Fin de Windows 10 : les collectivités face au mur
Le 14 octobre 2025, Microsoft a mis fin au support de Windows 10, privant des millions de machines des mises à jour de sécurité gratuites. Pour les collectivités territoriales, cette échéance soulève des défis multiples : cybersécurité, coût budgétaire, impact environnemental et dépendance technologique. L'association Halte à l'obsolescence programmée (HOP) appelle les acteurs publics à "agir sans attendre" et a publié le 15 octobre un guide pour bénéficier temporairement des mises à jour étendues gratuites promises en Europe.

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Depuis le 14 octobre 2025, Windows 10 ne reçoit plus de correctifs de sécurité ni de mises à jour fonctionnelles. Les ordinateurs continueront de fonctionner, mais les vulnérabilités nouvellement découvertes ne seront plus corrigées. Pour de nombreuses collectivités territoriales, encore très largement équipées de machines sous Windows 10, cette date du 14 octobre est synonyme de dépenses vertigineuses dans un contexte budgétaire déjà très contraint.
A titre indicatif, dans le monde, 400 millions d'appareils ne seraient pas compatibles avec la 11e version de Windows qui exige un processeur récent et une puce de sécurité TPM 2.0. En France, on estime que 22% de ce parc - soit 88 millions d'ordinateurs - seraient concernés et une bonne partie outillerait des administrations, des hôpitaux et des collectivités territoriales.
L'éditeur américain propose bien un programme de "mises à jour de sécurité étendues" (ESU), mais payant, à l'exception de l'Union européenne, où la Commission a imposé une prolongation gratuite d'un an. Une mesure saluée par l'association Halte à l'obsolescence programmée HOP, dans un communiqué du 15 octobre 2025, comme "un sursis bienvenu, mais non une solution durable".
Une porte ouverte aux cybermenaces
Sans correctifs réguliers, les postes restés sous Windows 10 deviendront donc progressivement vulnérables. "Des millions de PC sans correctifs, c'est un risque systémique majeur", alertait récemment un expert cité par nos confrères du Monde (13 octobre 2025).
Dans les collectivités, où cohabitent souvent des applications anciennes, des logiciels métiers spécifiques et des réseaux interconnectés, la fin du support multiplie les surfaces d'attaque. Cybermalveillance.gouv.fr redoute d'ailleurs une recrudescence d'intrusions par rançongiciels exploitant des failles non corrigées.
"Taxe Windows"
Quelles options s'offrent aux collectivités ? La facture de la transition s'annonce salée. Migrer vers Windows 11 implique souvent de remplacer le matériel : près d'un ordinateur sur deux en collectivité ne répond pas aux exigences minimales de Microsoft. Pour une commune moyenne de 15.000 habitants, le renouvellement anticipé de 400 postes représente un budget de 300.000 à 400.000 euros, selon les estimations de plusieurs DSI territoriaux.
Pour les postes non remplaçables à court terme, les collectivités devront recourir au programme ESU payant dès octobre 2026, ou renforcer la sécurité par des services externes.
Une situation qui fait dire à l'association Halte à l'obsolescence programmée que la multinationale s'adonne à une "taxe Windows". "Rien n'oblige Microsoft à nous taxer, à nous mettre en danger, voire à céder à la logique de la fast-tech", fulmine l'association qui rappelle que 17% de la population française est freinée dans son accès au numérique faute d'équipement ou car celui-ci est déjà trop vieux ou dépassé. "Cette décision contribue à aggraver massivement l'exclusion numérique [...]", tempête HOP qui a lancé une pétition qui rassemblait près de 50.000 signatures à la mi-octobre. HOP a également mis en place un questionnaire pour recueillir le témoignage des collectivités sur le sujet.
Cette migration forcée va coûter entre 500.000 et 2 millions d'euros aux collectivités, évalue l'association qui publie dans une courte vidéo Facebook plusieurs témoignages de collectivités locales qui alertent sur "les lourdes conséquences des mises à jour de Windows 10, qui les contraignent à renouveler prématurément leurs ordinateurs".
L'obsolescence logicielle "déguisée"
Ce remplacement massif d'ordinateurs parfaitement fonctionnels choque également d'un point de vue environnemental. Toujours selon HOP, le renouvellement mondial de 400 millions de PC sous Windows 10 représenterait plus de 70 millions de tonnes de CO₂ et une extraction de matières premières équivalente à 32.000 tours Eiffel.
HOP dénonce "une obsolescence logicielle déguisée" et publie la marche à suivre pour activer les mises à jour étendues gratuites disponibles jusqu'en octobre 2026 mais prévient : "ce répit ne doit pas être une excuse pour différer la réflexion sur la sobriété numérique". L'association invite donc les collectivités à allonger la durée de vie des postes par le reconditionnement et à favoriser l'achat de matériel réparable.
Cette question rejoint les objectifs de plusieurs territoires engagés dans la démarche "Numérique responsable". Parmi eux, la métropole de Lyon qui a formalisé en janvier 2025 sa stratégie en faveur d'un numérique responsable, visant à prolonger de trois ans la durée d'usage de ses équipements informatiques.
Une opportunité pour réinterroger la stratégie numérique ?
La fin du support de Windows 10 met en évidence un paradoxe : la dépendance structurelle à un fournisseur étranger pour des fonctions critiques. "Le passage à Windows 11 impose non seulement un matériel certifié, mais aussi la création obligatoire d'un compte Microsoft, même pour les administrations", note l'association Adullact, association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres pour les administrations et les collectivités territoriales.
Certaines collectivités y voient une opportunité pour réinterroger leur stratégie numérique. La région Occitanie par exemple s'est fixé pour objectif de réduire de moitié ses licences Microsoft d'ici 2027, au profit de solutions libres et hébergées localement. La collectivité a entamé une stratégie de remplacement des solutions Microsoft 365, pour faire la place à eXo Platform, une solution open source made in France.
Des communes plus petites suivent le même chemin : Échirolles (en Isère) a migré une partie de ses services bureautiques vers la suite LibreOffice, tandis que Saint-Denis expérimente un environnement Linux pour ses postes administratifs de premier niveau.
L'éditeur français Berger-Levrault propose quant à lui la plateforme Saas Wemagnus - une solution SaaS, dédiée aux collectivités de moins de 5.000 habitants intégrant nativement une IA souveraine (qui sera présentée au Salon des Maires des Collectivités locales qui se tient du 18 au 20 novembre 2025 à Paris Expo Porte de Versailles).
Partager les retours d'expérience sur les alternatives libres
En définitive, un nombre croissant de collectivités cherchent donc à mutualiser les solutions et à partager les retours d'expérience sur les alternatives libres. C'est l'objectif du collectif France Numérique Libre, créé en 2025 à l'initiative de plusieurs directeurs des systèmes d'information territoriaux et soutenu entre autres par l'Adullact. Ce réseau, ouvert à l'ensemble des acteurs publics locaux, vise à accompagner les collectivités souhaitant réduire leur dépendance aux éditeurs propriétaires et à documenter les démarches de migration vers des environnements Linux ou des solutions open source. Il propose une base de ressources partagées, des webinaires trimestriels et un espace collaboratif d'échange de bonnes pratiques. Le collectif estime que la fin du support de Windows 10 constitue "un moment charnière pour accélérer la transition vers un numérique souverain et durable".
Une transition à planifier
Quoi qu'il en soit, la fin de Windows 10 agit comme un révélateur : celui de la fragilité du numérique public local. Cybersécurité, finances, environnement et souveraineté s'entrecroisent dans une équation complexe que chaque collectivité devra résoudre selon ses moyens.
HOP lance un appel à la responsabilité collective : "Les acteurs publics doivent montrer l'exemple d'un numérique durable, sécurisé et émancipé des logiques d'obsolescence."
Pour les collectivités, l'urgence est désormais - si ce n'est pas déjà fait - d'auditer leur parc, d'évaluer les scénarios de migration et d'inscrire la sobriété numérique dans leur stratégie globale. Car depuis le 14 octobre 2025, le compte à rebours a bel et bien démarré.