleurs, la Banque des Territoires continue de souscrire des titres participatifs auprès des bailleurs sociaux, constituant pour ces derniers des quasi fonds propres qui leur permettent de développer leurs investissements sans la construction ou la rénovation de logements sociaux. Entre le 20 et le 31 janvier 2021, la Banque des Territoires  a ainsi souscrit 198 millions de titres participatifs auprès de huit bailleurs sociaux d'Ile-de-France, 20 millions auprès du Grand Lyon Habitat, 43 millions auprès de Valophis Habitat (Val-de-Marne), 56 millions auprès de Seine-Saint-Denis Habitat et 10 millions auprès de l'OPH (office public de l'habitat) Montreuillois.

 

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