Meurthe-et-Moselle : un atelier théâtre pour désamorcer la violence dans les transports scolaires

Le conseil général de Meurthe-et-Moselle a mis en place un atelier théâtre qui intervient dans les collèges. Objectif : mettre en scène les incivilités ordinaires des transports scolaires, pour mieux les neutraliser.

Les chaises sont alignées comme le seraient les sièges d'un bus. Certains n'hésitent pas à les dégrader. Les bavardages sont incessants, les insultes fusent. A la cantine du lycée Majorelle, à Toul (Meurthe-et-Moselle), une poignée d'élèves se livre à un chahut autorisé. Mieux : répété dans les moindres détails, et ce vendredi-là présenté en spectacle et avec pédagogie à leurs camarades. De janvier à mai 2005, treize lycéens de seconde, tous volontaires, ont participé à un atelier théâtre-forum sur le thème de la violence dans les transports scolaires, proposé, financé et réalisé par le conseil général. Sophie Gauduchon, de l'équipe des quatre médiateurs du service transports en charge d'actions de prévention en milieu scolaire, est intervenue au lycée Majorelle tous les jeudis pendant deux heures, avec le comédien et metteur en scène Manuel Perreira, pour mettre le doigt sur les "incivilités" qui usent les compagnies de transport, mais aussi les adolescents eux-mêmes, victimes de leurs camarades. Dans le "bus", les clans se forment, les moqueries s'échangent. Une bagarre met un garçon à terre. D'autres enfreignent l'interdiction de fumer. C'est la troisième et dernière scène. Les mêmes comédiens ont joué précédemment deux scènes similaires, mais en classe de primaire et au collège. A chaque fois, les mêmes violences ordinaires.

Formuler les incivilités

Après une demi-heure de représentation, Sophie Gauduchon s'adresse à la centaine de spectateurs de première et de terminale. "Quelles erreurs avez-vous pu constater ?" Entre les rires étouffés, certains prennent la parole. "Ils fument dans le bus", "il y a de l'exclusion." Un débat s'engage sur l'exemple de la jeune fille rejetée par le groupe. "Avez-vous déjà vécu ces discriminations ?", interroge l'intervenante. "C'est un exemple qu'on peut voir partout ! On est trop petit, trop grand, trop gros, trop maigre, trop c... !", s'exprime l'un d'entre eux. "A votre avis, quelle autre réaction aurait pu avoir la personne exclue ?", demande alors l'intervenante, avant d'inviter quelques participants à venir sur scène jouer leurs propositions et se mettre à la place de l'adolescente exclue. "C'est vrai que ça tape sur le système", reconnaît un petit malin. Et la discussion se poursuit autour du rôle du chauffeur, de son impossibilité à réagir, de la force du groupe contre les faibles. Cet atelier théâtre est la première grosse opération menée par le conseil général de Meurthe-et-Moselle en lycée. Le département intervient essentiellement en collèges, qui sont sous sa responsabilité, car c'est là que les problèmes se posent davantage. Ici, le conseil général a dépassé sa sphère d'intervention, à titre expérimental et aussi parce que le travail avec des lycéens se prêtait davantage à la formation suivie par Sophie Gauduchon.

Trente-huit collèges sensibilisés

En effet, après cinq ans d'emploi-jeune, le poste de Sophie Gauduchon a été pérennisé en CDD. Elle a aussi bénéficié d'une action de formation. "J'ai choisi le Beatep (brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire) option médiation. Nous avions un projet individuel obligatoire. Dans ce cadre, j'ai proposé de monter cet atelier", explique-t-elle. Au premier trimestre, Sophie Gauduchon a également réalisé avec certains élèves du même lycée une vidéo sur l'insécurité dans les transports scolaires, avec la collaboration de chauffeurs de car, qui ont joué leur propre rôle. Cette vidéo pourrait servir pendant cette année scolaire de support à la discussion dans les établissements de Meurthe-et-Moselle. Hormis ces actions exceptionnelles, les quatre médiateurs font de la prévention deux à trois fois par semaine en collège, souvent en classe de cinquième, sur les questions de sécurité et de citoyenneté. Trente-huit établissements ont été visités cette année. Certains ne font participer que les élèves utilisant les transports scolaires. Les interventions se passent non seulement en salle de cours, où les médiateurs leur parlent des comportements dangereux, mais aussi, depuis quatre ans, dans un car. Là, ils simulent avec les élèves une opération d'évacuation. C'est l'opération "Sortir vite".

Elise Descamps / L'AEF pour Localtis

"Les élèves crachent plus souvent sur leurs camarades que sur les conducteurs !"

Véronique Huchot est directrice du service transports au conseil général de Meurthe-et-Moselle.

Pourquoi avoir mis en place ces actions de prévention dans les établissements scolaires ?

Nous avions repéré une dégradation régulière du climat dans les cars, des rapports avec les conducteurs et de plus en plus de dégradations. On l'a d'abord constaté dans les lycées professionnels, puis les collèges, et cela commence dans les lycées généraux. Or le conseil général est responsable pénalement de la sécurité de ceux qu'il transporte. Plus on se sera préparé, plus on aura d'arguments dans un contexte judiciaire.
Mais dans le théâtre-forum, il est aussi beaucoup question des rapports entre élèves. En quoi cela concerne-t-il le conseil général ?
Le conseil général a de fortes préoccupations sociales, et la sécurité, c'est aussi le bien-être, c'est voyager dans de bonnes conditions. Le conseil général a la compétence de la protection de l'enfance. Or certaines scènes qui se produisent dans les transports scolaires sont du harcèlement moral, et c'est réprimé par la loi. Les élèves crachent plus souvent sur leurs camarades que sur les conducteurs !

Quel bilan tirez-vous de l'action au lycée Majorelle et des actions menées depuis six ans en général ? Avez-vous rencontré des difficultés ?

L'action est très positive. C'est dommage qu'on ne puisse pas le faire davantage, car on aurait moins de problèmes de comportement. Le théâtre-forum met les élèves à la place des victimes et leur demande de trouver des solutions. Après cela, les élèves ne seront plus jamais indifférents à la sécurité dans les transports. Les problèmes sont intégrés, car ce n'est pas l'adulte qui les dit, c'est compris de l'intérieur. Il est cependant très difficile de voir les effets de notre action. Plus on s'occupe des gens, plus on a de signalements. Mais il est certain que ces actions sont bénéfiques. Et nous n'avons pas rencontré de difficultés particulières. On est en général assez bien accueillis et les élèves sont, sauf pour l'opération "Sortir vite", toujours volontaires.

Deux agents pour recueillir les plaintes et leur donner suite

Le service transports du conseil général de Meurthe-et-Moselle dispose depuis cinq ans d'une cellule qui recueille les signalements de comportements déviants dans les transports scolaires.

Deux agents administratifs, distincts des médiateurs, sont chargés, pour approximativement l'équivalent d'un mi-temps, d'écouter et de vérifier les plaintes, le plus souvent émises par les chauffeurs de car et les compagnies de transport scolaire. Un avertissement est ensuite adressé à l'élève, avec copie à sa famille, son établissement et au transporteur. Des sanctions peuvent être prises, parfois également par les établissements. Jean-Marie Ulrich, vice-président du conseil général délégué aux transports, est ainsi en mesure de prononcer une exclusion courte des transports scolaires. Véronique Huchot, directrice du service transport du département l'affirme : "Sans cette cellule, quelle réponse pourrais-je donner au désarroi des conducteurs et des élèves ? Les familles nous écrivaient. Aujourd'hui, elles ont une réponse. Les transporteurs et organisateurs secondaires disent souvent que la lettre d'avertissement calme les troupes. Auparavant, les conducteurs se taisaient car ils avaient peur de la vengeance des élèves. Désormais, les gens savent que l'on existe. Le transport n'est plus un no man's land." L'année dernière, un parent d'élève qui avait frappé un conducteur a ainsi été poursuivi en justice.

Le Bas-Rhin dispose aussi d'une cellule prévention

Le conseil général du Bas-Rhin mène une action similaire à celle de Meurthe-et-Moselle. Depuis 1998, son service transports s'est doté d'une cellule "prévention sécurité qualité" composée de cinq personnes, dont certains étaient au départ des emplois-jeunes, titularisés depuis. Ils sensibilisent à la sécurité les élèves non seulement des collèges, surtout en sixième et cinquième, mais aussi en maternelle et en primaire. Les interventions durent une heure. Elles commencent par une demi-heure de démonstration dans un car, se poursuivent en salle de cours par la projection d'un film, suivi d'un débat. La cellule n'a pas d'autre action plus ponctuelle, hormis la tenue d'un stand lors de la Semaine de la sécurité routière. Par ailleurs, le conseil général prend aussi régulièrement des sanctions disciplinaires, de l'avertissement à l'exclusion du transport scolaire.

Contact : Marc Meinau, responsable de la cellule "prévention sécurité qualité", 03 88 76 63 64.

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